Turquie: la banque centrale relève son taux à 24%

AWP

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Le relèvement de 625 points de base surprend les marchés et fait immédiatement rebondir la livre après sa chute liée aux propos du président Erdogan.

La banque centrale de Turquie a fortement relevé jeudi son principal taux directeur dans un effort pour endiguer la hausse rapide de l’inflation et stopper la chute de la livre turque, en dépit de l’opposition affichée du président Recep Tayyip Erdogan.

La CBRT a annoncé dans un communiqué qu’elle relevait de 625 points de base à 24% son taux directeur, ajoutant, comme pour signifier son indépendance, qu’elle continuerait d’«utiliser tous les leviers disponibles pour assurer la stabilité des prix». 

L’ampleur du relèvement dépasse les attentes des marchés qui plaident pour une telle mesure afin de lutter contre l’inflation. La mesure a donc été accueillie positivement: la livre turque a ainsi bondi jusqu’à 5% face au dollar après l’annonce de la banque centrale. A 11H15 GMT, elle s’échangeait à environ 6,15 contre un billet vert.

L’économie turque a été secouée ces derniers mois par l’effondrement de la monnaie nationale, sur fond de défiance des marchés à l’égard des politiques économiques d’Ankara et de tensions diplomatiques avec Washington.

La livre turque a perdu environ 40% de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année, l’inflation en rythme annuel frôlait en août les 18% et certains experts mettent d’ores et déjà en garde contre un risque de récession.

Afin de remédier à la situation, de nombreux économistes appellent depuis des mois à une hausse significative des taux d’intérêt de la CBRT.

Mais celle-ci est sous forte pression du président Erdogan qui prône le maintien de taux d’intérêt bas pour soutenir la croissance à tout prix.

«Mes réserves au sujet des taux d’intérêt demeurent, elles n’ont pas changé. (Mais) la banque centrale est indépendante et prend ses propres décisions», a-t-il encore déclaré jeudi matin, à quelques heures de l’annonce de la CBRT.

Apaiser

Face à la chute de la monnaie turque et dans un contexte de campagne électorale pour la réélection de M. Erdogan, la banque centrale avait décidé des hausses de ses taux en mai et juin, mais à des niveaux jugés insuffisants par les marchés.

Son refus de réitérer cette mesure lors de la réunion de son comité de politique monétaire en juillet avait été très mal perçu et renforcé les inquiétudes quant à son indépendance.

Mais, après l’annonce du taux d’inflation du mois d’août la semaine dernière, la CBRT avait assuré qu’elle prendrait «les mesures nécessaires pour soutenir la stabilité des prix» et que «l’orientation monétaire serait ajustée» lors de la réunion de jeudi.

Cette déclaration avait été interprétée avec optimisme par les marchés avant la réunion de jeudi, et contribué à stabiliser la livre turque ces derniers jours.

Si plusieurs économistes s’attendaient à une hausse significative des taux d’intérêt, d’autres se voulaient prudents, ayant été plusieurs fois déçus par la banque centrale turque.

Les investisseurs et économistes qui appellent à «une hausse agressive» des taux d’intérêt «seront très probablement déçus», estimait ainsi Anthony Skinner, du cabinet de consultants en risques Verisk Maplecroft, avant l’annonce jeudi.

Il soulignait toutefois qu’en vue des élections municipales de mars 2019, M. Erdogan souhaite limiter la contraction économique, un élément pouvant élargir la marge de manoeuvre de la CBRT pour apaiser en partie le marché des devises.

Court terme

Certains observateurs soulignent que la CBRT procède depuis août à une hausse indirecte de certains taux en imposant par exemple aux banques d’emprunter via les prêts au jour le jour, dont le taux est actuellement à 19,25%, contre 17,75% pour le principal taux d’intérêt.

La hausse de 625 points de base suffira-t-elle à rassurer les marchés? Avant l’annonce, Nora Neuteboom, d’ABN Amro, estimait que même une hausse de 600 points de base ne rassurerait les marchés que sur le court terme.

«La Turquie a besoin de plus que la seule boîte à outils de la politique monétaire pour recentrer son économie sur la croissance à long terme», expliquait-elle à l’AFP.

«Elle a d’abord besoin de stabilité (géo)politique, de ne plus avoir de conflit avec les Etats-Unis et d’un plan de réforme économique clairement défini», selon elle.

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