Les effets de ChatGPT et des apps sur l’investissement

Emmanuel Garessus

5 minutes de lecture

Les robots-conseillers et ChatGPT ont des effets vertueux, dit Marie Brière de l’Institut Amundi, mais attention aux apps!

© Delporte

La numérisation transforme la finance. Elle change les motivations, les comportements et les décisions d’investissement, selon une étude de Marie Brière, Head of Investor Intelligence & Academic Partnerships, auprès de l’Institut Amundi.

L’utilisation d’applications d’investissement sur téléphones portables a dopé le «mobile trading» en rendant possible, à toute heure, les transactions boursières des petits investisseurs. L’emploi accru des réseaux sociaux a permis aux épargnants d’échanger des idées, des travaux de recherche et de produire eux-mêmes du contenu. Les robots-conseillers ont conduit à l’automatisation de l’allocation d’actifs. La montée en puissance de la finance crypto a été rendue possible par les développements technologiques.

Au total, le rôle des petits investisseurs s’est nettement accru sur les marchés. L’investisseur «retail» représente dorénavant 18% du volume de transactions boursières aux Etats-Unis (contre 10% en 2010).

La digitalisation des investissements conduit à de nombreux changements comportementaux. Une étude sur l’emploi des apps auprès de deux banques allemandes, menée entre 2010 et 2017,  a signalé une hausse relative de 67% de la probabilité d’achats d’actifs risqués par rapport aux transactions réalisées sur ordinateur. La probabilité de «chasser le rendement», c’est-à-dire d’investir dans les titres appartenant aux 10% les plus performants sur le passé récent, s’est accrue de 71%.

Les biais cognitifs sont amplifiés, par exemple l’excès de confiance. Une étude réalisée en Chine indique une hausse de 143% de l’attention et de 80% du volume de transactions après l’introduction d’une app. Les jeunes investisseurs sont les plus touchés par ce phénomène. Le design de l’application joue un rôle, par exemple en affichant les titres avec les plus fortes variations.

Aujourd’hui, les investisseurs discutent des marchés et de leurs meilleures idées sur les réseaux sociaux. Certaines plateformes se limitent aux débats (StockTwits, SeekingAlpha), d’autres comprennent aussi une offre de négoce (eToro, Skilling). Il en résulte des comportements de copie («mirror trading») qui mettent en exergue des influenceurs de marché («signallers»), lesquels sont parfois récompensés pour leur pouvoir par des rabais. Les travaux de recherche montrent, selon l’Institut Amundi, que ces plateformes, en moyenne, créent très peu de valeur pour la majorité des investisseurs. En général, il en résulte une augmentation du trading et une détérioration de la performance.

Le phénomène de chambre d’écho est patent: Une analyse de 400 utilisateurs de StockTwits s’est concentrée sur 33 millions de posts et 14 millions de «followers». Les investisseurs ayant pris une position acheteuse ont une probabilité 5 fois plus grande de suivre un utilisateur haussier sur le même titre qu’un baissier. Au cours d’une période de 50 jours, un haussier verra apparaître 62 messages haussiers de plus qu’un baissier.

Ces outils conversationnels ressembleront grandement à des interactions avec des humains. Le ChatGPT devrait pouvoir être utilisé comme est un outil d’éducation financière.

A l’inverse, l’introduction des robots-conseillers a permis de réduire certains biais, par exemple celui de préférence nationale (home bias), et d’améliorer la diversification des portefeuilles, selon l’étude. Marie Brière répond aux questions d’Allnews sur ses travaux:

Est-ce que les statistiques démontrent aussi un envol du trading des particuliers en Europe?

Marie Brière: La littérature académique sur la digitalisation de l’investissement est plus développée aux Etats-Unis parce que les principales revues sont américaines. Les effets de la numérisation y sont plus forts qu’en Europe en raison de l’introduction précoce des plateformes de négoce sans commission et de la possibilité d’acheter des fractions d’actions.  En France par exemple, les autorités de surveillance des marchés (AMF) observent un accroissement de la popularité des marchés depuis la crise du Covid. Le pourcentage de trading retail est toutefois inférieur en Europe.

Comment les jeunes générations réagissent-elles?

Une partie des jeunes est attirée par les aspects ludiques de l’investissement, ce qui est souvent incompatible avec l’investissement diversifié et à long terme. Les professionnels de la finance tentent de faire transiter ces jeunes des plateformes de trading et des Apps sur smartphone vers l’investissement à long terme. Mais j’observe une dichotomie entre les outils entre les Apps et des instruments peut-être plus ennuyeux comme les robots-conseillers.

Nous pourrions intégrer les deux. Les travaux académiques ont signalé l’existence de « comptes mentaux », c’est-à-dire la capacité de l’individu à ségréger ses objectifs. Un portefeuille n’est pas entièrement dédié à la préparation de la retraite. Pourquoi ne pas disposer d’un compte pour la spéculation et d’un autre, beaucoup plus large, pour le long terme? La finance peut jouer plusieurs rôles.

Quel serait le rôle de la régulation?

Avec la directive MiFiD, il n’est pas autorisé à investir en actions si l’on ne dispose pas d’un niveau de formation suffisant. C’est une restriction exagérée, à mon avis. On ne peut pas lier la prise de risque et l’éducation financière puisqu’à long terme il est important d’investir en actions si l’on veut  capturer la prime de risque associée. Cette régulation pénalise les moins fortunés, lesquels sont le moins bien formés en finance. Elle tend à accroître les inégalités de fortunes. Je comprends les restrictions sur les produits complexes, tels que les produits structurés, mais beaucoup moins sur les fonds diversifiés en actions.

