S’habituer à des rendements plus bas

Yves Hulmann

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A la tête de Schroders en Suisse, Andreas Markwalder estime qu’atteindre un rendement de 3% par an est déjà un défi pour les institutionnels.

Schroders aime se présenter en tant que gérant d’actifs avec une banque plutôt que l’inverse. En Suisse, où l’établissement est présent depuis 1967 avec l’ouverture de la Schroder & Co Bank SA, la société compte désormais parmi les principaux gérants de fortune du pays avec des actifs sous gestion dépassant les 31 milliards de francs à fin 2018. Depuis le tournant du millénaire, Schroders a renforcé sa présence en Suisse dans la gestion d’actifs en rachetant Swiss Re Funds Asset Management en 2008, puis en prenant une participation dans Secquaero (2013) ainsi que dans le spécialiste du capital-investissement Adveq. Aujourd’hui, ses clients sont pour moitié issus du domaine institutionnel et pour moitié d’autres type d’établissements («Wholesale»). Andreas Markwalder, directeur (CEO) de Schroders Investment Management (Switzerland), fait le point sur les défis qui se posent dans le domaine institutionnel et des assurances.

Dans l’étude Schroders Institutional Study 2018, qui tient compte des anticipations des investisseurs issus de 157 sociétés d’assurance provenant de 15 pays, il est frappant de constater que 40% des investisseurs sondés anticipent désormais des rendements annuels moyens inférieurs à 5% durant les cinq prochaines années, comparé à 22% un an plus tôt. N’y a-t-il pas actuellement un pessimisme exagéré concernant les rendements à attendre à l’avenir?

Non, ces anticipations s’inscrivent dans le contexte de taux d’intérêt toujours extrêmement bas en comparaison historique – et qui le resteront encore probablement longtemps. Plusieurs aspects vont dans ce sens: la Réserve fédérale américaine a maintenant repoussé l’éventualité de toute hausse de taux d’intérêt jusqu’à 2020. En matière de finances publiques, les Etats ne peuvent pas se permettre de laisser les taux remonter. On assiste ainsi à une importante redistribution qui va des épargnants vers les preneurs de crédit. Les épargnants, tout comme les gens qui ont souscrit à des polices d’assurance, ressortent perdants de cette situation.

La seule chose susceptible de remettre en question le très faible niveau actuel
des taux d’intérêt serait un changement d’attitude des épargnants ou des investisseurs.
Des taux aussi bas reflètent l’absence actuelle de pressions inflationnistes. Un fort rebond des cours du pétrole ou des prix des matières premières pourraient un jour remettre en question cette situation.

Actuellement, aucun élément concret ne va dans ce sens. La seule chose susceptible de remettre en question le très faible niveau actuel des taux d’intérêt serait un changement d’attitude des épargnants ou des investisseurs. Si un jour, les épargnants se mettent à penser que le système actuel ne peut pas tenir sur la durée, ils exigeront une meilleure rémunération de leurs avoirs, ce qui, au final, pourrait conduire à une perte de confiance dans la politique monétaire des banques centrales. Mais, on n’en est pas là! Actuellement, il est vraisemblable que les taux d’intérêt continueront de se maintenir à des niveaux très faibles.

En matière d’allocation d’actifs, que peut-on faire pour contrebalancer la faiblesse actuelle des rendements des placements?

La marge de manœuvre est limitée. Lorsque les taux d’intérêt se situent à quasi zéro, voire sont négatifs comme en Suisse, vous pouvez au mieux atteindre des rendements proches de zéro en ce qui concerne la partie obligataire. S’agissant de l’immobilier, vous pouvez espérer atteindre des rendements d’environ 3% par an. Avec les actions, déjà évaluées à des niveaux élevés historiquement, il sera peut-être possible d’atteindre un rendement annuel d’environ 5%. Si l’on prend pour hypothèse une allocation d’actifs incluant un tiers du portefeuille à chacune de ces trois catégories de titres, vous parvenez à un rendement d’ensemble de l’ordre de 2 à 2,5% en francs suisses.

Pas davantage?

