La Suisse, un leader de la finance durable

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Stabilité, neutralité, gouvernance. La finance suisse est très audible sur l'investissement éthique. Entretien avec Naïm Abou-Jaoudé de Candriam.

 

Depuis 1996, la société de gestion d'actifs Candriam s'est positionnée en leader de l'investissement socialement responsable (ISR). Une orientation particulièrement bien adaptée au marché suisse, «l'un des marchés les plus avancés sur l'ISR au sein des fonds de pension et des banques privées» déclare Naïm Abou-Jaoudé, CEO de Candriam et président de New York Life Investment Management International.

Pourquoi avoir choisi l'ISR comme cheval de bataille et si tôt?

Parce que nous y croyons! Nous croyons profondément au devoir de responsabilité sociale, sur lequel nous avons émis un premier véhicule en 1996, et l'appliquons d'abord à nous-mêmes. C'est ainsi que nous avons été parmi les tous premiers signataires des Principes pour l'Investissement Responsable (PRI) lancés par les Nations Unies en 2006 et publions chaque année un rapport CSR (Corporate Social Responsibility). L'investissement responsable démontre sa valeur sur la durée, il permet de passer les périodes difficiles car il accroit la confiance des investisseurs. Aujourd'hui nous avons 45 véhicules ISR et l'investissement responsable représente 24% des actifs sous gestion de Candriam (131 milliards de francs au total).

«Les investisseurs anglo-saxons prennent
maintenant l'investissement responsable très au sérieux
et plus récemment les investisseurs asiatiques également.»
Comment évolue ce type d'investissement?

Depuis deux ans, l'ISR est en forte progression. Les investisseurs anglo-saxons le prennent maintenant très au sérieux et plus récemment – depuis un an et demi environ – les investisseurs asiatiques également (essentiellement le Japon). Soutenu par le gouvernement, le fonds de pension japonais le plus important s'est réellement orienté dans cette direction et nous observons une forte accélération du mouvement en sa faveur. En 2016, nous avons mené un sondage sur mesure auprès de 150 intermédiaires financiers à travers l’Europe: plus de 60% d’entre eux étaient intéressés par la démarche et 70% prévoyaient un accroissement des fonds ISR dans les prochaines années. Les personnes interrogées en perçoivent la valeur ajoutée mais ne comprennent pas toujours les motifs qui la sous-tendent. C'est pour cette raison que nous avons ouvert, en octobre 2017, la Candriam Academy, première plateforme online d'apprentissage sur l'Investissement Socialement Responsable (ISR) destinée aux intermédiaires financiers, avec pour rôle de les sensibiliser.

«Nous avons créé fin 2017
un fonds de dotation dont l’objectif est de contribuer
à bâtir un monde plus responsable.»
Il existe aussi un Institut Candriam pour le développement durable…

Effectivement, nous avons créé fin 2017 un fonds de dotation dont l’objectif est de contribuer à bâtir un monde plus responsable. Cet institut fixe un cadre à toutes les initiatives d’impact sociétal – en particulier la recherche sur l’investissement responsable – que Candriam met en œuvre partout où elle est présente, pour en maximiser l’effet.  

Comment se répartit le marché des investisseurs ISR?

Il est à 70% institutionnel mais la part retail est en train de croitre grâce à deux types d'acteurs importants: les Millennials (nés entre 1980 et 2000) et les femmes. Au fur et à mesure que ces deux groupes entrent sur le marché du travail et dégagent du patrimoine, la tendance s'accélère. C'est particulièrement vrai au Japon.

«La discussion sur les performances comparées
est un débat un peu dépassé dont il faut sortir.»
Une bonne gouvernance d’entreprise – au sens large – est-elle un moteur de performance financière?

Sur périodes longues, les performances de l'ISR peuvent être supérieures car la démarche diminue la volatilité et accroit le rapport risque/rendement. Lorsque les marchés sont en hausse, les titres ISR peuvent donner de moins bons résultats que d'autres mais, en période de baisse, ils résistent mieux. Je suis CEO de Candriam depuis onze ans. J'ai été témoin de plusieurs cycles et ai observé la résilience des entreprises gérées en fonction des critères compatibles avec l'ISR. En tout état de cause, la discussion sur les performances comparées est un débat un peu dépassé dont il faut sortir. Si l'environnement ne tient pas la route, si la croissance n'est pas inclusive, si la gouvernance des entreprises ne protège pas des risques de fraude, nous ne pourrons pas assurer aux générations futures une croissance durable. La performance financière à court terme n'est plus le seul critère. Candriam est d'ailleurs de moins en moins challengé sur cette problématique.

Candriam obtenait récemment le premier label ISR pour un fonds High Yield. N'y a-t-il pas quelque chose de paradoxal entre ISR et High Yield?

En aucun cas. High Yield signifie simplement qu’une entreprise n'est pas notée «Investment Grade». Nous procédons sur les sociétés High Yield à une analyse du crédit mais la complétons par un examen de la gouvernance (heures consacrées à la formation, rotation du personnel, transparence, diversité). Les investisseurs d'Enron ou de la Weinstein Company auraient bien fait de s'inspirer de cette approche.

«Dans les pays émergents comme partout, ce sont les sociétés
avec la meilleure gouvernance qui se montrent les plus solides.
Par contre, les clients ne sont pas encore orientés vers l’ISR.»
Vous avez ouvert une stratégie ISR dans les pays émergents. Est-il plus difficile d'appliquer les critères ISR dans ces pays?

Dans les pays émergents comme partout, ce sont les sociétés qui ont la meilleure gouvernance qui se montrent les plus solides. Par contre, les clients ne sont pas encore orientés vers l'ISR – ils le sont très peu en Corée du Sud ou en Chine. Toutefois, en Chine, un mouvement se dessine avec la lutte contre la pollution et la volonté d'éviter les tensions sociales. Il est normal que la Chine ait d'abord privilégié la croissance à tout prix mais le revirement est inévitable.

L'Europe et plus particulièrement la Suisse restent-elles des priorités pour votre développement?

Nous fêtons notre 20e anniversaire en Europe et 95% de nos actifs sont européens. Notre présence en Suisse, depuis 17 ans, est historique. Le marché suisse représente 2300 milliards de francs d'investissement donc 1500 milliards de francs d'investissement institutionnel. C'est l'un des marchés les plus avancés en termes de fonds de pension et de banques privées. Il représente, pour ce qui nous concerne, une croissance importante sur les deux dernières années avec une augmentation de la masse sous gestion de 15% par an sur 2016 et 2017, soit aujourd'hui environ 3 milliards de francs dont la moitié auprès des fonds de pension et l'autre auprès des distributeurs. Depuis la reprise par New York Life, fin 2015, les investisseurs suisses ont fait mieux que nous conserver leur confiance.

La Suisse est-elle un réel leader dans le domaine de l'investissement responsable?

Oui, la Suisse est très en avance dans ce domaine. Grâce à sa stabilité, à sa neutralité, à la qualité de sa gouvernance, elle est très audible sur ce message. C'est notamment vrai dans le champ de la microfinance. Je suis personnellement au board de BlueOrchard avec lequel nous avons fondé et promu l'un des tous premiers et des plus gros fonds du domaine en 2001. BlueOrchard est l'une des références mondiales de ce type d'activité.