Après la stimulation monétaire, la relance budgétaire

Vincent Juvyns, J.P. Morgan Asset Management 

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Les Etats ont retrouvé une certaine marge de manœuvre. Les «monétaristes» passent le relais aux «keynésiens».

 

La crise financière de 2008 restera dans les annales économiques comme l’une des pires crises depuis la Grande Dépression, en raison notamment du fait qu’elle se soit propagée aux États. Ces derniers ont en effet vu leurs déficits budgétaires et leurs niveaux d’endettement exploser, ce qui les a, pour la plupart, empêchés de relancer leurs économies avec des politiques budgétaires procycliques comme ce fut le cas en 1930 avec le New Deal. 

Dans ce contexte, si aujourd’hui la plupart des économies mondiales ont enfin retrouvé le chemin de la croissance, de manière synchronisée, c’est surtout grâce aux efforts déployés par les principales banques centrales mondiales. Cependant, compte-tenu de la normalisation du contexte économique mondial, il est probable que, dans le sillage de la Fed, d’autres banques centrales normalisent elles-aussi leur politique monétaire dans les prochains mois. On peut dès lors se demander quels seront les nouveaux relais de croissance pour l’économie mondiale et les vecteurs de performance pour les marchés financiers. 

«Grâce à la baisse des coûts de service de la dette et au retour
de la croissance, les déficits diminuent mécaniquement.»

À cet égard, il est intéressant de noter que contrairement à la situation qui prévalait il y a encore quelques années, la plupart des États ont aujourd’hui retrouvé, grâce au rebond de la croissance et aux taux bas, une marge de manœuvre budgétaire qu’ils utilisent de plus en plus. 

C’est sans conteste le cas aux États-Unis où, alors que la Fed relève ses taux et réduit son bilan, le Sénat a approuvé en décembre 2017 une réforme fiscale de 1’500 milliards de dollars qui devrait porter le déficit budgétaire américain à 5% du PIB en moyenne au cours des 10 prochaines années et faire passer l’endettement net du pays de 76,7% du PIB aujourd’hui à 91,2% en 2027. Bien qu’un stimulus fiscal de cette ampleur ait rarement été testé dans une économie en fin de cycle, le FMI estime que celui-ci devrait ajouter 1,2% à la croissance du PIB américain, d’ici à 2020, grâce à la hausse du pouvoir d’achat des ménages et à l’augmentation des bénéfices et des investissements des entreprises.   

En Europe, contrairement aux États-Unis les déficits budgétaires devraient continuer à baisser car c’est la région où la contagion de la crise de 2008 aux États fut la plus forte puisqu’elle a mené à la crise de la dette souveraine européenne en 2012. Depuis lors, sous l’impulsion et le contrôle de la Commission Européenne, les États membres ont dû remettre leurs finances publiques en ligne avec les critères du Traité de Maastricht, du moins en en ce qui concerne le déficit budgétaire. 

Si on ne dénombre aujourd’hui plus que 2 pays en procédure de déficit excessif contre 24 en 2011, c’est grâce aux politiques d’austérité et aux réformes menées dans la plupart des États membres. Cependant grâce à la baisse des coûts de service de la dette, qui représentaient 2,6% du PIB en 2012 contre 1,6% aujourd’hui, et au retour de la croissance, les déficits diminuent mécaniquement, ce qui permet aux gouvernements européens de tourner la page de l’austérité et même, de plus en plus, d’envisager une politique budgétaire plus souple, à l’instar de la Belgique, des Pays-Bas ou de l’Allemagne. 

«Des pays comme la Chine et le Japon maintiennent
aussi une politique budgétaire plus souple.»

À cela s’ajoute le fait que la Commission Européenne et la Banque Européenne d’Investissement s’emploient, depuis 2014, à relancer les investissements en Europe dans le cadre du «Fonds Européen d’Investissements Stratégiques». Bien que ce fonds ait été décrié lors de son lancement, il a depuis, fort de son succès, vu sa capacité d’action presque doublée à 500 milliards d’euros tout en mobilisant relativement peu d’argent public (33,5 milliards d’euros) puisque qu’il bénéficie d’un effet de levier de 15x. À ce jour, le FEIS a déjà approuvé des investissements en infrastructures et des financements de PME à concurrence de 264 milliards d’euros. 

Globalement, on observe également que des pays comme la Chine et le Japon maintiennent aussi une politique budgétaire plus souple. En effet, bien que la Chine ait récemment annoncé son intention de réduire son déficit budgétaire, pour la première fois depuis 2012, de 3% du PIB en 2017 à 2,6% en 2018, le montant absolu du déficit devrait demeurer inchangé, à 2,38 trillion de RMB. En outre, la Chine continue d’investir massivement par l’intermédiaire de véhicules financiers «hors bilan», comme les entreprises publiques dont les investissements en «fixed assets» ont encore cru de 9,2% sur un an au mois de février. Enfin, les grands projets d’infrastructure de la Chine, à l’instar de la «New Silk Road» ou «One Belt One Road», devraient soutenir la croissance bien au-delà des frontières chinoises. 

Au Japon, Shinzo Abe s’est appuyé ces dernières années tant sur les monétaristes que les keynésiens pour relancer l’économie japonaise, puisque la politique monétaire et la politique budgétaire représentent respectivement la première et deuxième «flèche» des Abenomics, et aucun changement de politique ne se profile à l’horizon. La BoJ sera probablement l’une des dernières banques centrales à relever ses taux tandis que le gouvernement vient d’annoncer un budget record de 97,5 trillion de yens pour 2018. 

En conclusion, bien qu’il convienne de rester prudent quant à l’impact du processus de normalisation monétaire des principales banques centrales mondiales sur l’économie et les marchés financiers, il est néanmoins encourageant d’observer que les autorités publiques sont aujourd’hui en mesure de poursuivre le travail des banques centrales en stimulant leurs économies avec des politiques budgétaires plus souples. 

On peut dès lors estimer que d’une certaine manière les monétaristes passent le relais aux keynésiens pour continuer à soutenir l’économie mondiale. Ceci nous conforte dans l’idée que la croissance mondiale devrait rester au-delà de son potentiel en 2018 et continuer à pousser les taux courts et longs à la hausse tout en soutenant l’activité des entreprises.