Le moment est venu d’investir en obligations

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

Etienne Weber, co-responsable de la distribution de BlackRock pour la Suisse, présente son scénario sur les taux et ses segments obligataires à privilégier.

Les investisseurs qui étaient en cash se sont vus proposer des obligations. Mais les cours des titres à revenu fixe n’ont pas pris la direction souhaitée. Aux Etats-Unis, les obligations à 2 ans flirtent avec la barre des 5% et les bons du Trésor à 10 ans se rapprochent des 4,7%. Dans ce contexte, Etienne Weber, co-responsable de la distribution et du business development de BlackRock pour la Suisse, répond aux questions d’Allnews:

Quel est l’intérêt porté par les investisseurs pour les obligations?  

Les rendements obligataires sont actuellement au plus haut depuis une décennie. Ce niveau élevé suscite un retour important de l'intérêt des investisseurs sur une classe d’actifs restée un peu délaissée ces dernières années sur toutes les échéances et tous les pays.

Est-ce qu’ils ont tort de revenir vers les obligations?

Non. Tout dépend de l’aversion au risque de chaque investisseur. Si celle-ci est élevée, cela fait beaucoup de sens de revenir sur le marché obligataire. Au niveau actuel, les obligations à 3 ou 5 ans offrent des rendements attractifs.

La hausse des rendements des bons du Trésor américain cassera-t-elle la barre des 5%?

Les statistiques d’inflation seront déterminantes à ce sujet. La Fed peine à anticiper correctement la hausse des prix car si l’inflation salariale est freinée par l’immigration, la hausse des prix est significative dans les services, en particulier dans les logements.

L’économie américaine se situe dans une phase de transition. Après avoir été axée sur les biens, elle devient une économie de services, un secteur où les pressions inflationnistes sont les plus fortes. 

Le rendement des bons du Trésor à 2 ans est déjà de 4,98%. La barre des 5% pourrait être franchie avant d’assister à une décrue. Même le rendement du bon du Trésor à 10 ans, à 4,58%, est assez proche des 5%. 

«Les rendements obligataires devraient rester dans la fourchette actuelle quelque temps et ne devraient pas tomber sous les 4% de sitôt.»

Nous anticipons des taux d’intérêt à des niveaux relativement élevés encore longtemps. Les rendements obligataires devraient rester dans la fourchette actuelle quelque temps et ne devraient pas tomber sous les 4% de sitôt. 

Le dernier indice des prix américain a douché les espoirs de baisse rapide des taux directeurs. Quelles sont vos attentes en la matière?

Nous prévoyons que la Fed baissera ses taux cette année, mais il est difficile de définir le nombre de baisses. La BCE pourrait donc baisser ses taux directeurs avant la FED.

Et en Europe, qu’attendez-vous du marché obligataire?

Nous nous attendons à un ralentissement de l’inflation. Dans ce contexte, le segment Corporate nous paraît le plus approprié avec des échéances de 3 à 5 ans. Nous observons que les investisseurs cherchent à «locker» le rendement avec des échéances fixes au milieu de la courbe. 

Compte tenu de la baisse des «spreads», quels segments privilégiez-vous?

Le segment Corporate IG offre un spread de 87 points de base par rapport aux titres souverains aux Etats-Unis et de 109 points de base en Europe. Ces écarts sont encore assez attractifs, même s’ils ont diminué. Ils offrent aussi un élément de diversification aux portefeuilles et un rendement supplémentaire par rapport aux titres souverains. Même pour les investisseurs plus à l’aise avec une prise de risque supplémentaire, les obligations d’entreprises peuvent être poussées jusqu’à un rating de BBB. Elles présentent un spread de plus de 100 pb aux Etats-Unis et 120 pb en Europe.  

En raison d’une incertitude des taux, les obligations gouvernementales ont été assez volatiles l’an dernier. Dans un scénario de rendements durablement élevés, cela fait du sens de se positionner aux Etats-Unis du côté Corporate plutôt que du côté gouvernemental. 

En Europe, la situation est différente, car l’inflation est plus faible et la BCE pourrait baisser ses taux avant la Réserve fédérale. Les obligations souveraines et les entreprises IG devraient profiter de cette baisse des taux. L’approche est donc plus équilibrée en termes de débiteurs. 

Une échéance fixe à 3 ans nous paraît un bon choix pour retirer le meilleur du marché actuel. 

Votre préférence pour les échéances à 3 ou 5 ans implique-t-elle que vous vous attendez à une remontée ultérieure des taux d’intérêt?

