«Allez vous faire voir»

Martin Neff, Raiffeisen

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Les dirigeants italiens font fi de tous les avertissements. De son côté, l’Arabie saoudite ne se soucie pas plus de l’état émotionnel du monde.

Les marchés ne se sont pas vraiment détendus pendant le weekend. Et l’Italie continue toujours de faire la Une en ce début de semaine. Je n’ai pas souvenir qu’un gouvernement italien (et pourtant il y en a eu par le passé) ait jamais été aussi impudent vis-à-vis de Bruxelles. Actuellement, les dirigeants italiens sont extrêmement décontractés et font fi de tous les avertissements. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le vice-président de l’UE Pierre Moscovici a remis en mains propres la lettre annoncée au ministre italien de l’économie et des finances, pour être sûr qu’elle n’atterrisse pas dans une corbeille à papier romaine sans avoir été lue. De son côté, l’Arabie saoudite ne se soucie pas plus de l’état émotionnel du monde. L’Italie et l’Arabie saoudite signifient au reste du monde: «Allez vous faire voir».

Cela ne constitue évidemment pas une base acceptable pour une résolution amiable des problèmes, mais les Italiens semblent considérer que l’Europe n’est pas envisageable sans eux et qu’ils peuvent donc se permettre un certain nombre de choses. Quant aux Saoudiens, ils pensent de toute façon être du «bon» côté, tant que les Etats-Unis et leur président, dont la conduite est avant tout dictée par son intérêt personnel, ne commencent pas à poser des questions dérangeantes. La relation entre Donald Trump et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman, que tous appellent MBS, rappelle fortement celle entre Vladimir Poutine et le dictateur syrien Baschar al-Assad. Chacun sait qu’il est question d’agissements extrêmement graves, mais personne n’ose vraiment l’exprimer ainsi. 

Face à l’Arabie saoudite, la Suisse, habituellement si timide
et terre à terre, s’est pour une fois fait remarquer.

En matière de réactions à l’encontre de l’Arabie saoudite, la Suisse, habituellement si timide et terre à terre, s’est pour une fois fait remarquer. Mais au final, ses critiques envers les Saoudiens n’ont pas eu beaucoup plus d’impact qu’un index moralisateur et eu égard à la faible intensité des relations commerciales, elles n’étaient pas non plus particulièrement courageuses. La réaction la plus violente à ce jour est venue de Turquie ce mardi matin, d’où le président Recep Tayyip Erdoğan a invité les Saoudiens à révéler l’identité des instigateurs de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et à leur demander des comptes. Il a ainsi évoqué un «complot meurtrier prémédité».

Défaillance des communautés 

Les mots me manquent, bien que de tels événements ne soient pas nouveaux en politique internationale. Et c’est précisément le président turc tellement controversé pour ne pas dire détesté en occident qui trouve les mots les plus appropriés à l’égard des Saoudiens, en adoptant un ton relativement dur et donc adapté à la situation. Le reste du monde se couche carrément, s’émeut ou réprimande quelque peu. La communauté des Etats souvent désunie, a fortiori quand le temps est à l’orage, accepte-t-elle une fois de plus de se laisser traiter ainsi? Les tensions provoqués par l’affaire Khashoggi dans la grande coalition en Allemagne ou le fait que des politiciens américains, dont des proches du gouvernement, mettent en cause la version des Saoudiens, à l’instar de nombreux autres politiciens européens, n’est finalement rien de plus qu’une tempête dans un verre d’eau. Il ne s’agit pas de faire fuir les électeurs. Mais la communauté des Etats tant prisée échoue toujours sans tambour ni trompette quand elle se voit confrontée à des fauteurs de troubles assumés. Pour éviter que cela ne se voit, il y a bien le téléphone rouge, des votes critiques et une certaine agitation diplomatique, mais personne n’ose finalement brandir le fouet. 

L’Italie est pratiquement certaine qu’il n’y aura pas de réactions énergiques.

Les intérêts économiques égoïstes l’emportent sur les questions éthiques ou humanitaires et les changements sont donc rares ou extrêmement limités. On demande rarement des comptes à ceux qui agissent mal. Il n’est donc pas étonnant que l’Italie se soucie également peu de l’opinion de l’Europe à son égard. Car elle est pratiquement certaine qu’il n’y aura pas de réactions énergiques. L’Italie peut elle aussi mener la communauté par le bout du nez dans une relative impunité. Sachant qu’une escalade coûterait cher à tout le monde, l’Italie fataliste prend même le risque d’une escalade potentielle.

Lignes rouges 

Il y a une raison simple au fait que l’Italie puisse se permettre d’agir ainsi. De par sa longue expérience, le pays sait que les règles sont également établies pour être contournées ou, pour forcer un peu moins le trait, pour être interprétées avec souplesse. L’UE ayant défendu le traité de Maastricht jusqu’à l’absurde pendant de nombreuses années, elle ne doit pas s’étonner que plus personne ne le respecte. Et mimer à présent la surprise face au comportement incorrigible du gouvernement italien est au moins aussi hypocrite et mesquin que l’attitude de l’Italie. Quiconque érige des lignes rouges mais n’en sanctionne pas le franchissement est finalement aussi coupable lorsque celles-ci sont durablement ignorées. Les parents sont particulièrement bien placés pour savoir qu’une fois n’est pas coutume n’est pas sans conséquence. Le contraire devient ensuite rapidement la norme. Une seule fois peut déjà être la fois de trop, comme nous le découvrons une fois de plus actuellement. Voyons si les marchés financiers parviennent à resserrer les lignes. Nous ne semblons pas du tout en prendre le chemin. Et la baisse pointe déjà le bout de son nez.

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