La BNS a commencé de s’émanciper de la politique de la BCE

Yves Hulmann

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Pour Karsten Junius, chef économiste chez J. Safra Sarasin, l’inflation est le principal risque auquel il faudra être attentif en 2020.

   

  Alors que les craintes d’un scénario de récession en 2020 se sont dissipées des deux côtés de l’Atlantique, certains investisseurs s’inquiètent maintenant des évaluations excessives qui pointent sur les marchés des actions. Comment se positionner en ce début d’année? Le point avec Karsten Junius, chef économiste chez J. Safra Sarasin.

Pendant près d’un an, les indices globaux mesurant l’activité manufacturière (ndlr: «Global manufacturing PMI») n’ont cessé de se détériorer, avant de se stabiliser à partir de l’automne 2019. Pour autant, cette baisse de l’activité industrielle n’a pas entraîné jusqu’ici le reste de l’économie dans son sillon. Faut-il actuellement voir le verre à moitié vide ou à moitié plein?

Jusqu’à l’automne dernier, j’aurais plutôt vu le verre à moitié vide – maintenant, je le vois davantage à moitié plein. Il s’agit d’une évolution réjouissante. La récession industrielle n’a pas entraîné un effet de contagion sur d’autres secteurs d’activité tels que les services, la construction ou la consommation, comme cela avait été habituellement le cas par le passé.

«Les entreprises hésitent davantage à licencier du personnel
lors de phases de récessions dans l’industrie qu’il y a 10 ou 20 ans.»
Pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas cette fois?

Je pense que la bonne tenue du marché du travail en Europe a joué ici un rôle central et a beaucoup contribué à surmonter le passage à vide de la conjoncture dans l’industrie. Les entreprises hésitent davantage à licencier du personnel lors de phases de récessions dans l’industrie qu’il y a dix ou vingt ans. Des sondages effectués en France et en Allemagne ont montré qu’elles sont devenues plus conscientes du fait qu’il est ensuite difficile de retrouver du personnel qualifié lorsque la conjoncture redémarre.

Concernant l’évolution du marché des actions aux Etats-Unis, des données remontant jusqu’au début des années 1960 montrent que la troisième année du mandat présidentiel est généralement la plus favorable. Le meilleur est-il dès lors déjà derrière nous?

Oui, certainement. Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire que l’évolution des marchés des actions sera négative. Il faut simplement s’attendre à une progression beaucoup plus modérée des cours des actions, qui sera en ligne avec la croissance des bénéfices des entreprises. Il faut s’attendre à une croissance à un chiffre – non pas à une répétition de la hausse de 2019.

«Il sera alors temps de réduire son engagement dans les valeurs cycliques
et de se replier vers des valeurs plus défensives.»
Les valeurs cycliques ont évolué positivement l’an dernier mais vous conseillez déjà de réfléchir à réduire leur part dans les portefeuilles actions au profit des valeurs défensives. Pourquoi?

On ne dit pas qu’il faut procéder tout de suite à une telle substitution. Simplement, au cas où les objectifs de cours placés sur certaines actions cycliques devaient être rapidement atteints au cours de l’année 2020, il sera alors temps de réduire son engagement dans les valeurs cycliques et de se replier vers des valeurs plus défensives. Typiquement, cela signifie réduire ses positions dans des valeurs cycliques, à l’exemple d’ABB, Adecco ou Caterpillar, et acheter au contraire des titres plus défensifs comme Lindt & Sprüngli, Novartis ou Zurich.

A quels risques principaux faudra-t-il être attentif en 2020?

Il faudra suivre de près l’évolution de l’inflation. Car si l’inflation devait s’accélérer plus rapidement qu’attendu, notamment aux Etats-Unis, cela pourrait entraîner beaucoup de turbulences sur les marchés. Une hausse de l’inflation entraînera aussi celle des rendements obligataires des emprunts d’Etat. Comparativement, d’autres actifs comme l’immobilier ou les actions pourraient ensuite apparaître moins attrayants.

Qu’en est-il des obligations d’entreprises?

Elles sont moins sensibles à une hausse des anticipations inflationnistes et offrent ainsi un coussin de sécurité. Les obligations d’entreprises sont moins affectées par une hausse des taux d’intérêt que les emprunts d’Etat dans les pays développés. Il est aussi peu probable que les taux de défaut des obligations d’entreprises augmentent rapidement dans l’environnement conjoncturel actuel.

«La BNS n’a pas abaissé d’un quart de point supplémentaire
son taux directeur comme certains observateurs du marché l’attendaient.»
Du côté des obligations d’Etat de la Confédération à dix ans, vous anticipez une remontée graduelle des rendements à -0,2% à fin 2020 (ndlr: comparé à -0,55% vendredi). La Banque nationale suisse (BNS) devrait, elle, laisser son taux directeur inchangé à -0,75%. Peut-on s’attendre à un quelconque changement de cap de la part de la BNS tant que la BCE poursuivra sa politique ultra-accommodante?

Mon impression est plutôt que la BNS a commencé de s’émanciper de la politique menée par la BCE. En septembre dernier, la BCE a annoncé la mise en place de toute une série de mesures allant dans le sens d’une politique monétaire plus accommodante. Or, la BNS n’a pas réagi – elle n’a pas abaissé d’un quart de point supplémentaire son taux directeur comme certains observateurs du marché l’attendaient. Rétrospectivement, cela a été un pas important pour l’émancipation de la BNS.

Est-ce à dire aussi que la BNS tolère désormais mieux la force actuelle du franc vis-à-vis de l’euro que par le passé?

A ses niveaux actuels, soit d’environ 1,07 à 1,10 franc par euro, la BNS semble en tout cas accepter cette situation pour la devise helvétique.

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