Les obligations d’entreprise résistent à la hausse des taux

Yves Hulmann

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Les investisseurs ne différencient pas assez emprunts d’Etat et obligations d’entreprise. Une erreur selon Jeremy Cunningham de Capital Group.

De passage en Suisse à l’occasion du lancement d’un nouveau fonds axé sur le marché mondial des obligations d’entreprise, Jeremy Cunningham, directeur d’investissement obligataire chez Capital Group, analyse l’impact de la récente hausse des taux des emprunts d’Etat outre-Atlantique sur les marchés. Il explique pourquoi les obligations émises par les entreprises n’ont pas été affectées de la même manière que les emprunts souverains. Entretien.

La correction des marchés des actions survenue début février a été déclenchée notamment par la hausse des taux des obligations souveraines aux Etats-Unis, reflétant les anticipations d’une hausse plus marquée que prévue des taux par la Réserve fédérale. Les taux des bons du Trésor à dix ans ont grimpé d’environ 2,4% début janvier à 2,84% début février, avec en corolaire une baisse du prix des emprunts souverains. Comment les obligations d’entreprise ont-elles réagi face à cette situation?

Quand vous observez l’évolution des rendements des obligations d’entreprise de fin décembre 2017 jusqu’à la mi-février, on constate que le rendement excédentaire ou «excess return», – soit, si vous enlevez la partie correspondant aux variations des taux d’intérêt – a été positif pour les obligations d’entreprise. Quand vous considérez une obligation d’entreprise, il y a deux éléments qui contribuent au rendement: il y a premièrement, le mouvement des taux d’intérêt et, deuxièmement, le risque de crédit. En tant qu’investisseur, vous êtes rémunéré pour ces deux risques. Or, si vous prenez en compte le seul critère du rendement excédentaire pour les obligations d’entreprise, celui-ci a été positif pour la période allant du début de l’année à ces derniers jours.

«Deux éléments contribuent au rendement:
le mouvement des taux d’intérêt et, le risque de crédit.»
Les investisseurs ne se sont donc pas détournés des obligations d’entreprises malgré la nervosité accrue sur les marchés?

En effet, on a observé deux réactions différentes pour les emprunts souverains, d’un côté, et les obligations d’entreprise, de l’autre. Du côté de la dette souveraine, comme les bons du Trésor à dix ans, il est clair que lorsque les taux sont montés, comme cela a été le cas en janvier, les prix des emprunts ont baissé. En ayant seulement des emprunts du gouvernement, votre rendement aura été négatif durant cette période.

Et avec des obligations d’entreprise?

Les obligations d’entreprise ont évolué de manière relativement stable durant cette période. Si vous considérez le seul risque de crédit – qui mesure combien vous êtes payé en tant qu’investisseur pour le risque de crédit que vous encourrez –, le spread est resté relativement stable. En fait, vous avez même obtenu un rendement positif sur votre investissement. Donc, même si les marchés des actions ont traversé une période vraiment difficile, caractérisée par beaucoup de volatilité, les obligations d’entreprises s’en sont bien sorties durant cette période! Elles ont généré un rendement positif pour les investisseurs si l’on considère uniquement le rendement excédentaire, soit en ignorant le risque de taux d’intérêt et en considérant uniquement le risque de crédit.

Quel enseignement en tirez-vous?

Cela donne des indications intéressantes sur la manière dont a réagi le marché suite au « sell-off » observé sur les marchés des actions. Celui-ci a été induit non pas par la situation fondamentale de l’économie mais avant tout par les attentes que les taux d’intérêt monteront plus vite que ce que le marché avait anticipé initialement. En revanche, sur un plan fondamental, si vous considérez l’ensemble de l’univers des obligations de société de la catégorie «investissement» («investment grade») dans lequel notre fonds investit, constitué de plus de 10000 émetteurs, on peut dire que beaucoup de ces entreprises sont solides et dans une situation stable. Ici, l’important est d’évaluer la situation de ces sociétés au cas par cas, plutôt que de manière générale.

«Même lors des plus sévères récessions, toutes les
 entreprises ne font pas défaut ou ne tombent pas en faillite!»
En cas de poursuite des turbulences sur les marchés financiers, craignez-vous que les investisseurs finissent par éviter tous risques, passant à un mode «risk off », et délaissent ainsi les obligations d’entreprise au profit d’autres catégories d’actifs jugées plus sûrs?

Bien sûr, il y a toujours un risque que le monde s’oriente en mode «risk off». On peut imaginer un scénario dans lequel les investisseurs redeviendraient tous ultra-prudents dans leurs choix d’investissements, en ne gardant plus que du cash. Toutefois, en tant qu’investisseur, il est justement nécessaire d’évaluer correctement ce risque. A savoir, quelle est la probabilité que les investisseurs décident de ne plus prendre aucun risque? Or, qu’observe-t-on? Les fondamentaux macroéconomiques sont solides aux Etats-Unis, ils le sont aussi en Chine, en Europe et dans les marchés émergents. De plus, en pratiquant une approche ascendante, ou «bottom-up», l’idée est d’analyser chaque entreprise, l’une après l’autre, afin d’évaluer sa situation. Même lors des plus sévères récessions, toutes les entreprises ne font pas défaut ou ne tombent pas en faillite! Ainsi, en analysant la situation de crédit de chaque entreprise au cas par cas, les mouvements sur les prix créent des opportunités d’achat qu’un gérant peut exploiter s’il a adopté une approche de gestion active. La volatilité créée des occasions à exploiter.

Est-il encore possible de rivaliser avec les produits indiciels (ETF), à plus faibles coûts, qui ont connu un essor constant ces dernières années? L’environnement de marché actuel, plus volatil, sonne-t-il l’heure de la revanche pour les gérants actifs?

Bien entendu, la concurrence des ETF a été constamment au cœur de nos préoccupations ces dernières années, y compris dans le domaine obligataire. Toutefois, les coûts d’un fonds ne peuvent pas être le seul critère à prendre en compte pour un investisseur. En tant que gérant actif, notre objectif est de dégager une surperformance – nette de frais – par rapport aux benchmarks. Ce qui n’est pas possible pour les ETF, dont le rôle est de seulement répliquer la performance du marché ou d’un segment.  Construire un portefeuille actif, du bas vers le haut, vous donne la capacité d’être beaucoup constant et plus stable afin de générer les rendements attendus par les investisseurs.

Quels sont secteurs ou régions géographiques qui offrent actuellement les meilleures opportunités d’investissement. Avez-vous des exemples à mentionner?

Nous apprécions en particulier les entreprises actives dans les services à la collectivité («utilities»), en particulier le segment lié à l’électricité au sein de cet univers. S’y ajoutent aussi les entreprises pharmas, car il y a eu beaucoup d’émissions suite à une activité intensive de fusions et acquisitions, ainsi que l’immobilier, en particulier le segment concernant le commerce de détail.