Réflexions sur la fin du cycle

Nicolette de Joncaire

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Contraction du bilan des banques centrales et essoufflement de l'économie US pourraient en marquer le terme selon Didier Borowski d’Amundi.

 

Chef économiste d’Amundi, Didier Borowski, juge que la tendance économique actuelle aux Etats-Unis pourrait se prolonger jusqu’en 2019 voire au-delà. Ce qui en ferait le plus long cycle de l’histoire américaine. En corollaire, les marchés d’actions peuvent aussi continuer de progresser cette année, faisant également de ce cycle boursier un cycle hors norme. Cependant, il ne faut plus tabler sur des évolutions des bourses aussi directionnelles qu’au cours des dernières années. La volatilité est de retour et va rester élevée en raison des nombreuses incertitudes. En particulier, le cycle économique peut venir se briser ultérieurement, notamment s’il y a concordance entre ralentissement économique (fin des effets de la stimulation fiscale) et dégonflement du bilan des banques centrales. Avec probablement un moment de vérité au second semestre 2019, lorsque les conditions de crédit se seront durcies. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de voir la volatilité remonter.

Pourquoi un cycle boursier haussier si durable?

L’inflation est devenue structurellement plus faible, si bien que les conditions monétaires et financières restent très accommodantes malgré une situation de quasi plein emploi dans certains pays (Etats-Unis, Allemagne, Japon). Sans compter que de nombreux pays, notamment dans la zone euro, sont encore loin du plein emploi. En outre, on constate un aplatissement de la courbe de Phillips qui illustre une relation normalement négative entre le taux de chômage et l'inflation; dit autrement, les salaires montent peu même quand le chômage est très faible. Pour plusieurs raisons, dont la globalisation et la robotisation, le pouvoir de négociation des salariés s’est affaibli et les modalités de partage des fruits de la croissance se sont modifiées en faveur des profits d’entreprises et au détriment des revenus salariaux. Toutefois, bien que les créations d’emploi touchent plutôt des postes peu qualifiés, donc très vulnérables, la pénurie de main d’œuvre devrait finir par mener à des hausses de salaires. Sur ce point, les yeux sont désormais rivés sur l’économie américaine, qui est la plus en avance dans le cycle.

«Les banques centrales sont condamnées
à n’élever leurs taux directeurs que très graduellement.»
Vous évoquez un affaiblissement de l’inflation structurelle.

Il convient d’abord de noter que l’équilibre entre inflations cyclique et structurelle s’est modifié. Les prix de nombreux biens et services ne répondent pas ou peu à la position de l’économie dans le cycle. Si l’inflation cyclique a repris et pourrait même s’accélérer, l’inflation «structurelle» a, pour sa part, chuté. A cela, plusieurs causes: déflation du prix des biens liée à la mondialisation, effet Amazon*, baisse des coûts de santé liée à la règlementation aux Etats-Unis. Sans y être pour l’heure, le risque existe d’entrer dans une phase de japonisation lors du prochain grand choc qui peut faire resurgir des pressions déflationnistes d’autant que les contraintes liées à un endettement excessif peuvent se réveiller si la croissance ralentit et que les taux augmentent en raison, par exemple, d’une augmentation des primes de risque exigées par les investisseurs. Les banques centrales sont donc condamnées à n’élever leurs taux directeurs que très graduellement si elles veulent éviter un ébranlement grave des conditions de crédit. C’est la raison pour laquelle elles resteront «derrière la courbe». Le discours de la Banque centrale européenne est, à cet égard, très marquant. Le programme d’achat d’actifs** ne s’éteindra que si l’inflation sous-jacente remonte; or elle est aujourd’hui excessivement faible (1%). Et malgré un output gap déjà fermé, la BCE ne relèvera les taux que «bien après» la fin de ce programme d’achat. Aux Etats-Unis, l’inflation est aux environs de 2%, inférieure à sa moyenne historique de 2,5%, et ce malgré une croissance qui atteindrait, selon Amundi, de l’ordre de 2,9% cette année (soit près de 1pt de pourcentage au-dessus de son potentiel), une économie mature, le plein emploi et un output gap fermé. 

Les chiffres de plein emploi américain sont-ils réellement représentatifs?

Le taux de chômage n’est pas la bonne mesure, on le sait. Il y a peut-être encore un peu de mou sur la marché du travail, ce point est en débat mais il est clair que le taux de participation de la population active est en train de se redresser et que d’ici peu l’économie américaine sera au plein emploi.

«Il ne faudrait pas que l’embellie cyclique
nous fasse oublier les défis de moyen terme.»
Quand risque-t-on d’assister à la fin du cycle boursier?

Un durcissement des conditions monétaires pourrait en signifier le terme. Les conditions financières resteront vraisemblablement souples jusqu’à fin 2018, particulièrement en Europe. Le moment de vérité viendra sans doute en 2019, notamment si la contraction du bilan agrégé des grandes banques centrales coïncide avec des signes d’essoufflement du cycle économique aux Etats-Unis. Par ailleurs, il ne faudrait pas que l’embellie cyclique que nous connaissons nous fasse oublier les défis de moyen terme: montée des inégalités et du sentiment populiste, vieillissement de la population, faible productivité,  dégradation de l’environnement et changement climatique; nous sommes entrés dans une phase beaucoup plus incertaine et le plus frappant est que les  marchés financiers ne semblent pas s’en préoccuper outre mesure. Il en résulte parfois un excès de complaisance: les marchés sont trop sensibles au présent, au risque d’ignorer la toile de fond. Que se passera-t-il si le ralentissement économique se combine avec le dégonflement du bilan des banques centrales? Quelle sera la politique américaine lors de la prochaine récession ou crise? En particulier, la stimulation fiscale, telle que celle lancée par Donald Trump, en pleine période d’expansion ne présente-telle pas un risque à moyen terme, celui de ne plus avoir de marges de manœuvre suffisantes pour endiguer la prochaine récession ou crise? Comment les agents les plus endettés (dont les Etats) vont-ils se désendetter si la croissance potentielle reste faible en raison du vieillissement de la population et de gains de productivité affaiblis? A bien des égards, nous sommes entrés en territoire inconnu. Du jamais vu. 

Avec quel impact sur le dollar?

C’est toute la question. En théorie, le dollar aurait dû s’apprécier avec la politique économique actuelle. Mais comme je le notais,  c’est la première fois qu’une hausse du déficit budgétaire - qui pourrait atteindre 5% du PIB d’ici à 2019 - se produit quand le chômage continue de baisser. Une telle stimulation pro-cyclique – même si elle est bénéfique à court terme l’activité – nuit à la crédibilité de la politique économique américaine. La balance commerciale, la balance des revenus et le déficit budgétaire vont se dégrader simultanément. Dit autrement, des vents contraires vont souffler sur le dollar. En l’absence d’une hausse de taux d’intérêt réel significative – qui est peu probable selon nous – la détérioration des déficits jumeaux risque d’affaiblir davantage le billet vert.  

* En permettant une meilleure comparaison des prix, la concurrence en ligne est susceptible de réduire l'indice des prix des dépenses de consommation personnelle.
** APP ou Asset purchase programmes.