Pourquoi les robots-conseillers vous paraissent-ils un instrument optimal sous cet angle?

Les robots-conseillers parviennent à inciter les épargnants à investir davantage en actions. J’ai réalisé des travaux de recherche à ce sujet, notamment parce qu’Amundi a introduit un robo-advisor sur les plans d’épargne salariale en France (recevant la rémunération variable versée par les entreprises à leurs salariés à des fins d’épargne). Tous les salariés des entreprises de plus de 50 employés y ont accès, mais tous ne savent pas comment investir cette épargne. Les conseillers-robots leurs permettent d’accéder à une allocation d’actifs diversifiée, et au final d’être plus exposés au marché actions. Etre accompagné par un robot-conseiller donne confiance et permet de faire le pas.

Qu’en est-il de la performance?

Nos travaux ont montré que la performance est améliorée par les robots-conseillers, par rapport à celle des individus qui ont choisi de ne pas les utiliser. Cet excès de rendement résulte d’une plus grande part investie en actions ainsi que de la mise en place d’un rééquilibrage des portefeuilles résultant des alertes des robots, qui recommandent de « rebalancer » le portefeuille vers l’allocation cible conseillée par le robot. Ce comportement, qui est usuel chez les professionnels, n’est jamais spontané chez le petit investisseur.

Les robots-conseillers ont donc des effets vertueux.

Qui en a profité?

Les robots-conseillers plaisent, en moyenne, davantage aux hommes qu’aux femmes. Mais au sein de ceux qui ont choisi de prendre le service, les catégories d’épargnants les moins fortunées sont celles qui ont augmenté le plus nettement leurs investissements en actions. Les plus fortunés possèdent généralement des actions. Les robots-conseillers améliorent donc l’inclusion financière, en favorisant un accès identique à tous.

N’en résulte-t-il pas aussi une meilleure stimulation de l’éducation financière que d’avoir une assurance vie?

Tout le monde n’a pas envie de gérer son épargne et de se renseigner sur les meilleurs placements. Certains préfèrent tout déléguer à leur banquier et ne pas avoir à s’en préoccuper. Au final, les deux catégories d’outils sont nécessaires. On retrouve d’ailleurs les deux formes au sein des robots-conseillers, les «managed-accounts» qui délèguent entièrement les décisions au robot, et les systèmes qui, comme celui d’Amundi dans le cadre de l’épargne salariale, qui conseillent et envoient des alertes mais laissent le client libre de choisir. Ces derniers sont mieux adaptés à ceux qui veulent continuer de s’éduquer à la finance et d’être acteurs de leur investissement.

Quels seront les conséquences de ChatGPT à ce sujet?

ChatGPT devrait permettre de dialoguer avec le client, de mieux comprendre ses objectifs et de lui fournir des informations supplémentaires. Ces outils conversationnels ressembleront grandement à des interactions avec des humains. Le ChatGPT devrait pouvoir être utilisé comme est un outil d’éducation financière.

Ne dit-on pas plutôt qu’il diminue l’effort d’éducation?

Il s’agira d’intégrer ChatGPT pour que l’individu garde un regard critique et reste actif. L’aspect bénéfique de ces outils résultera de leur capacité à expliquer les propositions d’investissement, avec un niveau de langage adapté au client.

Quelle conclusion tirez-vous des nouvelles technologies sur l’investisseur?

Parmi les diverses innovations financières, je trouve que les robots-conseillers offrent des instruments à long terme très intéressants. Je suis plus réservée sur l’impact des apps sur smartphones et des média sociaux.

Les travaux académiques soulignent les biais d’investissement des acteurs qui effectuent un négoce à l’aide du smartphone. Le comportement de ce dernier est différent de celui qui investit sur son ordinateur. L’état d’esprit n’est pas le même. L’individu ne fait pas appel au même système cognitif, si l’on se réfère aux travaux de Daniel Kahneman sur les systèmes 1 (mécanismes automatiques) et système 2 (réflexion à long terme). Le smartphone interagit plutôt avec le système 1. En matière d’investissement, le système 1 est plus intuitif et accroît les biais d’investissement (comme le biais de disposition, qui réduit le besoin de vendre les titres perdants), tandis que le système 2 est approprié à la planification à long terme et prend en compte les risques.

Les problèmes sont encore plus nombreux avec les médias sociaux, lesquels incitent à suivre les influenceurs, lesquels ne sont pas nécessairement performants, et renforcent le problème des chambres d’échos: les haussiers s’exposent aux informations positives. Ces médias sociaux se développent nettement, y compris en Europe. Ils répondent au besoin de recherche de communautés.

Quelle est la solution optimale?

La formule qui s’impose au sein des établissements financiers consiste à combiner les outils numériques et le conseiller humain. Beaucoup d’investisseurs ont envie d’avoir un conseiller humain. Aujourd’hui, certains robo-advisors sont mis à disposition des conseillers, qui restent en contact direct avec le client et profitent du conseil du robot. D’autres modèles sont possibles: le robot-conseiller en contact direct avec le client, mais laissant ce dernier faire appel à un conseiller humain en cas de problème.

Les formes d’hybridation vont se développer. L’avenir appartient aussi aux outils holistiques. Beaucoup d’instruments sont ségrégués, de l’app de trading au compte bancaire en passant par l’outil d’investissement. Il faudrait intégrer toutes ces fonctionnalités pour disposer de la vue complète, y compris sur les emprunts et les fonds de retraite. La difficulté vient du fait que chaque banque n’a pas accès à l’intégralité de l’information.

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