Les start-up suisses qui challengent la finance traditionnelle

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

A l’aide de la technologie de la blockchain, les frais d’émission peuvent être fortement réduits, selon Benjamin Trèves, d’Obligate.

Depuis que la plateforme de financement suisse Obligate été créée, en 2020, elle a émis pour 25 millions de francs d’émissions à court terme de 15 PME. La start-up, qui emploie 15 collaborateurs, dont l’essentiel à Zurich, n’en est qu'à ses débuts, ainsi que sa technologie. Elle s’appuie sur un régime légal solide et insiste sur ce point. D’ailleurs elle a été fondée par des avocats. Le modèle semble prometteur, mais il n’en est qu’à ses premiers pas. «Nous faisons partie des pionniers», déclare Benjamin Trèves, directeur général pour l’Asie d’Obligate et Chief business development officer. Benjamin Trèves, basé à Singapour, répond à nos questions lors d’une interview à Allnews:

En tant que Vaudois basé depuis des années à Singapour, que pensez-vous de la compétitivité de la place romande dans la finance décentralisée?

Beaucoup de PME souffrent de leurs difficultés d’accès aux financements et n’ont guère de solutions pour leurs financements externes. Nos solutions ne manqueront pas d’intéresser de nombreuses entreprises romandes. La Suisse romande a l’avantage de compter un grand nombre d’investisseurs ouverts à cette technologie, ainsi que j’ai pu en témoigner récemment à Genève. Nous sommes membre de la Crypto Valley Association et de la Swiss Finance + Technology Association.

Quelle est votre analyse du ralentissement de la croissance des financements de PME en Suisse?

L’environnement économique est plus incertain et caractérisé par une hausse des taux d’intérêt, ce qui réduit la propension au risque des entreprises, des banques et des investisseurs. Le financement des PME se complique. En Suisse comme ailleurs, l’accès des PME au marché des capitaux est très limité. Le financement est devenu extrêmement périlleux pour les plus petites d’entre elles. Nous essayons de répondre précisément à ce défi avec notre solution et notre technologie.

Pourquoi vous concentrez-vous sur les crédits à court terme?

Obligate a été créé en 2019 à une époque de taux d’intérêt négatifs, durant laquelle les investisseurs devaient payer sur leurs dépôts. Nous avons saisi cette opportunité et financé des projets à court terme sans passer par les banques. L’accès aux capitaux et la diversité des solutions de financements peuvent être offerts dans tous les environnements économiques, y compris si les taux d’intérêt augmentent.

Concrètement, quelle solution apportez-vous aux PME et à quel coût?

Nous utilisons la technologie de la blockchain pour réduire fortement les frais d’émission. Le coût de notre solution, très standardisée, s’élève à 50 points de base. Ce taux peut être réduit en fonction de la taille de la transaction. Il est supérieur si une garantie doit être associée et si une analyse de risque de crédit est nécessaire. Le coût maximal reste inférieur à 100 points de base (1%). Sur le marché bancaire, une PME ne peut guère obtenir moins de 2% à 2,5% pour le seul financement, sans parler des autres frais tels que juridiques. Nous pouvons donc réduire de 50 à 80% les frais d’émission. Nous ne parlons ici que des PME et non des multinationales comme Nestlé.

Comment pouvez-vous vous battre face au réseau des banques cantonales ou des grandes banques?

Elles ont un avantage d’accès, mais elles peinent à le monétiser auprès des PME. Elles préfèrent aussi se concentrer sur le potentiel de revenus des grandes entreprises. Comme nous offrons un service complémentaire, dans l’idéal, nous devrions coopérer avec les banques, ainsi que nous l’avons déjà fait avec Credit Suisse, Sygnum et la bourse SIX Digital Exchange.

Quelle est la taille moyenne des émissions?

Le montant minimal s’élève à 1 million de francs (ou d’euros dans l’UE), mais nous cherchons à relever ces montants. Nous coopérons ainsi avec des fintech effectuant des prêts à des PME. Nous tentons alors de les refinancer sur notre plateforme avec des obligations tokénisées.

Trois idées justifient ce désir de coopération: la réduction du coût de financement de la PME, une durée de financement équivalente à celle des prêts donnés aux PME, et la diversification des investisseurs.

