La Fed attendra le deuxième semestre avant de baisser ses taux

Salima Barragan

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Le rendement du bon du Trésor américain à 10 ans oscillera entre 5% et 4%, en attendant la confirmation du timing. Avec Erick Muller de Muzinich.

Les prix des obligations se sont appréciés lors du quatrième trimestre 2023, portés par les anticipations d’une première baisse de taux en mars. Les marchés sont-ils trop optimistes en ce qui concerne le calendrier de la Fed? C’est l’avis d’Erick Muller, Head of Product and Investment Strategy chez Muzinich, qui estime que les banques centrales ne prendront aucune initiative avant le mois de juin, préférant attendre la disponibilité des chiffres économiques du premier trimestre afin d’amorcer un nouveau cycle en toute confiance. Pour les investisseurs en titres à haut rendement, cette année consistera à cumuler les performances de portage, de convexité et de baisses des taux.

Comment décomposez-vous la performance positive des obligations à haut rendement lors des derniers mois de 2023?

Le rallye du crédit était essentiellement mené par les anticipations des baisses de taux des banques centrales. De mi-octobre à la fin de l’année, le prix moyen de l’indice sur le haut rendement américain (ICE BofA US High Yield Index) est passé de 86 à 92.1, pour un rendement de l’ordre de 9.5% qui a baissé à 8%. Le mouvement est similaire en Europe, avec un rendement qui est passé de 8% à 6.3%. Les spreads se sont compressés de 500 points de base à 400 aux États-Unis et de 450 à 371 en Europe. Globalement, nous avons aussi observé des entrées de flux dans le crédit soutenant la classe d’actifs.

Tandis que les baisses de taux d’intérêt sont intégrées, comment se comportera le crédit lors des prochains mois?

Le premier trimestre consistera à recaler les anticipations trop rapides du marché qui s’attend à une première baisse en mars. À ce moment, les banques centrales n’auront pas toutes les informations nécessaires afin d’amorcer un nouveau cycle de baisse en toute confiance. Le bon de Trésor américain à 10 ans oscillera entre 5% et 4% en attendant la confirmation du timing.

À quel moment attendez-vous la première réduction?

Pas avant la fin du deuxième trimestre, car les banques centrales ont besoin de confiance sur les prévisions. La visibilité sur le niveau de croissance ne sera connue qu’après la publication des chiffres du trimestre au cours du mois d’avril. Mais le plus important restera l’information sur l’évolution des salaires. Une parfaite visibilité sur l’inflation nécessite d’être plus avancé dans l’évolution conjoncturelle. Le ralentissement économique actuel ne justifie pas un mouvement de panique de la part des banques centrales.

Nous cherchons à intégrer la protection offerte par les spreads compte tenu de l’appétit au risque.

Quels autres facteurs rentreront aussi en compte?

Les banques centrales ont changé leur façon de communiquer: elles ne dévoilent plus leurs forward guidances. Elles agissent dorénavant meeting par meeting au risque d’être en retard dans leurs décisions.

Ensuite, les banques centrales veulent poursuivre la normalisation de la taille de leur bilan en réduisant leur portefeuille d’obligations. La Fed est déjà en pilote automatique depuis juin 2022 et devrait interrompre son QT mi-2025. Mais la BCE accéléra la réduction de son bilan en 2024.

La Banque centrale européenne qui a déjà arrêté de réinvestir les retombées de son programme initial (Asset Purchase Programme). Elle vient aussi d’annoncer qu'elle n’investira plus la totalité des remboursements de son programme de rachat crée lors de la pandémie (PEPP) au second semestre de 2024 et mettra totalement fin aux réinvestissements en 2024. Il s’agit de 380 milliards d’euros de demande de titres qui disparaîtra l’année prochaine. Les marchés doivent absorber ce que les banques centrales n’achètent plus. Il faut trouver de nouveaux acheteurs, vraisemblablement des caisses de pension et des assureurs.

Mais cela entretiendra la volatilité sur les obligations d’État. C’est un sujet hautement sensible dans la mesure où, durant cette année 2024, les gouvernements présentent des budgets de transition. La générosité budgétaire observée lors de la pandémie va devoir laisser place en 2025 à des restrictions. Le récent rallye des obligations, justifié par un profil d’inflation favorable, devra néanmoins faire face au défi du refinancement des États, sans la présence de la BCE.

Pourquoi privilégiez-vous les titres à haut rendement?

En raison des anticipations sur les banques centrales et du déséquilibre entre l’offre et la demande, nous attendons de la volatilité sur la dette gouvernementale. Afin de se protéger sur les taux, nous conseillons à nos clients de rechercher le spread supplémentaire qu’offre cette classe d’actifs. De plus, la convexité des obligations High Yield négociées en dessous du pair est avantageuse dans la mesure où les prix ne resteront pas à ces niveaux: plus la duration est courte, plus le rattrapage est important. Cette année, il s’agira de cumuler les performances de portage, de convexité et de baisses des taux. À partir d’un bon point d’entrée, des performances de l’ordre de 7-10% aux en dollar US aux États-Unis et 6-9% en euro en Europe sont tout à fait plausibles.

Quelles stratégies en lien avec les obligations à haut rendement favorisez-vous?

Nous cherchons à intégrer la protection offerte par les spreads compte tenu de l’appétit au risque. La stratégie crossover – qui panache des obligations Investment Grade avec des titres High Yield – est idéale lorsque le prix de l’obligation est en-dessous du pair. Gérée en duration courte, elle bénéfice de la partie à haut rendement pour booster le crédit avec davantage de sensibilité sur le crédit et le spread que sur les taux.

Une autre stratégie combinant des titres High Yield à une gestion de protection via des dérivés est intéressante pour naviguer dans une année de volatilité sur les taux et moins sensible au point d’entrée.

Retournez-vous sur la dette émergente?

Les marchés émergents - mal aimés ces deux dernières années - sont dans un climat monétaire différent qu’en Europe.  Nous investissons uniquement dans le gisement corporatif en devise forte. Le danger majeur chinois est en train de se résorber grâce aux contremesures du gouvernement. Compte tenu des spreads offerts, il n’est pas nécessaire de solliciter de la duration longue: le risque de perdre du capital est ainsi très réduit.

Que pensez-vous des bancaires après une année chahutée?

Nous avons une position significative sur la dette bancaire senior et la subordonnée (hors Coco’s) qui constituent un excellent thème d’investissement pour 2024. Après la débâcle de Credit Suisse, la prime ne s’est pas pleinement résorbée et ce compartiment a globalement bien traversé le reste de l’année. Les AT1 (Coco) restent cependant volatiles et ne conviennent pas à toutes les stratégies.

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