La musique aussi a besoin de gestionnaires éclairés!

Anna Aznaour

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Comment sortir un festival de musique classique du gouffre financier. Explications de Christoph Mueller, CEO du Gstaad Menuhin Festival.

©Michael S. Zerban

«Pour avancer dans la vie, j’ai toujours fait des petits pas», confie celui à qui le prestigieux festival de Gstaad doit sa survie. Fondé en 1957 par le célèbre violoniste Yehudi Menuhin, fraîchement arrivé dans la région, le festival est boudé par le public et les sponsors dès 1996, date de départ du fondateur, âgé alors de 80 ans. En cause, la nouvelle politique de ses successeurs, axée sur la programmation massive de la musique contemporaine. Entre autres… Mais en 2002, après cinq ans de flottement dans le blizzard d’une indifférence grandissante, la manifestation est énergiquement reprise en main par Christophe Mueller. Il se trouve que le Bâlois de 32 ans, musicien professionnel, est également un gestionnaire reconnu. Et c’est précisément ce que recherchait le Conseil de Fondation, las de ce quinquennat de pagaille artistique.

De 11'000 visiteurs l’année de votre arrivée, le festival est passé à 27'000 en 2018. Quelles sont vos recettes du succès?

Regagner la confiance du public et des sponsors a été la première étape de ma stratégie. Et il m’a fallu cinq ans pour y arriver. Au commencement, il y a eu la modification de toute la politique de programmation, avec le retour vers les valeurs sûres de la musique classique. Ensuite, afin d’éviter le désintérêt vis-à-vis de nos choix musicaux, les mécènes ont été conviés à participer à la construction du programme. Un geste qui a permis de resserrer les liens avec ces sponsors indispensables à l’avenir de la manifestation. Finalement, des innovations comme des concerts dans des lieux inhabituels (ex. tente ou cabane de montagne) et la création de cinq académies sont venus s’ajouter à cette marche vers le succès d’aujourd’hui.

Ces trois dernières années, nous, comme tous les autres festivals du pays,
avons perdu notre sponsor numéro un: les entreprises.
Quels sont le budget annuel de votre édition 2019 et la part de l’apport des mécènes?

Notre budget total est de 7 millions de francs, inclus les Académies et le Gstaad Digital.  Seulement 5% de ce montant proviennent du soutien étatique, à savoir du canton de Berne et de la commune de Saanen. Les recettes de la billetterie, elles, constituent les 35% du panier global. Tout le reste, soit 60% du budget, est la résultante du sponsoring des fondations et des mécènes privés. Ces trois dernières années, nous, comme tous les autres festivals du pays, avons perdu notre sponsor numéro un: les entreprises. En cause, la loi votée au Parlement en 2015 sur la poursuite d’office des cas graves de corruption dans les entreprises et les organisations sportives. Inviter donc ses clients aux prestigieux festivals de musique en prenant en charge tout ce que cela comporte comme frais (billetterie, hébergement, consommation) est devenu très délicat pour les compagnies. D’où notre focalisation sur les mécènes privés et leur envie d’écouter les plus grands artistes de notre temps.

L’égo gigantesque est un travers souvent présent chez les musiciens célèbres. Comment le gérez-vous?

Dans ce métier très exigeant, il faut avoir un caractère fort et affirmé pour arriver à faire face au public, composé souvent de connaisseurs. Tandis que, dans le mien, celui de CEO d’un festival d’une telle importance, l’essentiel c’est de ne pas se tromper de rôle. Violoncelliste moi-même, je ne me positionne pas en tant que collègue auprès des musiciens invités. Mon rôle est celui d’hôte qui les sert, veille sur la qualité de leur accueil et sur leurs conditions de travail qui doivent être irréprochables. Raison pour laquelle, contrairement à certains de mes homologues, je ne copine pas avec mes invités. Garder une distance saine est donc une condition indispensable aux rapports harmonieux que je cultive depuis ma nomination.

Afin d’ouvrir les portes de ce monde assez sélect à tous les jeunes,
nous leur proposons des billets à moitié prix.
La majorité des jeunes semblent peu intéressées par la musique classique. Est-ce une menace pour la pérennité du Gstaad Menuhin Festival?

Oui et non. Il est vrai que l’appréciation de la musique classique ainsi que sa pratique sont souvent une «affaire de famille», généralement d’une certaine classe sociale. C’est pourquoi, avec les autorités de notre région nous favorisons l’initiation des jeunes de Saanenland qui après avoir travaillé toute l’année sur certains morceaux en classe, donnent une représentation au Festival. Par ailleurs, afin d’ouvrir les portes de ce monde assez sélect à tous les jeunes, nous leur proposons des billets à moitié prix. Il est à noter que 75% de nos visiteurs sont des habitants du pays qui aiment ce festival non seulement pour sa musique, mais aussi pour son cadre montagnard idyllique et les rencontres de gens plutôt distingués qu’ils font sur place. 

Un avant-goût concernant votre édition 2019? 

«Paris» étant le thème du Gstaad Menuhin Festival 2019, le public pourra savourer l’opéra Carmen de Bizet en version concert sous… une tente, avec, dans le rôle principal, Gaëlle Arquez, la célèbre mezzo-soprano française. Une quarantaine d’autres concerts sont déjà programmés. Un avant-goût numérique est disponible sur notre site www.gstaaddigitalfestival.ch.

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