L’innovation selon André Kudelski

Anna Aznaour

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La Confédération a confié le pilotage de l’innovation dans le pays à André Kudelski, qui nous livre sa vision d’homme d’affaires sur la capitalisation du progrès.

© Keystone

Multiplier les ponts entre la recherche scientifique et le marché, tout en consolidant ceux déjà existants est le mandat confié à André Kudelski début 2018. Nommé président du Conseil d’administration d’Innosuisse, anciennement CTI, cet industriel et ingénieur suisse, à la tête d’un groupe qui réalise plus d’un milliard de chiffre d’affaires annuel, passe depuis peu la moitié de son temps aux États-Unis. Un déménagement partiel qui s’inscrit dans le contexte des 47% de recettes réalisées par l’entreprise dans ce pays, qui compte plus de 300 millions de consommateurs et représente le plus grand marché du monde dans le domaine de la cybersécurité, secteur où le groupe se développe fortement.

Vous passez actuellement 50% de votre temps aux États-Unis, dans le but, dites-vous, de capturer les nouvelles tendances. Sommes-nous, en Suisse, à la traîne?

De nombreux secteurs apparaissent et foisonnent d’abord aux États-Unis avant d’être viables dans le reste du monde, y compris la Suisse. Il y a les exemples de la cybersécurité et de l’Internet des objets, mais aussi celui du cinéma connecté, où le consommateur a désormais accès à un contenu différent de celui, classique, des studios. Il en va de même pour les jeux électroniques et certains types de concerts. La force de ce pays réside entre autres dans la masse critique de son marché, qui, potentiellement, permet à un projet valable d’atteindre rapidement un nombre important de clients. Ce précieux gain de temps peut faire la différence pour assurer la viabilité des innovations.

Si un produit marche, cela ne veut pas forcément dire
qu’un succès commercial retentissant l’attend.
Ces avantages étasuniens sont-ils applicables également à leur système fiscal?

Le système fiscal, même avec les réformes engagées par le gouvernement de monsieur Trump, reste plus lourd qu’en Suisse. Cependant, à travers plusieurs sociétés américaines que nous avons achetées sur place, nous disposons actuellement d’une réserve fiscale importante aux États-Unis. Bien que notre groupe soit fiscalisé dans tous les pays où il est présent, 33 au total, notre siège social demeure en Suisse, où toutes nos affaires sont consolidées.

En votre qualité de président d’Innosuisse, comment comptez-vous promouvoir concrètement l’innovation dans notre pays?

Favoriser des innovations disruptives, c’est-à-dire avec des modèles d’affaires différents, me paraît essentiel, de même qu’offrir la possibilité aux entrepreneurs de prendre des risques plus importants pour des innovations dont l’impact global est considérable. Et pour le mesurer, il faut analyser les éléments qui renseignent sur les retours sur investissement. Car, dans l’absolu, si un produit marche, cela ne veut pas forcément dire qu’un succès commercial retentissant l’attend. Il faudrait toujours prendre en compte le prix du produit et les possibilités de réduire son coût afin d’augmenter le nombre potentiel d’utilisateurs à même de l’acheter. Si cette réduction peut dépasser les 50%, comme cela s’est produit pour le téléphone portable, dans ce cas, on peut escompter des gains importants qui justifieraient des prises de risques élevées.

Prévoyez-vous de financer les startups? Le marché chinois est-il un terrain fertile pour leur déploiement?

Contrairement aux incubateurs tels que Fongit ou Genilem, qui vont investir leur argent dans les startups en capital action, Innosuisse, elle, va cofinancer des projets conjoints entre une entreprise et un institut de recherche. À cela s’ajoutent notre offre de coaching et des formations destinées aux entrepreneurs. La mission d’Innosuisse n’est donc pas celle d’investir dans les startups, mais de les aider, notamment grâce à sa capacité à passer des accords internationaux avec d’autres entités à travers le monde afin de faciliter l’éclosion des projets. Concernant le marché chinois, il est certes très intéressant, mais, malgré les apparences, beaucoup plus fermé qu’on ne le croit.

Plus les objets sont connectés et plus on a besoin
d’avoir des interfaces ancrées dans le monde réel.
En matière de dépôts de brevets, Innosuisse compte-t-il soutenir financièrement les entrepreneurs?

Le cadre légal actuel ne le permet pas vraiment. Cependant, une réflexion stratégique est en cours. Qui crée la propriété intellectuelle? Comment elle est valorisée? Si un projet innovant est réalisé dans une université, qui le conserve dans un premier temps puis le transmet de façon exclusive ou non à la startup qui souhaite le valoriser, qui – au final – en est le propriétaire? Ce sont des préoccupations d’autant plus épineuses qu’il s’agit de savoir si finalement le projet est viable ou non, notamment en fonction des droits de propriété intellectuelle.

À part le savoir-faire, quelles sont les autres qualités des entreprises suisses, susceptibles de les avantager?

Les Suisses ont souvent tendance à moins se mettre en avant que leurs homologues étrangers, mais à mieux réaliser leur travail. Cette qualité d’exécution, et ce à chaque étape de réalisation, est souvent nettement meilleure en Suisse qu’ailleurs, car l’ensemble de notre chaîne de valeur est bien maîtrisée. Et même si le service proposé n’est pas forcément bon marché, certains clients préfèrent tout de même le payer car ils comptent réduire les dépenses futures, comme celles liées aux dépannages.

Dans un monde de plus en plus connecté, les objets mécaniques vont-ils à terme disparaître?

Il s’agit moins d’un affrontement, contrairement aux idées reçues, que d’une complémentarité. Cette thématique est vraiment très intéressante, car plus les objets sont connectés et plus on a besoin d’avoir des interfaces ancrées dans le monde réel. Ce sas d’efficacité est valable aussi bien pour de la mécanique de précision que pour de la mécanique de précision mélangée avec de l’électronique. La particularité clé de notre ère connectée, par rapport aux époques antérieures, réside dans le fait qu’elle nous permet de mettre en évidence la différence entre les bons et les mauvais objets.

 

© 26 juin 2018. Texte d’Anna Aznaour pour www.allnews.ch
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