Nous privilégions la partie médiane de la courbe des taux en préparation d’une éventuelle pentification de la courbe. Le pricing des échéances inférieures (0 à 2 ans) dépend beaucoup des attentes de baisse des taux de la banque centrale. Aux Etats-Unis, les marchés anticipent deux baisses de taux directeurs, ce qui est conforme à notre scénario. La BCE devrait réduire ses taux avant la Fed. Nous ne pensons donc pas qu’il existe de grandes opportunités de gains en investissant sur la partie courte de la courbe. Pour la partie longue, des éléments pourraient influencer négativement les perspectives, par exemple les montants considérables nécessaires au remboursement de la dette. La partie médiane profite donc d’un meilleure valorisation et d’un bon potentiel de hausse des cours. A la fin du cycle de baisse des taux, les taux directeurs pourraient être légèrement inférieurs aux attentes du marché, ce qui profitera à la partie intermédiaire de la courbe.

La tendance, au sein des analystes, n’est-elle pas plutôt de privilégier les obligations souveraines?

Tout dépend de l’aversion de l’aversion au risque de l’investisseur. Quiconque veut réduire le risque se positionnera de façon diversifiée, une combinaison des obligations souveraines. Une combinaison des deux segments fait du sens dans la construction de portefeuille.

Quelle est votre position à l’égard des obligations à haut rendement?

Les obligations à haut rendement, dites High Yield, permettent d’ajouter de la diversification et peuvent  améliorer le rendement attendu, mais ce choix induit une plus grande prise de risque. Tout dépend alors de la construction du portefeuille et des objectifs d'investissements. 

Lors des tensions géopolitiques, les obligations souveraines profitent d’une demande accrue. Compte tenu des risques accrus en ce moment, au Proche Orient, pourquoi les obligations n’en tirent guère avantage, au contraire de l’or. Pour quelle raison?

Les investisseurs sont toujours assez frileux, comme le révèlent les mouvements de capitaux qui ont privilégié le cash et le marché monétaire ces dernières années plutôt que les obligations. 

«La partie médiane profite donc d’un meilleure valorisation et d’un bon potentiel de hausse des cours.»

Pour ceux qui sont fortement en cash, le moment est-il venu d’investir en obligations?

Tout à fait. L’investisseur en cash peut profiter de meilleurs rendements obligataires, avec une sélection diversifiée pour limiter les risques et la volatilité. Il serait risqué de s’engager sur des titres individuels. Mieux vaut un portefeuille obligataire diversifié à 3-5 ans au travers d’un ETF obligataire ou des fonds actifs. Les ETF obligataires sont conçus pour arriver à maturité comme une obligation, se négocier comme une action et offrir de la diversification comme un fonds, le tout dans une enveloppe ETF efficiente en termes de coûts et transparente.

Est-il préférable d’investir en obligations à travers une gestion indicielle ou une gestion active?

Nous n’opposons pas les stratégies passives et actives entre elles. Cette dichotomie n’a plus lieu d’être. Nous préférons parler d’une combinaison des gestions indicielles et actives. Cela dépend ensuite de facteurs tels que la volatilité des marchés et de la capacité de l’investisseur à gérer lui-même activement son portefeuille. 

Une stratégie indicielle est plus adaptée aux conditions de marché stables alors que les stratégies actives peuvent capitaliser sur des inefficiences de marché et une dispersion telles que nous les observons actuellement dans les rendements et l’évolution des sous-jacents. 

Nous pensons que la construction de portefeuille doit comprendre une large combinaison d’éléments, actifs, indiciels et des marches privés. Mais nos outils indiciels sont de plus en plus utilisés par les investisseurs actifs comme des briques à assembler. Les ETF sur actions et les ETF obligataires comme nos iBonds peuvent être employés pour une gestion active parce qu’ils permettent un accès rapide et flexible au marché. Un ETF peut investir dans plusieurs centaines ou même des milliers de titres de l’indice. Dans une construction optimale de portefeuille, la gestion indicielle ne va pas sans gestion active.

Quelle est votre analyse des obligations émergentes?

Nous observons un retour d’intérêt sur le segment obligataire émergent qui avait été un peu délaissé après la pandémie. Il est intéressant de garder un oeil sur ce secteur. 

Est-ce que les obligations «inflation-linked» sont appropriées dans le contexte d’une inflation qui diminue lentement?

La persistance de l’inflation est un défi aux Etats-Unis, mais il doit être décomposé. Nous pensons que la tendance de l’inflation est persistante sur les services, même si une décélération devrait se produire en fin d’année, et beaucoup moins sur les biens. Nous prévoyons par ailleurs une hausse de l’inflation en avril sous l’effet des prix de l’énergie (essence). En Europe, l’inflation devrait ralentir et tendre vers 2% d’ici la fin de l’année. 

Les obligations «inflation-linked» nous paraissent relativement attractives parce que le rendement réel est élevé, toutefois cet attrait est relativisé par les défis que pose l’inflation. Afin de tirer parti des niveaux de taux actuels, un portefeuille à maturité fixe, bien diversifié, de 3 à 5 ans serait préférable à des titres individuels de type «inflation-linked».

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