Les signaux restent au vert en Europe

Yves Hulmann

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A la tête d’ODDO BHF Asset Management, Nicolas Chaput souligne que les économies du Vieux Continent restent orientés positivement.

 

Placée cette année sous le titre «Europe Great Again», les journées des investisseurs du gérant d’actifs ODDO BHF Asset Management ont délivré un message résolument positif jeudi et vendredi à Paris. Les économies de la France et de l’Allemagne affichent leurs taux de croissance les plus élevés depuis le début de la décennie, tandis que l’économie mondiale croît à nouveau aux environs de 4%, davantage que la moyenne de 3,6% observée durant la période qui a suivi la crise financière. Certes, les facteurs de risques ne manquent évidemment pas en 2018: mini-choc pétrolier ce printemps, recrudescence du protectionnisme et montée du populisme des deux côtés de l’Atlantique en constituent les principaux éléments à surveiller de près. A la tête du gérant d’actifs franco-allemand ODDO BHF Asset Management, Nicolas Chaput explique pourquoi les Européens ne doivent pas constamment se concentrer sur les aspects négatifs mais plutôt considérer la dynamique positive qui est à l’œuvre actuellement sur le Vieux Continent. Il décrit aussi l’importance du marché helvétique pour la société.

Nous Européens, on a plutôt tendance à se critiquer assez rapidement.
Au contraire de la mentalité générale américaine
Oddo BHF Asset Management a intitulé sa journée des investisseurs «Europe Great Again». Compte tenu de l’instabilité politique en Italie et de la crise gouvernementale que traverse actuellement l’Allemagne, avec de fortes tensions entre la chancelière et son ministre de l’Intérieur au sujet de la crise migratoire, n’est-ce pas un peu optimiste?

Nous avons choisi ce titre en réaction à une certaine attitude que l’on observe en Europe. En général, nous Européens, avons plutôt tendance à nous critiquer assez rapidement. Au contraire de la mentalité générale américaine qui est, elle, extrêmement positive. Pourtant, les aspects positifs ne manquent pas en Europe: aujourd’hui, la croissance y est à nouveau forte depuis plusieurs années – elle est la plus élevée depuis cinq, six ou sept ans. Dans ce contexte, je pense qu’il est aussi utile de rappeler que l’on se trouve dans un environnement mondial positif caractérisé par une croissance de près de 4%, tandis qu’elle se situe aux environs de 2% dans la zone euro, ce qui est, en relatif, élevé. En outre, les nouvelles à propos de l’évolution des bénéfices des entreprises européennes et de la zone euro sont en ligne avec ce que les sociétés avaient anticipé au premier trimestre – donc plutôt bonnes et en accélération. Nos gérants en actions disent que la plupart des directeurs financiers et responsables de sociétés du Stoxx 600 qu’ils rencontrent se montrent optimistes à propos de leurs carnets de commandes. Donc, la plupart des nouvelles macro-économiques sont plutôt optimistes.

Et qu’en est-il de la politique monétaire?

Du côté de la politique monétaire, Mario Draghi, le président de la BCE, fait toujours un travail fantastique. Il a réussi, jusqu’ici, un exercice de communication qui n’était pas simple. Celui-ci consiste à devoir annoncer à la fois un échéancier sur l’amenuisement du programme d’assouplissement quantitatif QE et, en même temps, de pouvoir dire que l’on se trouve toujours dans un environnement économique de bonne qualité mais qui doit toujours être contrôlé. Les marchés ont extrêmement bien réagi à cette communication. C’est un peu tout cela que nous avons voulu signaler en intitulant notre conférence «Europe Great Again». Nous avions envie de dire qu’il fallait arrêter de se concentrer uniquement sur ce qui ne va pas bien et de mettre toujours l’accent sur les épisodes de crise qui apparaissent ici ou là mais qu’il fallait, au contraire, plutôt prendre en compte l’ensemble de la dynamique qui est à l’œuvre dans la zone euro. Et encore une fois, la croissance économique de la zone euro n’a jamais été aussi forte depuis cinq ans, alors que l’on a observé une réduction du taux de chômage très importante dans de nombreux pays, notamment en Espagne. En outre, d’un point de vue politique, l’attelage franco-allemand continue à aller de l’avant. En plus, avec COP21, l’Europe continue d’aller de l’avant sur des problématiques fondamentales comme l’environnement et le climat, à la différence des Etats-Unis qui se sont désengagés de ces questions.

L’immigration, en elle-même, est plutôt
une chance économique.
Parmi les principaux sujets d’inquiétude des Européens figurant dans un document de présentation, il ressort que l’immigration est citée en premier lieu dans pratiquement tous les pays d’Europe, sauf en Espagne et en Pologne. Les dissensions à ce sujet ne constituent-elles pas un facteur de risque à même de déstabiliser la zone euro?

Il faut replacer le débat actuel au sujet de l’immigration dans la problématique plus large de la montée du populisme. Ce débat est aussi placé au cœur de l’actualité suite à certains événements qui font la une des journaux. En revanche, l’immigration n’est pas en elle-même un facteur de déstabilisation pour les marchés. Si vous parlez à des macro-économistes, ils vous diront plutôt que la décision d’Angela Merkel d’ouvrir le pays à un million de réfugiés en 2015 a été non seulement courageuse mais qu’elle profitera au pays sur le long terme.

Du point de vue des marchés, le sujet n’est pas l’immigration en elle-même mais le populisme ainsi que l’éventuelle instabilité politique d’un certain nombre de pays qui peut potentiellement en découler. Le résultat des élections récentes en Italie en constitue un exemple. On voit que quand il y a des élections en Italie, cela a un impact pendant quelques jours sur les marchés des actions européennes, sur la dette italienne, etc. L’immigration, en elle-même, est toutefois plutôt une chance économique, aussi compte tenu de la démographie sur le Vieux Continent.

