Le règne du billet vert remis en question

Salima Barragan

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L’heure de la dédollarisation n’est pas encore venue, estime Matt Gertken de BCA Research.

«Au royaume des devises, le dollar est roi». Du moins depuis le 20e siècle. Pourrait-il perdre son statut de monnaie de réserve, en raison de la gestion fiscale affligeante des États-Unis?  C’est en substance ce qu’a récemment suggéré un membre du Sénat américain, Ron Paul dans la rédaction d’un article. Le stratège en chef pour la géopolitique de BCA Research contredit l’hypothèse de la dédollarisation. Selon Matt Gertken, le billet vert continuera à dominer le monde, indépendamment de phases baissières cycliques. Entretien.

Un membre du Congrès américain vient d’écrire que le Fiscal Responsabily Act signé en 2023, permettant une augmentation des dépenses publiques et de la dette afin d’éviter un défaut de la dette américaine, mènera tout droit sur la fin du règne du dollar. Quel est votre avis?

Le déficit budgétaire demeure le plus grand risque. Il faut garder en tête que les républicains rejetteront les augmentations d’impôt et les démocrates refuseront les coupes dans les dépenses: nous courrons tout droit vers un déficit encore plus important. Seule une crise pourrait sortir les finances américaines de cette dynamique. Cependant, le déficit budgétaire reste une caractéristique de l’économie américaine longue de plusieurs décennies; et il n’a jamais mené au déclin du billet vert.

Quels déclencheurs pourraient mener sur une dédollarisation?

Un changement de régime monétaire suppose un scénario extrême. Par exemple, un marché chinois ouvert et consumériste permettrait aux partenaires exportateurs de librement réinvestir leurs yuans dans des actifs financiers chinois.  Une austérité fiscale américaine – dans un contexte de récession – assécherait les liquidités mondiales en dollar US et obligerait les pays à utiliser des devises alternatives.

Cependant, les nations préféreront toujours un système monétaire doté d’une devise dominante, au lieu d’une multitude de monnaies, afin de ne pas multiplier les risques de change. Cette habitude commerciale est renforcée par la position prépondérante des États-Unis sur les plans géopolitique et économique. Seul un bouleversement dramatique pourrait renverser cette dynamique bien établie.

Comment le billet vert évoluerait-il en cas de récession?

La forte probabilité d’une récession signifie que le dollar augmentera avant de décliner temporairement. Les perspectives géopolitiques à long terme demeurent intactes. La devise pourrait perdre un peu de parts de marché, mais cycliquement.

Pourquoi, selon vous, l’euro constitue la meilleure alternative au dollar?

La zone euro reste un candidat crédible en termes de productivité, de stock de capitaux, de géopolitique et de sécurité, grâce à son appartenance à l’OTAN. L’Europe a les capacités d’émettre un gigantesque marché d’actifs librement accessible. Un éclatement géopolitique ou une rupture avec les États-Unis constituent les seuls risques, mais aucun élément ne va dans ce sens.

Pourquoi le yuan n’est-il pas un concurrent crédible en tant que devise de réserve, malgré sa part croissance dans le PIB mondial?

L'augmentation de la part de la Chine dans le PIB mondial est un argument souvent invoqué. Le poids économique relatif est un déterminant nécessaire, mais non suffisant. La livre sterling a occupé le titre de première monnaie de réserve au dix-neuvième et au début du vingtième siècle. Pourtant, la Grande-Bretagne n'a jamais représenté plus de 10% du PIB global.

Si les atouts géopolitiques de la Chine sont notables et que l'adoption du renminbi augmente graduellement, sa réticence à libéraliser le secteur privé et à stimuler la consommation des ménages empêche le rééquilibrage économique intérieur et l’acceptation du yuan. Cette devise n'atteindra pas sa vitesse de croisière tant que le pays ne disposera pas d'un compte de capital véritablement ouvert.

La Chine va se diversifier en s'éloignant du dollar pour protéger son système financier des interférences. Mais l'absence de réformes structurelles fait du yuan une très mauvaise monnaie de réserve.

Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) pourraient-ils former une alliance monétaire capable de renverser la suprématie du dollar US?

En réalité, les nations des BRICS poursuivent des intérêts économiques et stratégiques très divergents. D’ailleurs l'alliance russo-chinoise est en train de remodeler le monde et les investisseurs doivent y prêter une attention particulière. En revanche, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud sont éloignés de cette alliance. Ils ne formeraient pas une zone monétaire optimale.

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