La Suisse peut mettre en place une réglementation plus intelligente que celle de SFDR

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Pour Adrian Schatzmann, CEO de l’AMAS, l’autorégulation apportera de meilleurs résultats pour promouvoir le développement durable.

Le calendrier est chargé en cette fin de mois pour l’Asset Management Association Switzerland (AMAS). Après sa journée dédiée à la thématique des risques qui s’est tenue la semaine dernière à Zurich, l’organisation, qui compte plus de 200 membres, organise ce vendredi à Berne sa journée de la gestion d’actifs («Asset Management Day 2023»). Le point sur les principaux thèmes d’actualité dans la branche avec Adrian Schatzmann, directeur (CEO) de l’Asset Management Association Switzerland (AMAS) depuis 2021.

L’AMAS (l’Asset Management Association Switzerland) a succédé à la SFAMA (Swiss Funds & Asset Management Association) à l’automne 2020. Qu’est-ce qui a changé entretemps et comment votre association s’est-elle développée depuis sa création?

Une différence importante entre ces deux structures est que la SFAMA se concentrait davantage sur les aspects liés aux produits et à leur distribution – à savoir l’emballage, en quelque sorte -, tandis que l’AMAS s’intéresse, elle, davantage au contenu. C’est une différence importante car l’activité de gestion d’actifs, l’«asset management» en anglais, est désormais placée au cœur des activités de notre association. Aujourd’hui, la gestion d’actifs revêt une fonction extrêmement importante pour la société dans son ensemble, pas seulement pour les acteurs de la branche eux-mêmes. Qu’il s’agisse du placement de l’épargne des particuliers ou de l’investissement des avoirs de prévoyance, la gestion d’actifs concerne aujourd’hui tout le monde. Pour qu'il n'y ait pas de malentendu: le fonds de placement reste bien entendu pour notre industrie le principal vecteur afin de fournir nos services.

«Beaucoup de gens, même des professionnels, ont des difficultés à comprendre la distinction entre les fonds classés dans la catégorie dite ‘article 8’ et ceux en ‘article 9’.»
En tant qu’association, que vous pouvez faire pour améliorer encore davantage la perception de l’importance que revêt cette branche en Suisse?

C’est seulement si l’importance de gestion d’actifs est correctement perçue qu’il sera également possible de mettre en place des conditions-cadres favorables. Si l’on utilise parfois le terme de «troisième cotisant», c’est justement parce que la façon de gérer les actifs contribue aussi de manière essentielle à l’évolution des avoirs de retraite. Par exemple, sur la base d’actifs de prévoyance de l’ordre de 1200 milliards de francs estimés pour l’année 2021, le seul fait d’obtenir un rendement additionnel de 0,1% par an se traduit par un montant supplémentaire de 1,2 milliard. Il faut être conscient de ces ordres de grandeur lorsque l’on parle du rôle joué par la gestion d’actifs. Dans les débats politiques en lien avec la prévoyance, on parle souvent soit des cotisations versées par les employés et les employeurs, soit des aspects liés aux prestations. En revanche, on oublie parfois l’importance de la manière avec laquelle on gère les actifs qui sont à disposition.

La journée des risques de 2023 («AMAS Risk Management Day 2023»), qui s’est tenue la semaine dernière à Zurich, a été consacrée avant tout aux aspects liés à la durabilité. La Suisse ferait-elle bien de développer sa propre approche en la matière ou doit-elle s’aligner sur les pratiques en vigueur dans l’UE ou à l’international?

Nous devons bien sûr rester attentifs aux développements en cours sur le plan international. Dans ce domaine, nous pouvons également tirer des enseignements de l'expérience acquise dans l'UE avec le SFDR. A mon avis, ce cadre réglementaire ne fonctionne pas encore bien – beaucoup de gens, même des professionnels, ont des difficultés à comprendre la distinction entre les fonds classés dans la catégorie dite «article 8» et ceux qui figurent dans la catégorie «article 9» et elles sont interprétées différemment dans les différents pays de l'UE. A mon avis, la Suisse peut mettre en place une réglementation plus intelligente et plus adaptée que celle qui est prévue dans le cadre du règlement SFDR. Nous pensons qu'avec l'autorégulation sur le développement durable, publiée par l’AMAS l'automne dernier, nous avons mis à disposition un instrument très utile et utilisable dans la pratique.

«Se limiter à appliquer des critères d’exclusion, en éliminant quelques titres d’un portefeuille, n’est plus à la hauteur ce que l’on attend aujourd’hui de la finance durable.»
Au cours des cinq à six dernières années, beaucoup d’attention a été accordée à la finance durable et à la prise en compte des critères ESG dans les processus d’investissement. Or, en 2022 et au début de 2023, ce sont des risques financiers plus classiques, comme l’évolution des taux d’intérêt ou la situation des liquidités dans les banques, qui ont été à nouveau au centre des préoccupations. N’a-t-on pas négligé ces autres risques?

Il faut bien distinguer entre deux types de risques. Les risques de taux ou de liquidités chez les banques sont des risques de placement classiques, pourrait-on dire. Ce sont des risques connus. En comparaison, les risques liés au «Greenwashing», qui ont souvent une dimension plus réputationnelle, sont souvent moins bien maîtrisés par certains instituts. Ils sont ainsi parfois plus difficiles à appréhender.

La Suisse a mis en place l’an dernier les «Swiss Climate Scores», qui établissent des pratiques de transparence visant à rendre les produits financiers compatibles avec les objectifs climatiques. S’agit-il d’instruments utiles à vos yeux?

Oui, les Swiss Climate Scores sont dans tous les cas des outils d’aide à la décision utiles, aussi bien pour les gérants que pour les clients qui veulent s’informer sur la compatibilité climatique de leurs placements. Maintenant, il s’agit certes d’un outil utile mais ce n’est pas un cadre réglementaire.

Comment la réglementation en matière de finance durable en Suisse devrait-elle se présenter à l’avenir?

L’erreur à ne pas commettre serait de vouloir créer une loi pour encadrer les placements durables maintenant. Compte tenu de l’évolution très rapide des développements dans ce domaine, il y a bien des chances qu’une loi soit déjà dépassée au moment de son entrée en vigueur. Mieux vaut miser à mon avis sur un mécanisme basé sur l’auto-régulation de l’AMAS, qui aura l’avantage d’être plus flexible et qui sera aussi plus près de la réalité.

Par ailleurs, en matière de finance durable, je pense qu’il sera toujours plus important à l’avenir de mettre l’accent sur l’impact réel des investissements, d’inciter et d’accompagner les entreprises dans leur trajectoire de réduction de leurs émissions de CO2. Se limiter à seulement appliquer des critères d’exclusion, en éliminant quelques titres d’un portefeuille, n’est plus à la hauteur ce que l’on attend aujourd’hui de la finance durable.

A lire aussi...