Les PME ne sont pas souvent présentes dans la finance décentralisée. Un processus de formation est nécessaire sur la procédure, les risques et les avantages. Ce type d’obstacle est mois présent auprès des PME que des investisseurs.

Quel est le temps nécessaire entre la demande de fonds et la transaction?

Techniquement, cela peut être très rapide. Nous pouvons émettre une obligation sur Obligate en 3 minutes. La livraison de titres ne prend qu’une fraction de seconde. La technologie est plus performante que celle de la finance classique. La réalité est toutefois plus complexe puisqu’il faut prendre en compte la recherche d’investisseurs, l’analyse de crédit, la structuration de la transaction. Il faut 2 à 3 semaines. Tout n’est pas standardisé.

Quelle est la durée des prêts?

Les prêts sont à court terme, entre 3 et 12 mois. Ces prochaines années, nous espérons augmenter les échéances. Mais en ce moment, peu de solutions sont offertes à court terme pour les PME. En Suisse, aucune n’a accès au marché du commercial paper. Nous parlons de PME et non pas de start-up. Les start-up qui n’ont pas encore de cash-flow positif représentent un risque de fonds propres plutôt que de dette. Nous devons nous concentrer sur les entreprises qui ont une capacité de remboursement.

Quel est le risque encouru par l’investisseur? Existe-t-il un risque de contre-partie?

L’investisseur prend le risque de crédit de l’émetteur. Mais il n’y a pas de risque de contre-partie sur Obligate. Nous avons mis en place notre infrastructure sur une blockchain publique pour garantir la transparence. Nous ne participons pas directement au financement. Nous permettons aux investisseurs d’interagir directement avec des émetteurs. La clé est de comprendre le risque de crédit de l’émetteur, lequel suppose une analyse de crédit et de risque juridique.

Est-ce que les financements peuvent se faire en cryptomonnaies?

Nous utilisons des stablecoins, techniquement des cryptomonnaies stabilisées par des monnaies de réserves (franc, euro ou dollar). De cette façon, la livraison de titres peut être réalisée sur la blockchain instantanément et sans risque de livraison ou de contrepartie. Nous n’avons pas recours au système monétaire traditionnel.

Combien d’émissions pensez-vous lancer ces prochains mois?

Nous travaillons activement sur le lancement de 10 émissions. Le défi actuel consiste à élargir notre réseau et à augmenter le nombre de participants sur notre plateforme. Nous prévoyons une croissance exponentielle de nos émissions.

Au sein des émetteurs, nous coopérons avec des entreprises autant suisses qu’étrangères, qu’elles soient européennes, ou autres. Sur le plan sectoriel, il s’agit jusqu’ici d’une grande diversité industrielle (agriculture, négoce de matières premières, automobile). L’ajout de fintech devrait nous permettre d’accroître la taille des financements. Quant aux investisseurs, ils sont essentiellement individuels, mais nous cherchons à intéresser les institutionnels.

Quel est l’impact de la réglementation croissante sur votre activité?

Nous accueillons favorablement les nouvelles réglementations telles que la MiCA (pour les actifs numériques). Nous avons basé nos instruments sur la loi suisse sur la blockchain (loi sur la TRD du 18 juin 2021). Nos activités sont régulées. Il est crucial pour nous d’avoir une base légale pour émettre des instruments. Cela nous différencie de nombreuses solutions décentralisées d’autres pays.

Quel est votre principal avantage compétitif? la technologie, le réseau, les prix?

Nous sommes partis avec quelques longueurs d’avance. Les acteurs traditionnels du financement de PME ont pris note de l'émergence de nouvelles solutions numériques sont en train de s’apercevoir de la menace. Il nous appartiendra de faire croître notre réseau rapidement pour que notre avance puisse être monétisée. Notre atout provient de notre solution légale et standardisée, capable de s’appliquer au plan global avec une technologie de pointe. Le résultat se lit en termes d’efficacité, de temps et de coût d’émission.

Quels sont vos objectifs à cinq ans?

Nous sommes convaincus par les perspectives de la finance décentralisée. Elle sera de plus en plus efficace et automatisée grâce à la blockchain et aux nouvelles réglementations. Obligate, en tant que pionnier de ces instruments, entend conserver son rôle de leader.

L’innovation technologique ne se limite pas à la blockchain. Nous sommes en train d’utiliser l’intelligence artificielle dans nos processus, par exemple pour automatiser l’analyse de crédit.