Une stratégie active reste indispensable pour investir en Chine

Yves Hulmann

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Selon Jing Ning, gérante chez Fidelity International, le marché chinois des actions n’est pas encore aussi efficient qu’en Europe et aux Etats-Unis.

Les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine ne sont pas uniquement due à l’arrivée au pouvoir de Donald Trump mais elles s’inscrivent dans un contexte de rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis dans plusieurs domaines, notamment dans les technologies. Selon Jing Ning, gestionnaire de portefeuille chez Fidelity International, ce secteur, même s’il a été mis à mal par l’affaire Huawei, offre actuellement des opportunités intéressantes, notamment s’agissant des fournisseurs de hardware et des équipementiers.

Début juin, la Banque Mondiale a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour l’économie mondiale et pour la Chine. En 2019, la croissance du produit intérieur brut (PIB) chinois devrait atteindre 6,2%, contre une prévision précédente de 6,3%, avant de ralentir ensuite à 6% en 2020. A quoi faut-il s’attendre pour la croissance en Chine durant la prochaine décennie?

Il ne faut bien sûr plus s’attendre à ce que le PIB chinois retrouve des niveaux de croissance de l’ordre de 10% par an. Ce mouvement de décélération de la croissance chinoise s’observe depuis plus d’une décennie et cette tendance va se prolonger – ce qui est logique compte tenu de l’évolution de la structure de l’économie chinoise. On est passé d’un taux de croissance de 10% en 2008 à 6,6% en 2018 et on s’oriente en direction d’une croissance d’environ 5 à 6% à l’horizon 2025. 5% correspond au taux de croissance naturelle de l’économie chinoise au milieu de la prochaine décennie. Différents facteurs – l’évolution des tensions commerciales, l’évolution de la conjoncture aux Etats-Unis, en Europe ou en Asie – feront que ce taux dépassera ou sera inférieur à 5%, mais cela ne changera pas la tendance de fond.

Il est important de replacer les tensions commerciales
actuelles dans une perspective de long terme.
Des mesures de relance sont-elles mises en place pour favoriser la croissance en Chine actuellement?

Bien sûr, diverses mesures ont été mises en place mais celles-ci visent surtout à améliorer les conditions cadres de l’économie chinoise – non pas à relancer à tout prix la croissance. La Chine investit pour continuer d’améliorer ses infrastructures, les impôts sont abaissés pour les entreprises, notamment via la réduction de la TVA ou la diminution des frais administratifs pour les entreprises privées. L’idée est ici d’améliorer le cadre dans lequel évoluent les entreprises et la qualité de vie dans son ensemble. En revanche, il ne faut pas s’attendre à des mesures de relance similaires à celles qui avaient été mises en place en 2008, sous forme de programmes d’investissements massifs dans les infrastructures.

Le dossier des tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine connaît jour après jour de nouveaux rebondissements. Comment analysez-vous l’évolution des relations entre les deux pays à ce sujet?

Il est important de replacer les tensions commerciales actuelles dans une perspective de long terme. La dynamique entre les Etats-Unis et la Chine a changé ces dernières années. Il y a davantage de disputes, moins de collaboration, la relation entre les deux pays est devenue plus compétitive que par le passé – et cela même avant l’arrivée du gouvernement en place actuellement.

Les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis ne sont donc pas uniquement une «Trump story»?

C’est peu probable. Même si un président différent est élu à la tête des Etats-Unis d’ici moins de deux ans, il y aura toujours des groupes de pression aux Etats-Unis qui chercheront à imposer des tarifs douaniers plus élevés sur certains produits et qui auront intérêt à ce que les tensions commerciales continuent.

Apple vend peu de produits directement sur le marché chinois,
tout comme Huawei fait peu d'affaires aux Etats-Unis.
Pourquoi?

La Chine et les Etats-Unis se comportent un peu comme un vieux couple qui a beaucoup d’intérêts communs mais aussi des désaccords. Ils ne s’entendent plus vraiment mais ils restent néanmoins ensemble à cause de l’enfant – et dans ce cas, l’enfant est l’économie. Les entreprises américaines ont massivement investi en Chine par le passé dans toutes sortes de sites de production. Actuellement, la Chine n’est toutefois plus seulement un fournisseur efficient de produits bon marché – mais aussi un sérieux concurrent. Avant, les Etats-Unis voyaient la Chine un peu comme un fournisseur à bas coûts, qui avait en plus l’avantage de maintenir l’inflation à un niveau très faible. Maintenant, les deux pays sont rivaux dans un nombre croissant de domaines.

Pensez-vous en particulier au secteur de la technologie?

C’est un bon exemple de secteur où les entreprises américaines et chinoises se concurrencent toujours plus fortement – même si ce n’est pas directement sur le marché de l’autre pays. Par exemple, Apple vend peu de produits directement sur le marché chinois, tout comme Huawei fait peu d'affaires aux Etats-Unis.

Ou a lieu cette concurrence alors?

La concurrence entre ces deux entreprises, si l’on garde l'exemple des technologies, est intense sur des marchés tels que l’Inde, l’Indonésie, en Afrique et dans certains pays européens. Même chose si l’on compare Alibaba et Amazone : ces deux sociétés ne pas directement concurrentes sur le marché nord-américain. En revanche, elles le sont en Indonésie, en Inde, etc. C’est pourquoi les tensions commerciales entre les deux pays ne vont pas disparaître d’un seul coup par la simple conclusion d’un accord. Et c’est aussi pourquoi beaucoup de grandes entreprises sont déjà en train de réorganiser leur chaîne globale d’approvisionnement. Certaines activités sont transférées de Chine vers des pays comme le Cambodge par exemple.

Les investisseurs ont tout intérêt à suivre une courbe
d’apprentissage très graduelle plutôt que de se précipiter.
Dans cet environnement de marché, quels secteurs ou type d’entreprises avez-vous ajouté ou retiré récemment de votre portefeuille?

Même si cela peut surprendre, nous sommes plutôt positifs à propos de certaines valeurs technologiques. Beaucoup de sociétés technologiques affichent désormais des évaluations raisonnables, le marché étant assez baissier à propos de ce secteur, notamment suite aux démêlés concernant Huawei. Quand je parle de valeurs technologiques, je ne pense toutefois pas aux géants du secteur tels que Tencent ou Alibaba – ces deux sociétés sont du reste sous-pondérées par rapport à l’indice dans notre fonds – mais plutôt à des entreprises qui fournissent la technologie hardware nécessaire, par exemple des équipementiers, et qui tirent parti des importants investissements qui ont lieu dans les technologies en Asie actuellement.

On voit apparaître toujours plus d’indices qui intègrent des actions chinoises dans leur composition. Peut-on «acheter» la Chine à l’aide d’ETFs?

S’agissant des actions chinoises, les investisseurs ont tout intérêt à suivre une courbe d’apprentissage très graduelle plutôt que de se précipiter. Le marché chinois des actions n’est pas encore aussi efficient qu’en Europe et aux Etats-Unis et il est souvent marqué par des phases de volatilité importantes. C’est pourquoi, je n’investirais pas actuellement dans les actions chinoises via un indice – je pense qu’une stratégie active reste indispensable pour investir dans les valeurs chinoises.