Arrêtons les chamailleries!

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Les ressentiments s’exacerbent. Les esprits s’échauffent. Les Européens n’ont pas besoin de s’entredéchirer quand les moyens d’entraide existent.

Des détournements de cargaisons de masques chirurgicaux à coups de dollars sur les tarmacs chinois, des tentatives de rachat exclusif de vaccins, des fermetures unilatérales des frontières, des calomnies sur les origines du virus, des sommets du G7 et du G20 sans suite, une petite guerre du pétrole etc. Pour paraphraser le grand stratège, on pourrait dire du triste spectacle de ces dissensions internationales que la crise du coronavirus n’est que la poursuite de la guerre commerciale par d’autres moyens. Mais si cela ne va pas fort entre les grandes puissances, il ne faudrait pas qu’elles en viennent à s’entendre sur le dos de l’Europe!

Or, les relations se sont également tendues entre européens et notamment entre les pays membres de la zone euro. Le ressentiment s’exacerbe entre pays du Sud et du Nord, les premiers reprochant aux seconds leur manque de solidarité, les seconds aux premiers leur impéritie. Au cœur de cette querelle, on trouve le sempiternel débat sur l’émission de bons européens, renommés pour l’occasion «coronabonds». Une fois de plus, le débat ressemble à un mauvais prétexte quand il existe déjà de nombreux outils de solidarité dans le cadre actuel des traités. D’autant plus que la Commission européenne a pris d’importantes initiatives qui, à mon avis, compteront plus pour l’avenir de l’Union.

Pour la première fois, la Commission a activé
la clause dérogatoire au Pacte de Stabilité.

Fortes de la précédente crise, les institutions européennes disposent déjà de tout un arsenal d’interventions prêt à l’emploi. Avant 2011, en matière monétaire et budgétaire, il manquait une doctrine d’ensemble, des règles et des instruments d’action. Depuis, la BCE1 a pu agir en relançant un programme massif d’achats d’actifs. Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) dispose d’un apport potentiel de 410 milliards d’euros. Devant le refus de l’Italie de voir la mise en œuvre de tels plans assortis de conditions budgétaires qu’elle juge intenables, d’autres propositions de fonds d’aide et de solidarité sont venues d’Allemagne, sans condition cette fois. La question de la mutualisation des dettes participe d’un débat plus large dont les termes sont particulièrement mal posés au «Nord» comme au «Sud» de l’Europe. En effet, ces obligations ne peuvent naître que d’une révision des traités, incluant un transfert d’une partie de la souveraineté budgétaire des Etats membres au niveau européen.

En attendant, les reproches et les quolibets ne servent que les extrêmes, sans permettre pour autant d’avancée constructive. C’est la Présidente de la Commission Européenne qui me semble avoir correctement pris la mesure de la situation. Début avril, Madame Von der Leyen a rendu publique la lettre d’excuses qu’elle a adressée au gouvernement italien, promettant plus de solidarité de la part de l’Union. De plus, elle a annoncé le lancement de l’initiative «SURE2», un plan de financement et de préservation de l’emploi pour l’UE d’un montant de 100 milliards d’euros. La BEI3 de son côté, a lancé un programme de soutien aux entreprises. Plus encore, la Commission a fait preuve de souplesse dans plusieurs domaines d’importance. Ainsi a-t-elle commencé par supprimer les droits de douanes et d’importation sur les masques et matériels médicaux importés hors UE. Pour la première fois, la Commission a activé la clause dérogatoire au Pacte de Stabilité. Enfin, elle pourra orienter les fonds structurels en direction des villes et des régions les plus touchées. A terme, ce sera au Budget européen de prendre le relais et d’être déployé pour soutenir les Etats-membres. Je pense que c’est à travers cet instrument que l’on pourra envisager la mutualisation des transferts et une meilleure solidarité entre Etats membres, aux conditions que nous avons dites. Et pourquoi ne pas réaliser cette nouvelle avancée maintenant que ses opposants britanniques ont quitté l’Union?

Il est grand temps d’écourter les files d’attentes
de camions à nos frontières.

A l’énoncé de ces initiatives, on pourra tout de même s’étonner de leur modestie, sinon de leur retard face à l’urgence. On aurait pu s’attendre à une mobilisation plus générale et mieux coordonnée des Etats membres ; de celles qui donnent une impulsion décisive à la Commission et aux institutions européennes. Les efforts de Madame Von der Leyen semblent bien médiocres au regard des propagandes et des annonces fracassantes qui tiennent le haut du pavé des médias. L’un a dit, l’autre a fait! L’UE a été prise de court, c’est vrai, et la réponse initiale des institutions reflète la limite de leurs moyens. Cela ne veut pas dire qu’elles doivent renoncer à se mettre en ordre de marche, y compris en matière de communication.

Il est à espérer que les maladresses initiales, le sauve-qui-peut national, feront enfin place à plus de coopération entre pays de l’Union, tant par des gestes d’entraide de pays à pays (comme l’accueil des malades, ou l’envoi de matériel), que par les nouvelles initiatives de la Commission.

En attendant, c’est bien à propos que Madame Von der Leyen a rappelé les Etats membres à leurs devoirs. D’une part pour la sauvegarde du marché unique, quand ériger des barrières contre un virus qui ignore les frontières ne sert à rien. Car si nous voulons éviter des pénuries, il est grand temps d’écourter les files d’attentes de camions à nos frontières. D’autre part, pour la préservation de nos valeurs et principes fondamentaux, qui ne sauraient être bafoués au prétexte de l’urgence.

A bon entendeur hongrois, salut…

 

1 BCE, Banque Centrale Européenne
2 «SURE»: Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency
3 BEI, Banque Européenne d’Investissement

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