Miser sur des sociétés qui ont valeur d’exemple

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Pour Ryan Smith de Kames Capital, exclure des entreprises d’un univers d’investissement ne suffit pas à rallier les clients à la finance durable.

C’est en 1989, l’année de la chute du mur de Berlin, que Kames Capital avait lancé son premier fonds éthique en actions. Aujourd’hui, la société britannique gère quelque 2,5 milliards de livres dans le cadre de ses fonds éthiques et durables. Par la suite, la société a aussi lancé en 2000 un fonds éthique dédié aux obligations d’entreprises, puis elle a signé dès 2008 les Principes des Nations Unies pour l’investissement responsable. Comment Kames Capital observe-t-elle l’évolution actuelle dans la finance durable? Entretien avec Ryan Smith, responsable de la recherche ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), ou «Head of ESG Research», chez Kames Capital, qui fait partie du groupe néerlandais Aegon Asset Management qui gère 339 milliards d’euros et emploie un peu plus de 1200 collaborateurs à travers le monde.

Kames Capital est actif dans le domaine de l’investissement durable depuis trente ans. Sans remonter aussi loin, qu’est-ce qui a le plus changé dans le domaine de l’investissement durable au cours des dix dernières années?

Bien entendu, l’investissement durable est un sujet qui fait l’objet de beaucoup plus d’attention actuellement qu’il y a dix ou quinze ans. On voit maintenant parfois des fonds, déjà été lancés sur le marché, qui sont rebaptisés avec une appellation allant davantage dans ce sens. Certains gérants, qui n’ont pas toujours la préparation nécessaire, se lancent aussi dans l’investissement durable. Sur une période de dix ans, je dirais que l’on est passés de la phase initiale qui a suivi la crise financière - où l’on mettait avant tout l’accent sur les aspects liés à la gouvernance d’entreprise - à la période actuelle - où les questions liées à l’environnement ou au climat recueillent le plus d’attention.

«Nous ne pensons pas qu’il soit possible d’appliquer une même
méthodologie pour toutes les entreprises et tous les secteurs.»

Maintenant, je ne dirais pas qu’il y a eu forcément un moment pivot où tout a changé d’un instant à un autre. C’est plutôt un processus qui s’est construit peu à peu. Ce qui est certain, c’est qu’un nombre croissant de gens envisagent désormais d’investir dans les placements conformes aux principes ESG. On accorde aujourd’hui davantage d’importance au fait de savoir où va l’argent investi, comment il est utilisé, quel est son impact sur la société en général et l’environnement, etc.

Pour évaluer une entreprise du point de vue ESG, utilisez-vous votre propre grille d’analyse avec un score «maison» ou recourrez-vous à des notes calculées par des agences externes?

Notre approche est un peu plus subjective que cela. Certes, nous avons accès à toutes sortes de notations attribuées par des agences de notation ou des sociétés de recherche tierces. Nous les utilisons toutefois plutôt comme une sorte de décor en arrière-plan. Nous ne pensons pas qu’il soit possible d’appliquer une même méthodologie valable pour toutes les entreprises et tous les secteurs. Si l’on veut faire véritablement une différence en tant qu’investisseur durable, il faut avoir une idée précise de ce dans quoi on investit. Ajouter une ou deux grandes capitalisations, comme Unilever par exemple, dans son portefeuille uniquement parce qu’elles ont obtenu une bonne note de durabilité de la part d’une agence ne fait pas véritablement sens en termes d’investissement durable.

Que se passe-t-il si une agence de notation abaisse la note de durabilité d’une société qui fait déjà partie de vos investissements? Allez-vous renoncer à investir dans une telle entreprise?

Nous n’avons été que très rarement confrontés à une telle situation. C’est plutôt l’opposé qui s’est souvent produit – à savoir qu’une société, dans laquelle nous avions déjà investie, obtienne ensuite une meilleure notation en matière de durabilité de la part d’une agence. Mais c’est peut-être une simple coïncidence. De manière générale, nous investissons souvent dans des sociétés même si celles-ci n’ont pas encore réussi à «cocher toutes les cases» en rapport avec la gouvernance d’entreprise – surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises encore jeunes et innovantes. Il est aussi important d’observer si une entreprise s’améliore ou non en termes de gouvernance.

«Il est essentiel de dire pourquoi
nous voulons investir dans telle ou telle société.»
Vous investissez de manière globale. Est-il possible d’évaluer les sociétés issues des pays émergents de la même manière que dans les pays développés. Allez-vous aussi investir dans des sociétés indiennes ou brésiliennes jugées satisfaisantes en termes de durabilité?

Nous investissons dans trois régions différentes – l’Union européenne, l’Amérique du Nord et l’Asie-Pacifique. En Asie, nous n’investissons généralement pas en Inde car il y a juste trop d’incertitudes pour savoir si ces sociétés satisfont ou non à nos critères de durabilité et il existe souvent d'autres opportunités sur d'autres marchés sans prendre de tels risques. En plus, il y a une question de coûts d’opportunité – pour un effort de recherche moindre, nous pouvons investir dans des sociétés disposant d’un profil équivalent ailleurs.

De manière générale, en matière d’investissements durables, je pense qu’il est essentiel de dire pourquoi nous voulons investir dans telle ou telle société - d’expliquer aux investisseurs quel est le bénéfice apporté par cette entreprise à ses clients et à la société en général. Se contenter d’expliquer aux investisseurs pourquoi nous évitons d’investir dans telle ou telle société ou tel secteur ne fait rêver personne! 

Pouvez-vous citer quelques exemples récents de domaines dans lesquels vous avez investi?

Nous avons par exemple investi dans une société américaine appelée Insulet, qui fabrique de nouveaux systèmes qui permet de délivrer l’insuline aux patients. Ceux-ci sont beaucoup plus efficaces et améliorent la qualité de vie des patients. Toujours autour du thème de la santé, nous avons investi dans une société appelée Technogym qui fabrique des appareils sophistiqués pour les salles de fitness. De même, nous avons investi dans Planet Fitness qui propose une offre de fitness à très faibles coûts et sans nécessité d’être membre aux Etats-Unis. C’est important car les Américains se rendent peu dans les salles de sport comparé à d’autres régions du monde. Cela a donc aussi un apport pour toute la société.