Avec de bons choix d’investissement, vous pouvez faire un peu mieux, par exemple vous approcher des 3% - mais il sera très difficile d’obtenir un rendement allant au-delà de ce seuil sans encourir des risques beaucoup plus importants. C’est pourquoi, il n’est, à mon sens, pas surprenant que 40% des investisseurs issus du secteur de l’assurance anticipent des rendements annuels moyens de leurs placements inférieurs à 5% au cours des cinq prochaines années. En outre – et c’est un point important à mentionner –, ces anticipations de rendement reflètent les attentes d’investisseurs répartis dans différentes régions du globe, où les taux d’intérêt sont parfois encore significativement plus élevés qu’en Suisse. Atteindre un rendement de 5% est actuellement plus facile pour un investisseur aux Etats-Unis que s’il est basé en Suisse ou en Allemagne par exemple, où les taux sont beaucoup plus bas qu’outre-Atlantique. Il n’existe aujourd’hui plus vraiment d’endroit où l’on peut se cacher – «There is no place to hide» –, comme disent les Anglo-Saxons.

Deux aspects doivent être pris en compte: d’une part, il y a la réglementation.
D’autre part, il faut aussi tenir compte de l’horizon d’investissement.
L’étude mentionnée se rapporte avant tout aux attentes de rendement des assureurs. Les caisses de pension qui, elles, disposent d’un horizon de placement à plus long terme ne peuvent-elles pas investir différemment – par exemple en recourant davantage aux placements alternatifs?

Il est bien sûr possible de placer une partie de la fortune dans d’autres actifs comme le private equity ou les hedge funds. Mais ici, deux aspects doivent être pris en compte: d’une part, il y a la réglementation, car les caisses de pension ne peuvent allouer qu’une part limitée de leurs actifs dans cette catégorie de placements. D’autre part, il faut aussi tenir compte de l’horizon d’investissement. Une personne âgée de moins de 40 ans peut certes décider d’encourir davantage de risques pour les avoirs placés dans son troisième pilier, en investissant une part élevée en actions ou en placements alternatifs par exemple. C’est moins le cas à 60 ans. En outre, en ce qui concerne les caisses de pension, il n’est possible de rester dans une situation de sous-couverture que durant une période limitée. Peut-être pendant deux à trois années, mais pas pendant dix ans!

Les caisses publiques ont davantage de flexibilité de ce point de vue.

Oui, mais même du côté des caisses publiques, les assurés ou les autorités ne tolèrent rarement qu’une situation de sous-couverture perdure longtemps. Il suffit de penser à ce qui s’est passé avec des institutions comme la caisse de pension des CFF il y a quelques années ou, plus récemment, avec la caisse de pension du canton de Fribourg qui a dû être assainie.

En termes d’allocation d’actifs, les assureurs ont moins de possibilités d’investir
dans les placements durables que d’autres catégories d’investisseurs.
Si l’on revient à l’aspect des placements alternatifs, quelles possibilités existent sur ce plan pour les investisseurs institutionnels?

Les caisses de pension ont l’avantage de pouvoir investir à long terme et de ne pas être soumises à des contraintes de refinancement – contrairement aux banques. Ainsi, il est sensé pour les assurances et les caisses de pension d’accorder des crédits à long terme à d’autres entités qui ont besoin d’argent. Il peut s’agir de crédits octroyés directement à des PME, sans intermédiaire bancaire. De prêts destinés au financement d’infrastructures, par exemple pour la construction ou la rénovation des systèmes d’approvisionnement en eau. Davantage de placements dans le capital-risque sont effectués. En termes d’horizon de placement, le capital-risque est même prédestiné pour les caisses de pension ou assureurs, à condition que l’objectif soit d’accroître le capital confié à ces structures, non pas que l’argent soit utilisé comme une forme de promotion économique. Il faut en outre que la diversification soit suffisante: c’est pourquoi il me semble sensé qu’une caisse de pension commence par investir dans le capital-risque au début via des fonds faîtiers.

Dans sa première partie, l’étude Schroders Institutional Study 2018 abordait aussi la question de la durabilité. Observe-t-on d’importants changements sur ce plan par rapport aux années précédentes?

D’un côté, on observe une plus grande sensibilité générale à cette question – avec 73% des répondants qui jugent cet aspect comme étant plus important pour les cinq prochaines années. De l’autre, la durabilité n’est pas encore placée au cœur du processus d’investissement que pour un tiers (33%) des sondés. Cela représente, certes, une amélioration par rapport à l’an précédent (24% en 2017) mais il ne s’agit pas encore d’un critère central dans le processus d’investissement des assurances interrogées. En termes d’allocation d’actifs, les assureurs ont moins de possibilités d’investir dans les placements durables que d’autres catégories d’investisseurs, comme les gérants de fortune ou des personnes individuelles, principalement en raison de la part importante de leur portefeuille investie en obligations. Le choix de fonds obligataires, qui satisfont aux critères ESG, n’est pas encore aussi vaste que dans le domaine des actions.