Vers une prévoyance individualisée

Nicolette de Joncaire

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«Les assurés devraient pouvoir déterminer plus librement leur stratégie de placement, selon leurs besoins» estime Jörg Odermatt de PensExpert.

En septembre 2017, l’échec du projet de loi, Prévoyance 2020, a laissé entier le problème d’une AVS en berne. Malgré ses réticences, le peuple suisse devra tôt ou tard prendre position car, d’ici une douzaine d’années, les caisses AVS seront vides. «Le projet de loi, qui présentait des solutions efficaces - où tout semblait dépendre de tout - était trop complexe à valider» estime Jörg Odermatt, directeur général de PensExpert, spécialiste des solutions de prévoyance individualisées. Les changements se feront par petits pas, avec une réforme de l’AVS en priorité. Quant à une réforme du 2e pilier, celle-ci devra vraisemblablement attendre cinq, voire 10 ans.

Comment pérenniser les retraites en Suisse?

L’échec de 2017 a démontré que le peuple suisse n’est manifestement pas prêt à voter une refonte de grande ampleur. Il est toutefois, à mon sens, disposé à une réforme de l’AVS. Il faudra donc procéder par étapes en priorisant l’AVS dont la situation va rapidement devenir intenable. Tout particulièrement en raison, notamment, de la baisse relative des contributions: il y a dix ans, le rapport contributeur/bénéficiaire était de quatre à un, il est aujourd’hui de deux à un et continue à se réduire. Il sera donc nécessaire d’augmenter aussi bien les contributions des employeurs que celles des employés. Je regrette à ce propos la réduction de la TVA de 0,3% dès janvier 2018. Il aurait fallu, que la hausse prévue dans Prévoyance 2020, soit maintenue, indépendamment des autres dispositions contenues dans le projet, car le trou de l’AVS continue à se creuser. 

Devrait-on repousser l’âge de la retraite et réduire les cotisations des seniors, afin de les encourager à poursuivre leur période d’activité ?

Sans aucun doute. La retraite des femmes devra rapidement être portée à 65 ans. A terme, l’âge de la retraite pour tous devra passer à 66 ou 67 ans. Mais en réalité, la question de l’âge de la retraite n’est qu’un élément de l’équation. La question soulevée est plutôt: comment améliorer ma prévoyance? Aujourd’hui, par exemple, celui qui part à la retraite à 63 ans et décide à 65 ans de reprendre une activité professionnelle,  ne peut plus continuer à cotiser au 2e pilier. Du point de vue de la prévoyance, il n’y a donc aucune incitation à le faire. De même, une personne qui cumule plusieurs postes auprès de différents employeurs cotisera moins – voire pas du tout si aucun de ses salaires n’atteint le seuil minimum LPP – que celui qui perçoit un revenu global similaire, mais auprès d’un seul employeur. Les réponses à ces questions ne se trouvent pas uniquement dans un départ à la retraite différée, mais dans un système plus flexible, qui offre une plus grande marge de manœuvre selon les situations professionnelles et personnelles de chacun. Les solutions existent, mais la loi – et plus particulièrement les dispositions fiscales – doit s’adapter à l’évolution de la société. Le système doit être repensé. 

Avec une performance des obligations d'Etat de 1 à 2%,
le taux de conversion se situerait entre 5 et 5,5%.
Selon le politicien Jacques Neirynck, le taux de conversion du deuxième pilier devrait s’élever à 4,76% et non à 6% comme le prévoyait le défunt projet Prévoyance 2020. Quel devrait être ce taux de conversion compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie? 

Cette hypothèse est basée sur des taux d’intérêt de la Confédération à 0%. Il est vraisemblable, compte tenu de l’évolution des taux, que la performance des obligations d’Etat sera de 1 à 2% dans les dix prochaines années. Alors le taux de conversion, de manière acceptable, se situerait entre 5 et 5,5%. Notez toutefois, comme l’a démontré l’échec du projet Prévoyance 2020, que le peuple suisse – et en particulier les retraités de demain – n’est pas disposé à accepter, sans autre, une réduction du taux de conversion.

Vous croyez donc à une hausse possible des taux d’intérêt à terme?

Je l’espère pour les caisses de pension et les assurés, même si cela ne compensera pas la surévaluation du taux de conversion. Ceci dit, une hausse ne dépend pas uniquement de la situation en Suisse mais également de la conjoncture internationale: le départ de Mario Draghi de la Banque Centrale Européenne en septembre 2019 ou l’imprévisibilité de la politique de Donald Trump, sont des facteurs d’incertitudes supplémentaires. Pour répondre à leurs engagements envers les assurés, notamment en période d’instabilité, les caisses de pension ont tout intérêt à conserver un portefeuille d’actifs diversifiés, basé sur l’immobilier, les placements alternatifs et les actions. Les assurés bénéficiant d’un plan de prévoyance cadres seront mieux armés pour faire face à la prochaine crise économique ou financière, puisqu’ils pourront adapter leur propre stratégie de placement en fonction du marché et de leurs propres besoins. 

«N’oublions pas que les assurés
sont propriétaires de leurs fonds de pension.»
Quels sont, selon vous, les plus grands défauts du système actuel de retraite?

Il est trop standardisé, insuffisamment flexible. Le conseil financier ne se focalise pas suffisamment sur la prévoyance alors que les fonds de pension suisses totalisent des actifs de plus de 800 milliards. Si la caisse de pensions d’une entreprise regroupe 100 assurés, ils sont tous traités de manière uniforme alors que chaque assuré devrait pouvoir choisir efficacement sa propre stratégie. En effet, son âge, le moment auquel il choisira de prendre sa retraite, sa volonté d’investir dans un bien immobilier ou non, sont des facteurs déterminants. N’oublions pas que les assurés sont propriétaires de leurs fonds de pension. N’est-il pas normal qu’ils puissent en jouir plus librement, en décidant des titres dans lesquels ils désirent investir leur deuxième pilier? 

Vous plaidez en faveur de solutions plus flexibles et en offrez un certain nombre.

Effectivement, pour la partie surobligatoire (part du salaire dépassant le seuil de 126'900 francs), la Fondation PensFlex offre aux employeurs différentes solutions de prévoyance individualisées pour leurs cadres. Cela leur permet de déterminer librement, dans un esprit d’entreprise, leur stratégie de placement, en fonction de leur aptitude au risque et de leurs besoins. C’est ce qu’on appelle un plan «Bel Etage». L’assuré a ainsi le choix entre différents placements durables et alternatifs ou encore des solutions mixtes de gestion active et passive. En tant que propriétaire, il peut également placer une partie de ses avoirs LPP dans un fonds hypothécaire, destiné à sa résidence principale ou secondaire, ou encore à un immeuble de rendement. Ces solutions sont par ailleurs bien plus transparentes pour l’assuré, qui reçoit à la fin de l’année son propre relevé de dépôt, incluant les résultats et les coûts liés à ces investissements. Malgré les nombreux atouts qu’offrent ce type de solutions, la législation demeure encore trop restrictive. Les marges de manœuvres sont bien trop limitées. Cela illustre pourtant à quel point une plus grande flexibilité est nécessaire pour répondre aux besoins des assurés, qu’ils soient entrepreneurs, cadres salariés ou encore indépendants.