La finance vue par le cinéaste Costa-Gavras

Anna Aznaour

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Comment se financent les films aujourd’hui et pourquoi la Grèce est en crise selon le monument vivant du cinéma mondial.

© Keystone

Va là où il est impossible d’aller! C’est le titre du livre de Costa-Gavras. De passage à la librairie Payot de Genève à l’occasion de la sortie de son ouvrage, le cinéaste, au visage byzantin et aux 19 longs-métrages truffés de messages universels, revient sur ce qui lui tient particulièrement à cœur: la condition humaine. D’après le réalisateur oscarisé du film «Z», rien ni personne n’est tout blanc ou tout noir. La responsabilité est l’affaire de tous. Aussi bien au cinéma que dans la finance.

Malgré la crise économique, l’industrie du cinéma se porte très bien. Comment l’expliquez-vous?

En temps de crise, les gens ont besoin de rêver encore plus qu’à d’autres moments. Et en France, le cinéma est le divertissement le moins cher, puisque, avec un abonnement mensuel de 30 euros, vous pouvez voir autant de films que vous voulez dans les salles.

«Le financement est devenu beaucoup plus difficile maintenant
qu’il ne l’était autrefois.»
Le financement des films aujourd’hui est-il différent de celui de l’époque de vos débuts?

Oui, radicalement. Aujourd’hui, en France et dans d’autres pays européens, les films sont en partie financés par les télévisions. Le gouvernement de l’Hexagone, en tous les cas, les oblige à participer à cette création. Il y a aussi d’autres sources de financement, Netflix, par exemple, encore une autre galère…Tous ne donnent pas beaucoup de chances aux films, qui une fois dans la boîte, disparaissent souvent car on ne peut plus les voir dans les salles. Le financement est devenu beaucoup plus difficile maintenant qu’il ne l’était autrefois.

Beaucoup de cinéastes font leurs meilleurs films au début de leur parcours. Avec l’âge, devient-on plus conformiste?

Je ne pense pas que l’on devienne plus conformiste, mais plutôt que la capacité d’invention diminue avec l’âge. Le cerveau, tout comme notre corps, vieillit dès 50 ans, et perd progressivement sa force, son dynamisme, qui sont à leur apogée à l’âge de 20 ans. Mais cet affaissement est compensé, parfois, par l’expérience.

Quand le public pourra-t-il voir votre nouveau film basé sur le livre de Yánis Varoufákis «Conversations entre adultes: Dans les coulisses secrètes de l’Europe»?

Je viens de finir de rédiger le scénario de ce film, et nous allons entrer dans la phase de recherche des acteurs et du financement. Il me tient à cœur de le réaliser, car le comportement des Européens vis-à-vis de la crise grecque me touche profondément. Ils ont été racistes en voulant punir le peuple grec. Pourquoi? Parce que leurs dirigeants, aussi bien de gauche que de droite, n’ont pas été corrects. Des tricheries que les Européens n’ont évidemment pas appréciées. Pourtant, ils les ont laissés faire, parce que cela les arrangeait économiquement. Et maintenant, c’est le peuple grec qui trinque…Remarquez, la responsabilité d’avoir choisi ces politiciens lui incombe. Le peuple aime les promesses, et, pour être élu, un politicien n’a pas d’autre choix que de mentir…

«Qu’ils aient marché ou non, j’ai fait les films que je voulais.
Et c’est la clé de la liberté.»
La montée actuelle des extrémismes est-elle similaire à celle qui vous a fait quitter la Grèce à l’âge de 19 ans pour la France?

À mon avis, il n’y a pas de répétition historique, mais toujours une forme de rejet constant de l’Autre, considéré comme radicalement différent de soi. La distinction avec les époques antérieures est la diversification des types de racismes – antisémitisme, anti-Noirs, anti Arabes, etc. – qui finalement suit l’évolution de notre société globalisée. De nos jours, tout le monde est partout, le racisme donc aussi!

Vous affirmez n’avoir jamais fait de films «alimentaires». De quelle manière avez-vous pu y échapper?

C’est en grande partie grâce à mon épouse! Dès le départ, nous avons décidé de vivre correctement, mais sans luxe. Et ce mode de vie m’a permis financièrement d’avoir quelques réserves qui m’offraient la marge pour pouvoir faire des choix. Qu’ils aient marché ou non, j’ai fait les films que je voulais. Et c’est la clé de la liberté.

Pendant longtemps, vous vous êtes battu pour le projet «Exception culturelle». De quoi s’agit-il exactement?

Il s’agit d’un mouvement initié dans les années 1980 par la profession du cinéma français et le ministère français de la Culture contre les ambitions commerciales des Etats-Unis, pour qui la création culturelle est une marchandise comme une autre, soumise aux lois du marché. Une approche radicalement différente de celle des Européens, qui considèrent la culture comme un art de vivre pour tous. D’où l’importance de la soutenir et de la préserver par des subventions étatiques. Nous voulions que le secteur audiovisuel soit exclu du mandat de négociations commerciales avec les États-Unis et José Manuel Barroso* nous avait assurés de son soutien. Avant de faire volte-face…

En guise de conclusion, que voudriez-vous que le public retienne de vous et de votre œuvre?

Dans la vie, moi, j’ai eu beaucoup de chance. Arrivé en France, le hasard m’a fait faire de belles rencontres. Alors j’aimerais surtout que les gens soutiennent les plus jeunes. Pour qu’ils puissent, comme le titre de mon livre les y invite, aller là ou il est impossible d’aller. Parce que l’important dans la vie, c’est de se battre pour des choses auxquelles on croit. Et de faire tout pour y arriver, même si l’on n’y arrive pas.

 

* José Manuel Barroso – ancien président de la Commission européenne