S’isoler de la volatilité?

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

La résilience du private equity devrait être supérieure à celle des marchés cotés. Entretien avec Eric Deram de Flexstone Partners.

Le private equity est différent des classes d’actifs soumises aux marchés. Il supporte mieux les crises à court terme. Pour mémoire, entre le 30 septembre 2007 et le 31 mars 2009, le S&P 500 avait perdu quasiment 60% de sa valeur alors que l’index de Private Equity chutait de moins de 30%. Sa volatilité est nettement inférieure pour des raisons à la fois techniques et fondamentales. Ses avantages? Il évite les mouvements de panique sur les marchés secondaires et, quand l’impact de l’affolement se fera sentir, le redémarrage sera déjà amorcé. Ce qui le distingue surtout: l’engagement des investisseurs dans la création de valeur des entreprises. Ne lui prêtons cependant pas toutes les vertus. Entretien avec Eric Deram, CEO de Flexstone Partners.

Le private equity est-il moins vulnérable que les classes d’actifs cotés?

N’étant pas soumis aux valorisations quotidiennes, il limite les mouvements de panique et donc la volatilité. Ajoutons un élément qui me parait clé: l’engagement des investisseurs dans la création de valeur des entreprises. Très présents sur le contrôle des sociétés, les gérants peuvent contribuer rapidement aux décisions managériales nécessaires à la survie des entreprises. Les intérêts des investisseurs, des gérants et des dirigeants de sociétés sont alignés.

«Les fonds de PE bénéficient de montants de l’ordre de 1’400 milliards
de dollars levés dans les 2 ou 3 dernières années.»
N’existe-t-il pas cependant des problèmes de liquidité?

Pas à l’heure actuelle. Les fonds de PE bénéficient de montants de l’ordre de 1’400 milliards de dollars levés dans les 2 ou 3 dernières années dont une partie n’est pas investie. Ces capitaux en réserve – appelés dry powder dans le métier – leur permettront à la fois de soutenir les sociétés en difficulté et de procéder à de nouveaux achats le moment venu. La situation est similaire pour les fonds de dette privée qui détiennent environ 800 milliards de prêts non utilisés. C’est une différence considérable avec la crise de 2008, époque à laquelle ces fonds étaient loin d’être aussi bien dotés. Par ailleurs, les sociétés couvertes par le capital-investissement sont plus résilientes que les autres: celles qui étaient en difficulté en 2008 sont toujours là 10 ans plus tard. Bien évidemment, plus la crise dure, moins la situation deviendra rattrapable. N’oublions pas que certaines sociétés ont un chiffre d’affaires égal à zéro depuis le début de la crise.

Comme en 2008, le private equity ne sera-t-il pas tout de même victime de la récession qui touchera davantage les entreprises de taille modeste que les géants cotés?

Certes mais il existe un certain nombre d’éléments contextuels qui jouent en sa faveur. Les gérants de fonds sont mieux équipés qu’en 2008 sur le plan opérationnel, plus à même de guider les sociétés de leur portefeuille. Les banques sont mieux capitalisées que lors de la dernière crise et subissent une pression plus forte de la part des Etats pour soutenir les entreprises. Les gouvernements ont d’ailleurs réagi beaucoup plus rapidement qu’en 2008-2009. Un grand nombre de prêts comportent moins de restrictions et sont donc plus faciles à renégocier. Sans oublier que les taux d’intérêts sont nettement plus bas que lors de la crise précédente (le Libor se situait à1,7% fin janvier contre environ 5% à fin 2007). Et, comme déjà évoqué, les fonds de Private Equity, de secondaire et de dette privée disposent aujourd’hui de capitaux non investis très significatifs leur permettant, au besoin, de recapitaliser les sociétés qui en auront besoin.

«Nous sommes confiants sur trois mois, mais que dire sur 6 mois ou sur un an?»
Quels seraient les points les plus inquiétants? Parlons d’abord des entreprises.

Il ne s’agit pas d’une crise de liquidité mais bel et bien d’un arrêt total et brutal de pans entiers de l’économie et ce au niveau mondial. Par conséquent, les questions à se poser sont: combien de temps peuvent survivre les PME avec de telles réductions de chiffre d’affaires, même en tenant compte des aides étatiques. Nous sommes confiants sur trois mois, mais que dire sur 6 mois ou sur un an? Les niveaux d’activité reviendront-ils à ceux «d’avant» et à quelle vitesse? Quelle sera la «nouvelle normalité» et les plans d’affaires sur lesquels ont été bâtis certaines thèses d’investissement resteront-ils d’actualité?

Et sur le plan des fonds eux-mêmes?

Là aussi les interrogations sont nombreuses. Les marchés cotés ont perdu jusqu’à 35% au creux de la vague en mars. Quel sera l’impact sur la valorisation des portefeuilles non cotés qui utilisent pour certains la méthode des comparables boursiers? Quel sera le comportement des préteurs qui, en 2008/2009, étaient essentiellement des banques avec des équipes de crédits aguerries et sont, aujourd’hui, surtout des fonds qui n’existaient pas pour la plupart avant la dernière crise. Des équipes qui n’ont jamais eu à gérer une crise de cette ampleur sont-elles équipées pour traiter la pression à venir? Vont-elles en profiter pour saisir les entreprises à bon compte? Sait-on d’ailleurs vraiment mesurer le niveau d’endettement total en Private Equity à ce jour? Comment réagiront les investisseurs quand les gérants feront des appels de fonds pour rembourser les lignes de crédits? Et enfin, quid du fameux «effet dénominateur»1 qui avait fait tant de ravages en 2008 et 2009?

«Les sociétés investies en 2009 se sont montrées extrêmement rentables.»
Même inférieurs aux investissements boursiers, les risques sont donc sérieux mais qu’en est-il des opportunités?

Les valorisations sont en baisse et les opportunités d’achat innombrables. Notez que l’on constate une corrélation inverse très forte entre volumes de PE et rendements: par exemple, les sociétés investies en 2009 se sont montrées extrêmement rentables. Nous pouvons augurer que les fonds investis en 2020 et 2021 feront preuve d’un rendement comparable.

Encore faut-il cibler juste?

Nous nous plaçons sur le secteur des small et mid caps européennes d’une valeur de l’ordre de 500 millions d’euros avec des gérants locaux plutôt que sectoriels. Ils n’investiront pas sur la seule base d’une valorisation basse mais sur des perspectives à long terme solides. Il va être essentiel de bien analyser les plans d’affaire et de faire le tri. Ceux de bien des sociétés sont devenus caduques.

 

1 A fin 2008, un grand nombre de souscripteurs institutionnels a liquidé une partie des placements en PE car ils avaient atteint leur allocation maximale en non-coté, l'«effet dénominateur» augmentant mécaniquement la part du «private equity», en cas de contraction des marchés boursiers.

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