Les obligations GCC se distinguent par leur caractère défensif

Yves Hulmann

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Dino Kronfol de Franklin Templeton Investments: «Les emprunts émis dans les pays du Golfe offrent une alternative aux obligations à haut rendement».

Le projet d’entrée en bourse du géant du pétrole Aramco a beaucoup retenu l’attention ces derniers mois. En termes d’investissement, les pays du Golfe offrent toutefois d’autres possibilités de placement pour les investisseurs étrangers, notamment dans le domaine obligataire. Les obligations GCC (Gulf Cooperation Council) - ou Conseil de coopération du Golfe, qui est composé de l'Arabie Saoudite, de Bahreïn, de Oman, du Qatar, des Émirats arabes unis et du Koweït – qui sont émises en dollars gagnent en attrait dans le contexte de taux d’intérêt toujours plus bas, voire négatifs pour une large partie des emprunts de catégorie «investissement» des pays industrialisés. Entretien avec Dino Kronfol, directeur des investissements pour les obligations Sukuk globales et les produits à revenu fixe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord («CIO, Global Sukuk and MENA Fixed Income») chez Franklin Templeton Investments.

En quoi les obligations GCC peuvent-elles intéresser des investisseurs basés en Europe ou aux Etats-Unis?

Dans un monde où les taux d’intérêt sont très bas - et où ils ont de bonnes chances de continuer de le rester -, les investisseurs sont plus que jamais à la recherche de nouvelles sources de rendement. Que ce soit en Europe, aux Etats-Unis et en Asie, une grande quantité d’obligations affichent des rendements qui continuent de baisser. Des obligations d’une valeur de quelque 15 trillions de dollars affichent désormais des rendements qui se situent en territoire négatif, à quoi s’ajoutent encore de nombreux autres titres qui se négocient avec des rendements très bas, inférieurs à 1,5%. On peut ainsi estimer qu’environ 40 à 50% des obligations mondiales proposent des rendements très bas, zéro ou négatifs.

Les emprunts des pays émergents sont constitués
à moitié d’obligations chinoises.
Quelles sont les alternatives qui s’offrent aux investisseurs?

Premièrement, il y a les obligations des pays émergents qui offrent des rendements plus élevés que dans les pays industrialisés mais qui comportent aussi davantage de risques, y compris en termes de variations de change. Deuxièmement, les obligations à haut rendement, soit celles qui ont des notes BB+ ou inférieures (Standard & Poor’s). Dans la première catégorie, il faut aussi considérer le fait que les emprunts des pays émergents, qui représentent un peu plus d’un cinquième (21%) du marché global des obligations, sont constitués à moitié d’obligations chinoises. Donc, si vous ne voulez pas investir dans de la dette chinoise, votre choix dans les obligations émergentes ne représentera plus qu’environ un dixième du marché obligataire total. Et il y a aussi l’aspect lié aux devises : sur la part totale de 21% se rapportant aux marchés émergents, 17% de ces emprunts sont émis en monnaies locales et seulement 4% en dollars ou dans d’autres «hard currencies». Cette dernière part inclut les obligations GCC qui, rappelons-le, sont libellées en dollars.

Le fait d’être libellées en dollars est donc l’un des principaux avantages des obligations GCC?

Oui, mais pas seulement. Les obligations GCC ont aussi l’avantage de présenter une qualité élevée et donc d’être aussi moins risquées de point de vue-là pour les investisseurs. S’y ajoute l’avantage, plus récent, de l’inclusion des obligations GCC dans les grands indices obligataires mondiaux. En effet, depuis 2019, les obligations GCC ont été intégrées pour la première fois dans l’indice JP Morgan EMBI Global Bond Market Index avec une part qui représente 14% de l’indice mais qui atteint 18% si l’on tient compte uniquement des titres faisant partie de l’univers investissement («investment grade»).

A quels types d’investisseurs s’adressent les obligations GCC?

Je dirais que ces obligations peuvent être utilisées dans le cadre de l’allocation d’actifs en produits à revenu fixe de n’importe quel investisseur. Les obligations GCC présentent des caractéristiques très défensives – au contraire de la dette émergente habituelle, où il y a des inquiétudes concernant la Chine ou l’évolution des devises. En résumé, les emprunts GCC ont, à mon avis, trois qualités essentielles pour les investisseurs : premièrement, leur faible volatilité. Malgré un niveau de rendement plus élevé, la volatilité des obligations GCC n’atteint que le tiers de celle des autres emprunts émergents. Deuxièmement, leur faible corrélation avec d’autres marchés, qu’il s’agisse des marchés émergents ou des pays industrialisés. Troisièmement, leur résilience durant les phases de turbulences sur les marchés. Durant les phases de forte correction sur les marchés, les obligations GCC résistent généralement bien.

