Zone de turbulence pour les entreprises suisses

Salima Barragan

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«Les CFO suisses souhaitent remédier aux perspectives négatives grâce à des stratégies d’expansion», affirme Jean-François Lagassé de Deloitte Suisse.

Multiplications des risques géopolitiques et conflits commerciaux, les prévisions économiques pour 2020 sont négatives. Pourtant, c’est le risque d’un raffermissement du franc suisse - une valeur refuge en temps incertains – qui reste la préoccupation principale des CFO suisses. Pour l’année prochaine, un grand nombre table sur un recul des marges bénéficiaires, des effectifs et dans une moindre mesure des investissements. C’est en substance ce qu’a révélé l’enquête auprès des CFO publiée cette semaine par le cabinet de conseil Deloitte Entretien avec Jean-François Lagassé, Associé chez Deloitte Suisse. 

Les perspectives des entreprises suisses sont très pessimistes. Quels éléments ont majoritairement été mis en avant par les CFO interrogés?

Notre sondage effectué auprès des directeurs et responsables financiers de grandes entreprises révèle en effet un pessimisme de plus en plus marqué. L’année dernière à la même époque, 70% des CFO suisses estimaient que les perspectives financières de leur entreprise pour les 12 mois à venir étaient positives. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 50%. De même, ils étaient 40% l’année dernière à considérer que l’incertitude dans leur environnement économique était élevée. Ils sont aujourd’hui 67%. Le risque le plus souvent mentionné est le franc fort. Le franc suisse est considéré comme une monnaie refuge et l’accroissement des risques à l’international peut entraîner une hausse de son cours. C’est donc le franc qui rend les tensions internationales, conflits géopolitiques ou commerciaux, aussi menaçantes pour l’économie suisse et ses entreprises. Or ces conflits se sont multipliés au cours de l’année, expliquant logiquement la hausse du cours du franc. Sans intervention de la Banque nationale suisse, cette appréciation aurait été encore plus forte.

Pour la première fois depuis 2017, les CFO évoquent des pressions sur les marges qui passent en territoire négatif.  Pourtant les chiffres d’affaires restent globalement positifs. Comment l’expliquez-vous?

En effet pour la première fois depuis 2017, les CFO évoquent une pression sur les marges, toutefois modérée en comparaison avec le choc du franc suisse en 2015. Les prévisions en matière de chiffre d’affaires et, dans une moindre mesure, d’investissement, restent positives, malgré un net recul dans presque toute l’Europe.

Les préoccupations concernant la
pénurie de travailleurs qualifiés subsistent.
Quelles en seront les conséquences sur le marché de l’emploi?

La majorité des CFO suisses s’attendent à une réduction de leurs effectifs. 35% s’attendent à ce que leur entreprise emploie moins de collaborateurs d’ici un an contre 30% qui prévoient une augmentation du nombre d’employés. En dépit de baisses quasi-continues, les entreprises restent majoritairement prêtes à recruter. Par ailleurs, les préoccupations concernant la pénurie de travailleurs qualifiés subsistent et les CFO se disent à la recherche de main-d’œuvre qualifiée, notamment pour mener à bien leur transformation numérique.

17% des CFO sondés s’attendent à une récession en Suisse d’ici deux ans, bien que notre pays soit mieux loti que nos voisins européens. Quelles sont les conclusions de l’étude?

Les CFO s’attendent à un ralentissement de la croissance économique mais pas à une récession en Suisse. Les prévisions de croissance officielles du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) confirment cette tendance. Après une année de reprise en 2018, la croissance retombe et les prévisions ont été revues à la baisse. Mais malgré cette perte d’optimisme, une grande majorité des CFO suisses ne prévoient pas de récession au cours des deux prochaines années.

Quels seront les dommages collatéraux à long terme d’une «japonisation» de l’économie si la politique des taux d’intérêts négatifs perdure?

Les taux d’intérêts négatifs affectent principalement la performance des banques, des assurances et des caisses de pension dont les revenus sont, en partie, dépendants des marges d’intérêts. Ainsi l’accroissement de la réglementation et les taux d’intérêts négatifs ont un double impact sur la performance des banques et sociétés d’assurance qui pourraient se trouver dans une situation financière précaire si cela devait perdurer. De plus, le taux de couverture des caisses de pension est également affecté par les taux négatifs.

Première des trois exigences essentielles des CFO:
un renforcement durable de la relation entre la Suisse et l’UE.
Comment les entreprises helvétiques pourront-elles répondre aux défis croissants et au risque d’un franc fort?

La majorité des CFO en Suisse souhaitent remédier aux perspectives négatives des entreprises grâce à des stratégies d’expansion. Pour répondre aux défis croissants qu’elles rencontrent, les entreprises suisses entendent contrôler davantage leurs dépenses et réduire leurs coûts; il s’agit là de leur principale stratégie. Plus important encore: la transformation numérique et le besoin de main-d’œuvre qualifiée.

La nouvelle législature sera une opportunité pour la Suisse de progresser. Quelles sont les attentes des CFO vis-à-vis du nouveau parlement?

Les CFO ont des attentes très claires vis-à-vis du nouveau parlement, parmi lesquelles trois exigences essentielles: un renforcement durable de la relation entre la Suisse et l’UE, la viabilité financière des services sociaux et l’accès aux marchés étrangers pour les entreprises suisses. Ces trois sujets auraient pu être traités plus efficacement au cours de la précédente législature. Il est impératif d’agir rapidement. A ce sujet, notre CEO, Reto Savoia, a récemment déclaré: «Je constate que les thèmes privilégiés par les CFO, à savoir les relations avec l’UE, les marchés étrangers et la protection sociale, sont les mêmes qu'au début de la dernière législature. Certes, l’adoption surprenante de l'initiative contre l'immigration de masse il y a cinq ans s’est finalement concrétisée de façon favorable à l’économie, mais les relations avec l'Europe ne sont toujours pas tout à fait viables et l'accès au principal marché des entreprises suisses n'est pas suffisamment sécurisé sur le plan contractuel. Au cours de la législature écoulée, la droite bourgeoise majoritaire n'a pas produit de grandes avancées et a manqué plusieurs occasions de réformer et alléger économiquement les entreprises. Par conséquent, les attentes des CFO vis-à-vis du nouveau Parlement, aujourd’hui orienté plus à gauche, n'ont pas été revues à la baisse».