La situation en Italie ne mérite-t-elle pas néanmoins qu’on y porte une attention particulière, compte tenu du poids de ce pays dans la zone euro?

Bien sûr, l’Italie est le pays de la zone euro qui fait la une des médias actuellement à cause des élections récentes. Tous les projecteurs sont actuellement braqués sur son nouveau gouvernement populiste, atypique en plus. Toutefois, d’un point de vue fondamental, il faudrait s’attarder surtout sur le fait que la croissance en Italie a été – durant vingt ans - la plus faible parmi les pays de la zone euro et cela en raison de problématiques structurelles qui n’ont pas été adressées à temps. C’est ça le vrai sujet – non pas les multiples changements de gouvernements. Le pays doit résoudre lui-même ses problèmes en mettant en place les réformes nécessaires, par exemple pour son système des retraites. Ce n’est pas Bruxelles qui peut le faire à sa place. L’Italie reste un pays clé à l’intérieur de la zone euro, avec une forte population et une grande densité d’entreprises.

Les marchés monétaires
ne rapportent plus rien.
En matière d’investissements, vous soulignez qu’il ne sert à rien d’avoir raison dans l’absolu à propos de telle ou telle classe d’actifs si ensuite les flux d’argent ne vont pas dans la même direction. Depuis le début de cette année, les flux d’investissements dans des fonds européens ont été inférieurs d’un tiers (-31%) à ceux observés durant la même période en 2017. Qu’est-ce qui pourrait inciter les investisseurs à placer davantage leur argent plutôt que de simplement le «parquer» en attendant?

De toute façon, on ne peut pas laisser dormir l’argent trop longtemps – l’argent qui dort ne rapporte rien! Après un très grand déploiement de liquidités observé en tout début d’année, le mouvement s’est interrompu. S’en est suivi trois phases d’incertitudes successives – après le choc de la volatilité début février, il y a eu la menace d’une guerre tarifaire déclenchée par les Etats-Unis puis le mini-choc pétrolier ce printemps. Cela explique que les investisseurs soient restés un peu en retrait en attendant qu’il y ait un peu plus de visibilité pour redéployer davantage d’argent. Cela viendra de manière quasi inévitable en raison du faible niveau des taux. Les marchés monétaires ne rapportent plus rien, la plupart des obligations souveraines de court terme génèrent des rendements négatifs et si vous laissez votre argent auprès de la BCE, il vous en coûte -0,4%.

Les investisseurs n’ont-ils pas été sérieusement refroidis par la correction des marchés des actions en février?

Non, on remarque que la plupart des anticipations des investisseurs sont majoritairement positives à propos des marchés des actions. Je pense que davantage d’argent va être replacé sur le marché des actions liquide. Je pense aussi que beaucoup d’argent ira aussi vers le private equity car c’est une bonne façon de pouvoir échapper au problème de l’évaluation mark-to-market et de la liquidité extrême et qui permet d’avoir une vision à moyen terme de ses rendements.

Oddo BHF bénéficie, grâce à sa double présence en France et en Allemagne, d’une position idéale au cœur de la zone euro. En même temps, n’y a-t-il pas pour votre société un risque de grande concentration des risques sur cette seule zone économique?

Je ferais deux remarques à ce sujet. Premièrement, je pense qu’il vaut mieux être très bon dans ce que l’on sait faire, plutôt que d’essayer d’être assez bon un peu partout. Je ne crois pas que l’on puisse être vraiment bon sur l’ensemble des marchés. Certaines sociétés essaient de l’être mais peu y parviennent! Je pense qu’il faut avoir l’humilité de dire qu’il y a, d’un côté, des choses que l’on maîtrise – les actions européennes, le crédit européen – et, de l’autre, d’autres choses que l’on sait moins bien faire.

Nous avons l’intention de renforcer
notre présence à Zurich.

Cela n’empêche pas qu’on puisse, deuxièmement, développer un savoir-faire dans des segments très spécifiques avec une exposition sur le plan mondial cette fois. C’est par exemple le cas de l’approche basée sur plusieurs classes d’actifs («multi-asset») ou du capital-investissement («private equity»). Dans ce dernier domaine, nous sélectionnons les meilleurs gérants du secteur du private equity à la fois en Europe et aux Etats-Unis. Sur des marchés très spécifiques, nous pouvons ainsi apporter des solutions d’investissement sur un plan global. Dans la gestion quantitative, nous avons par exemple un fond algorithmique consacré aux Etats-Unis.

Qu’en est-il des projets d’Oddo BHF sur le marché suisse?

Le marché suisse est pour nous historiquement très important car le premier bureau qu’Oddo a ouvert à l’étranger était justement en Suisse, à Genève. Dans la gestion d’actifs, la Suisse est le troisième ou quatrième marché le plus important pour Oddo BHF Asset Management.

On continue donc d’investir en Suisse où nous avons l’intention de renforcer notre présence à Zurich. En outre, je dirais que nous avons jusqu’ici eu une bonne réception de la part de la communauté financière en Suisse, aussi peut-être grâce à notre statut de société entièrement indépendante détenue par ses propriétaires historiques et ses cadres. Nous voulons être avant tout proches des besoins de nos clients sans avoir à rendre des comptes ensuite à une autre entité tierce. De plus, notre position assez unique d’«animal» franco-allemand un peu atypique est aussi bien perçue en Suisse.