La croissance annuelle du marché des obligations GCC
a dépassé les 6% par an depuis le début de la décennie.
Comment ont-elles réagi lors des attaques de drones contre des installations pétrolières en Arabie saoudite à la mi-septembre?

C’est un épisode intéressant à observer. Quand on évoque la région du Golfe, les gens pensent immédiatement aux risques géopolitiques, au terrorisme ou aux fortes variations des prix du pétrole. Or, la réaction des prix des obligations GCC a été très faible durant les jours qui ont suivi. En termes d’investissement, les emprunts GCC ont – pour les trois raisons que j’ai évoquées précédemment – même permis aux investisseurs obligataires de réduire les risques dans leur portefeuille, tout en améliorant leur rendement. Et cela s’est vérifié non seulement au cours des derniers mois mais aussi au cours de plusieurs épisodes survenus au cours de cette décennie. La croissance annuelle du marché des obligations GCC a dépassé les 6% par an depuis le début de la décennie marquée par différentes phases de tension, qu’elles se rapportent à l’évolution des marchés globaux comme le «Taper Tantrum » en 2013, l’effondrement des prix du pétrole en 2015, ou à des crises d’ordre géopolitique, comme les guerres en Syrie ou au Yémen.

Quelle est la structure du marché des obligations GCC?

Sur un marché total de 450 milliards de dollars répartie entre environ 140 émetteurs, les obligations gouvernementales représentent le tiers du marché, la part émise par les entreprises constituant les deux tiers restant. Toutefois, même à l’intérieur de cette catégorie, il s’agit d’emprunts émis par des entreprises avec un caractère quasi-étatique, par exemple des compagnies aériennes, des banques ou des exploitants d’infrastructures.

Comment se répartissent-elles en termes de notation?

La moyenne est proche de «A», ce qui signifie qu’il s’agit d’un marché bénéficiant, pour l’essentiel, de notations élevées de la part des agences de notation.

Quelle est la part du secteur de l’énergie sur le total de ce marché?

Elle est très petite. Le seul émetteur en lien avec ce secteur est Aramco. En plus, on peut observer qu’un investisseur qui a investi dans les marchés émergents en général, par exemple via un indice, est davantage exposé au secteur de l’énergie que s’il avait investi dans des obligations GCC. La corrélation entre l’évolution des prix du pétrole et celui des obligations GCC est quasiment de zéro.

Quelle est votre appréciation générale de la situation dans la région du Golfe?

Il est important de relever que les pays du Golfe poursuivent leur agenda de réformes structurelles. Cela concerne diverses mesures en faveur de la diversification hors du secteur de l’énergie, un cadre permettant d’attirer davantage les investissements étrangers, le retrait de subventions accordées à certains domaines, etc. Globalement, le marché des obligations GCC offre des opportunités similaires aux investisseurs que cela avait été le cas pour ceux qui ont investi durant la phase de décollage de certains pays émergents d’Amérique latine, d’Asie. Les gens qui ont investi tôt dans ces marchés ont été capables de capturer une plus grande partie de la phase de croissance initiale.

Le redimensionnement à la baisse de l’IPO d’Aramco – soit 25 milliards de dollars levés au lieu de 100 milliards espérés initialement - n’est-elle pas un signe que les attentes étaient parfois trop élevées envers les pays du Golfe?

Effectivement, les montants levés ont été inférieurs à ce qui était espéré au départ. Toutefois, à ce sujet, je pense que les médias ont été parfois sans pitié envers Aramco. D’une part, ce sont tout de même 25 milliards qui peuvent être réinvestis dans l’économie, ce qui n’est pas rien. D’autre part, il ne faut pas oublier que Aramco a encore la possibilité de placer d’autres tranches de titres sur d’autres marchés ultérieurement. Quand vous avez un projet, vous devez toujours faire des changements au cours de celui-ci et continuer à avancer - cela ne veut pas dire que c’est un échec.