Au-delà des gros titres: comprendre la dette émergente

Ricardo Adrogué, Barings

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Malgré une année difficile pour la dette émergente, le contexte économique et fondamental de cette classe d’actifs reste largement favorable.

Malgré une année 2018 difficile et volatile pour la dette des marchés émergents, le contexte économique et fondamental de cette classe d’actifs reste largement favorable. Ces régions et pays offrent toujours un certain nombre d’opportunités intéressantes.

La croissance mondiale est forte dans l’ensemble et l’on prévoie qu’elle le restera en 2018 par rapport au passé, avec certains ME ayant la plus forte croissance. L’inflation dans les ME reste à son plus bas niveau depuis 17 ans, ce qui pourrait permettre aux taux locaux de continuer à baisser dans certains ME à l’avenir. La balance des paiements et les comptes courants des pays émergents sont généralement sains. Les économies de nombreux ME ont connu des ajustements considérables de leurs comptes extérieurs.

En outre, les fondamentaux des entreprises ont continué de s’améliorer grâce à une croissance économique saine et à la hausse du prix des matières premières. Les bénéfices et les bilans des entreprises des ME demeurent généralement solides, tandis que l’endettement des entreprises devrait diminuer. Les taux de défaillance d’entreprises et de defaults souverains demeurent inférieurs aux moyennes historiques. Dans de nombreux cas, la volatilité récente des actifs de la dette des ME a rendu les valorisations attrayantes par rapport aux fondamentaux des entreprises.

Ces tendances tendent à favoriser les gestionnaires actifs qui se concentrent sur la sélection de pays et sur une méthode ascendante de sélection des titres (bottom-up) au niveau de chaque émetteur. Cela dit, le contexte actuel continue de présenter un certain nombre de risques auxquels il est nécessaire de porter une attention particulière au cours des prochains mois. 

«Dans de nombreux cas, la volatilité récente des actifs de la dette des ME a rendu les valorisations attrayantes par rapport aux fondamentaux des entreprises.»
Les principaux risques auxquels la classe d’actifs est confrontée

De toute évidence, certains des risques sont liés aux politiques des pays développés, y compris les politiques fiscales, de déréglementation et d’immigration des États-Unis, mais surtout les politiques monétaires et commerciales. La combinaison d’une Réserve fédérale américaine (Fed) plus ferme, de la politique protectionniste du président Trump à l’égard des ennemis et des alliés et de l’annonce d’une date butoir pour le programme d’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne (BCE) a exercé une pression à la baisse sur les actifs des ME et pourrait continuer à le faire.

Avec le resserrement de la politique monétaire aux États-Unis, en Europe et au Japon, les ME deviennent relativement moins attrayants du point de vue des flux d’investisseurs, et il y a généralement moins de liquidités disponibles pour soutenir les actifs des ME. Sauf événements imprévus, la Fed, en particulier, semble fermement engagée sur la voie d’une poursuite de la hausse des taux d’intérêt en 2018 et 2019. La hausse des taux aux États-Unis a nui aux ME qui ont d’importants déficits de leur balance courante et de faibles cotes de crédit, ainsi qu’aux pays qui ont le plus besoin de financement étranger, tels que la Turquie, l’Argentine et l’Équateur.

Même si la hausse des taux aux États-Unis pouvait s’avérer difficile pour certaines entreprises et certains États des ME, une croissance économique plus forte aux États-Unis et dans d’autres marchés développés profiterait à de nombreux actifs et économies des ME. Cette thèse est toujours valable dans une certaine mesure, mais le problème actuel est que les bénéfices escomptés pour les marchés émergents sont minés par les effets négatifs de la politique commerciale américaine (droits de douane, sanctions ainsi que menaces de l’un ou l’autre, voire des deux). Par exemple, la croissance du volume du commerce mondial est menacée par la mise en œuvre de manière agressive par les États-Unis de politiques protectionnistes commerciales. 

Par conséquent, l’un des principaux risques dans les mois à venir réside dans les politiques et les mesures qui découleront réellement du programme commercial des États-Unis et leur impact potentiel sur le commerce mondial.

Un effet domino

Des risques propres à certains pays pourraient avoir un effet domino. La Chine est un cas évident. Le pays est un maillon essentiel entre les ME et les pays développés, de sorte qu’un ralentissement économique dans ce pays pourrait avoir de lourdes conséquences. Par exemple, les prix des produits de base ont été favorables à de nombreuses monnaies des ME, mais si la Chine subissait un ralentissement important de la demande ou de la croissance, cela exercerait probablement des pressions sur les pays et entreprises producteurs de produits de base. Toutefois, il est peu probable que le scénario du pire se réalise. La Chine dispose de vastes ressources (par exemple, des réserves de change) et d’un système politique capable de défendre son économie contre un revers important.

Il y a ensuite le cas de la Turquie. Le Président Erdogan se trouve sur le seul chemin qui lui permettra d’éviter une catastrophe (mais avec une étroite marge d’erreur), et que le risque de défaut des obligations de la Turquie est faible. Le principal risque est que la crise économique et monétaire de la Turquie conduise les grandes banques européennes à réduire leur exposition aux ME. En début d’année, les banques commerciales étaient sur le point de se redresser et de fournir une source de flux vers les ME, contribuant ainsi à combler l’écart de liquidité laissé par les banques centrales et à soutenir les prix des actifs ME. Cet argument est désormais moins pertinent au vu de l’évolution de la situation en Turquie.

Le risque politique vaut également la peine d’être surveillé dans certains pays, compte tenu notamment du lourd calendrier électoral en 2018–2019 dans les ME. Au cours du premier semestre de cette année, des élections importantes ont eu lieu au Mexique, au Venezuela, en Malaisie, en Hongrie et ailleurs. Des élections générales très importantes auront lieu au Brésil en octobre 2018, puis en Thaïlande, en Afrique du Sud et en Argentine l’année prochaine, entre autres.

Un environnement incertain

Les gestionnaires actifs et compétents de dettes des ME sont bien équipés pour affronter ces types de difficultés et de défis. Avoir la capacité d’éviter les risques non désirés et de capitaliser sur des possibles opportunités sous-exploitées peut faire toute la différence dans une classe d’actifs sujette à l’instabilité des marchés.

La sélection du pays émergent et du titre demeurera primordiale jusqu’à la fin de 2018 et le début de 2019. En particulier au niveau des entreprises, les risques macroéconomiques et propres à chaque pays décrits ci-dessus n’ont que peu ou pas d’incidence sur la santé et la solidité de la plupart des émetteurs individuels de dette des ME. Par exemple, le spectre de guerres commerciales, le resserrement de la politique monétaire aux États-Unis et la crise en Turquie sont peu susceptibles d’entraîner la défaillance ou le déclassement d’une entreprise fondamentalement solide d’un ME. Au contraire, la volatilité des marchés déclenchée par les craintes des investisseurs à l’égard de ces émissions peut créer des opportunités pour les gestionnaires actifs en leur procurant des points d’entrée intéressants dans des émetteurs solides ayant des perspectives favorables sur le long terme.

«La sélection du pays émergent et du titre demeurera primordiale jusqu’à la fin de 2018 et le début de 2019.»