Les banques européennes sont moins affectées par la volatilité des dépôts

Yves Hulmann

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Selon Simon Outin d’Allianz GI, il y a moins de signes de nervosité chez les déposants en Europe qu’aux Etats-Unis.

Les déboires de banques régionales américaines comme la Silicon Valley Bank ou la First Republic Bank ce printemps ont replacé la stabilité du système financier au cœur des préoccupations des investisseurs et des instances de régulation. Faut-il s’en inquiéter en Europe également? Simon Outin, directeur de la recherche crédit sur le secteur financier chez Allianz Global Investors, relativise ce risque en soulignant que la situation diffère largement des deux côtés de l’Atlantique. Explications.

Comment compareriez-vous la situation actuelle des banques américaines par rapport aux banques européennes, notamment sur le plan des liquidités?

Actuellement, les banques américaines sont confrontées à une plus grande volatilité de leur base de dépôts que n’est le cas pour les banques européennes. En Europe, la base de dépôts est globalement assez stable. Il y a moins de signes de nervosité chez les déposants en Europe. C’est une vraie différence par rapport aux Etats-Unis où beaucoup de clients ont retiré de l’argent déposé auprès des banques pour le placer dans des fonds monétaires qui offrent désormais des rendements avoisinant les 5%. Contrairement aux Etats-Unis, le transfert de dépôts au jour le jour vers des dépôts à terme, des fonds du marché monétaire ou des assurances-vie a été modéré en Europe.

Comment expliquer cette différence d’attitude de la part des déposants?

Cela peut s’expliquer par la différence des mécanismes de transmission des ajustements des taux d’intérêt aux Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, l’existence du mécanisme appelé Reverse Repo Facility permet une transmission beaucoup plus rapide des taux d’intérêt entre, d’un côté, la Fed et le «petit client», de l’autre. En Europe, ce mécanisme de transmission peut difficilement s’effectuer par un autre biais que les banques commerciales.

Les banques commerciales n’ont répercuté qu’une petite partie de la hausse des taux à leurs déposants. Cela leur a ainsi permis de beaucoup augmenter leur profitabilité.
Indirectement, la rémunération plus attractive des fonds monétaires aux Etats-Unis est donc devenue un facteur d’instabilité pour certaines banques américaines?

Lorsque des clients retirent de l’argent des dépôts pour le placer dans des fonds monétaires, cela signifie que l’on sort de l’argent des bilans des banques et du système bancaire. Cela implique des pertes de dépôts pour les banques concernées par ces retraits. Au départ, le mécanisme de transmission, plus rapide aux Etats-Unis, visait à éviter que les taux courts ne baissent trop en raison de la liquidité abondante mais il se traduit aussi par une plus grande volatilité des dépôts en phase de remontée rapide des taux. Comparativement, les banques dans l’UE ont une meilleure stabilité, également en raison de l’absence de mécanismes tels que les Reverse Repo.

Un autre aspect qui ressort de votre étude est que les marges nettes d’intérêt sont en forte hausse pour les établissements bancaires de la zone euro: celles-ci ont même augmenté de 100 milliards depuis juin 2022. Comment l’expliquer?

Dans l’UE, les taux d’intérêt pour les opérations de refinancement se situent à 3,75% depuis début mai. Comparé à la même période de l’an dernier, ces taux ont augmenté de 3,75%. Durant le même intervalle, les banques commerciales n’ont, elles, augmenté les taux qu’elles versent aux déposants que d’environ un demi-pourcent. Ce que l’on appelle les «deposits betas» – à savoir la part de la hausse des taux de la BCE qui est répercutée aux clients – se situent dans une fourchette de 10 à 20%, avec des variations d’un pays à l’autre. En d’autres termes, les banques commerciales n’ont répercuté qu’une petite partie de la hausse des taux à leurs déposants. Cela leur a ainsi permis de beaucoup augmenter leur profitabilité. En conséquence, les banques de la zone euro ont bénéficié d’un supplément de revenu assez important au cours des derniers mois.

Selon votre analyse, la qualité des bases de dépôt en termes de coût et de stabilité est la suivante, par ordre décroissant, au niveau des pays: Espagne, Allemagne, Italie, France, Benelux, pays nordiques, Royaume-Uni, États-Unis, Suisse. Comment expliquer que la Suisse apparaisse en dernier dans cet ordre? Et faut-il s’en inquiéter?

Ce classement par pays ressort de notre analyse interne des bases de dépôt selon deux mesures: les données statistiques par pays au niveau de la zone Euro et la répartition des dépôts telle que présentée dans les piliers 3 sur un échantillon de 50 banques. Cette démarche a deux grandes limites notamment sur le choix de l’échantillon et la non-exploitation des données statistiques hors-zone Euro. Cependant, nous trouvons significatifs que les pays d’Europe continentale aient une proportion plus élevée de dépôts à vue détenus par des particuliers et classés comme «retail stable» au niveau réglementaire. Le cas de l’Espagne est frappant avec une proportion de dépôts «retail stable» proche de 50%. A l’autre extrémité, les banques suisses dans notre échantillon classent moins de 10% de leurs dépôts dans cette catégorie.

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