Un filtre sur le marché des actions suisses

Salima Barragan

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Nicolas Bürki de Mirabaud Asset Management estime que l’optimisme a fait place au pessimisme. Ce qui devrait favoriser le SMI.

En 2018, le SMI s’est montré plus résilient que les autres indices européens grâce à sa composition défensive. Ainsi, un pessimisme durable et une détérioration des nouvelles macro-économiques devraient jouer en sa faveur. Selon Nicolas Bürki, portfolio manager et analyste actions suisses chez Mirabeau Asset Management, le marché a anticipé des hypothèses négatives.

Comment expliquez-vous la résilience du SMI en 2018 comparé à l’Eurostoxx 50 ou au Dax?

Elle provient de la nature même de la composition de l’indice. Les titres défensifs Nestlé-Novartis-Roche, qui pèsent 51,2% de l’indice, ont fait mieux que résister en affichant des progressions pour Novartis (+5,8%) et Roche (+2,5%) tandis que Nestlé reculait peu (-1,8% y compris le dividende). D’ailleurs, c’est pour sa structure défensive que certains stratèges avaient surpondéré la Suisse. Mais le réveil de la pharma, malgré les craintes concernant des baisses de prix mentionnées par Donald Trump, a été une des surprises de 2018. Ce secteur, qui avait pourtant mal commencé en début d’année, a connu une évolution positive. Lonza, bien que volatile, a aussi eu un bon comportement. Notons aussi des valeurs comme Swiss Life (+14,0%), Zurich Assurances (+4,8%), Swiss Re (+4,0%) et Givaudan (+3,9%) qui sont les autres titres de l’indice SMI® ayant réalisé des performance positives. Enfin, l’aspect monétaire a également joué en faveur du SMI avec unfranc suisse affaibli contre euro mais resté stable, voire légèrement haussier, contre le dollar, ce qui avantage les entreprises suisses exportatrices vers la zone dollar.

En 2018, l’indice SMIM, qui compte les 30 valeurs
principales de moyennes capitalisations, a chuté de 18,9%.
Est-ce que la structure de l’indice et l’effet devise devraient continuer de jouer en faveur des investisseurs?

La composition de l’indice n’a pas changé depuis l’introduction de Lonza et Sika en remplacement d’Actelion et Syngenta en mai 2018, donc si les conditions actuelles se poursuivent, oui. Novembre et décembre ont été décevants, après le creux saisonnier d’octobre. En 12 à 18 mois, un optimisme élevé à fait place au pessimisme qui a gagné beaucoup d’investisseurs. Ainsi, les mauvaises nouvelles micro-économiques ou macro-économiques devraient favoriser l’indice suisse qui compte moins d’entreprises cycliques comme les valeurs bancaires que d’autres indices nationaux. En revanche, si le franc devient un refuge cela affectera l’indice, mais d’après nos vues sur les devises, il devrait rester stable vis-à-vis de l’euro et légèrement baissier contre le dollar.

Revenons à 2018, une année de dispersion dans les performances, où certaines petites et moyennes capitalisations ont cédé plus de trois-quarts de leur valeur. Comment l'interprétez-vous?

En 2018, l’indice SMIM, qui compte les 30 valeurs principales de moyennes capitalisations, a chuté de 18,9%. Effectivement, AMS a perdu 73%, GAM 74% et Arizta 86%. La contraction du multiple de valorisation en 2018 a été très nette. En janvier, le P/E à 12 mois était de 24x, puis est redescendu en fin d’année à 18x, soit une baisse de 26%. La compression des multiples au sein du SMI a été moins impressionnante (16,6 à 13,6 soit -18%). Depuis l’automne, les bénéfices estimés pour les sociétés moyennes ont baissé d’environ deux à trois pourcents. Cette disproportion entre les multiples et les estimations des bénéfices indique une nette transition de l’optimisme au pessimisme. Les marchés sont devenus moins chers alors que les résultats restent corrects. Reste à voir si les indicateurs de confiance ou les sondages se détériorent. Le marché a anticipé des hypothèses négatives et il est devenu plus avantageux.

Les effets de la guerre commerciale, du ralentissement des économies chinoise et européenne se sont déjà matérialisés sur le secteur industriel, le plus large de l’indice SMI, qui a déjà corrigé de 24% en 2018. Est-ce que l’ensemble du secteur est condamné à sous-performer?

Ce secteur regroupe 60 valeurs, soit environ un tiers des sociétés cotées, qui sont principalement des multinationales. Il est donc très diversifié. Certaines ont un profil intéressant car elles sont dans le domaine de l’évolution technologique, donc moins connectées à la macro globale. Nous avons aussi des leaders de marché. Bien sûr, ces sociétés ne peuvent totalement échapper aux facteurs d’influence globale. Komax, qui produit des faisceaux électriques pour le secteur automobile, profite de la transition vers des voitures hybrides et électriques. Même si le secteur automobile se comporte mal, sa force réside dans le fait qu’elle propose une technologie de transition contrairement à une société comme Autoneum, qui fabrique des éléments d’isolation phoniques, et dépend donc plus directement du nombre de voitures vendues. Les sociétés, qui sont des leaders de marché et actives dans la transition technologique, devraient s’en sortir avec des performances supérieures, voire positives.

Aujourd’hui, les grandes banques suisses
se traitent en-dessous de leur valeur comptable. 
Qu’en est-il de la biotech suisse, pourtant l’un des favoris de l’année passée?

Ce secteur est très endogène. Il se résume à une poignée de sociétés indépendantes du cycle économique mais dépendantes de leurs innovations. Il est devenu un peu plus important mais aussi plus médiatisé avec l’entrée de BB Biotech dans le SMIM.Il évolue aussi en parallèle au secteur américain qui a connu un très mauvais quatrième trimestre 2018 avec une compression de la valorisation.

Certaines valeurs bancaires, comme Credit Suisse malgré sa restructuration réussie, ont été lourdement dévalorisées. Pourquoi le secteur bancaire a-t-il été le grand perdant de 2018?

En 2018, les banques sont sorties de leur phase transitoire comme Credit Suisse dont le nouveau directeur général est arrivé au terme de la première phase de restructuration. Mais elles ont souffert d’un double levier. Les incertitudes ont rendu leurs clients moins actifs et le volume des actions échangées, dont elles sont tributaires, ont diminué. Les multiples des bénéfices ont parallèlement aussi été orientés à la baisse avec la diminution de l’appétit au risque des investisseurs. Aujourd’hui, les grandes banques se traitent en-dessous de leur valeur comptable. Pour UBS, nous payons 93% de sa valeur comptable et pour Credit Suisse seulement 69%.

Comment sélectionnez-vous des actions suisses dans un climat de pessimisme?

Nous sommes devenus plus attentifs au levier des bilans et nous nous assurons que les sociétés ont un réel pouvoir de négociation pour répercuter dans leur prix l’augmentation des matières premières et des salaires. D’autres angles nous semblent pertinents pour juger les sociétés comme une bonne position concurrentielle et une moindre sensibilité au cycle économique. Pour la saison des résultats qui commence, les sociétés devraient émettre des perspectives prudentes et leur ton sera probablement plus neutre. Nous constatons qu’il y a très peu de tolérance de la part du marché pour les nouvelles et résultats inférieurs aux attentes.