L’industrie des fonds est toujours plus gourmande en données

Yves Hulmann

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Selon Mike Smith, d’Alpha FMC, les clients ne se satisfont plus de consulter des rapports mais veulent avoir un accès direct aux données.

Quel sera l’impact des nouvelles technologies sur la distribution des fonds? Cette question a été abordée sous de multiples aspects à l’occasion de la 14e édition du Swiss Fund Day, qui s’est tenu jeudi à Zurich sous le titre «Fund Distribution Reloaded – How can new technologies assist to more effectively target the investors of the new generation», un événement organisé avec Quartal Financial Solutions, la Swiss Funds & Asset Management Association (SFAMA) et State Street. Le point avec Mike Smith, responsable de la distribution pour le Royaume-Uni et l’Europe chez Alpha Financial Markets Consulting (Alpha FMC), qui a effectué une présentation en ouverture de l’événement.

Si vous deviez comparer l’ancien monde de la distribution des fonds avec le nouveau, quels sont les principaux changements observés?

Il y a eu d’importants changements ces dernières années à la fois à cause des attentes des clients et en raison de l’évolution des exigences réglementaires. Je dirais néanmoins que le principal changement se situe au niveau des besoins des clients. Ceux-ci ne souhaitent aujourd’hui plus seulement pouvoir consulter les rapports d’activité à la fin d’une période mais ils veulent avoir accès aux données elles-mêmes. 

«Certains clients institutionnels veulent même avoir accès
aux données brutes des gérants de fonds.»

Le client, qu’il soit institutionnel, un intermédiaire ou un conseiller à la clientèle, met beaucoup plus l’accent sur les données. L’industrie, dans son ensemble, devient de plus en plus gourmande en données. Certains clients institutionnels veulent même avoir accès aux données brutes des gérants de fonds pour pouvoir procéder à leur propre analyse. Dans certains cas, ils exigent que ces données soit mises à disposition sous une certaine forme de manière à pouvoir les intégrer directement dans leur interface de programmation applicative (API). Côté délai, certains clients souhaitent avoir accès aux données «intraday», même non auditées, afin de connaître les mouvements durant la journée sans attendre la publication des rapports officiels.

Y a-t-il aussi un changement des attentes concernant les services fournis par les gérants d’actifs?

Oui, c’est l’autre aspect clé de l’évolution de ces dernières années dans le domaine des fonds. Les distributeurs de fonds ont aujourd’hui besoin de fournir des services beaucoup plus sophistiqués. Il ne suffit plus seulement de délivrer une bonne performance. Celle-ci reste bien sûr un élément indispensable – mais ce seul aspect ne suffit plus. Pour fidéliser la clientèle, un gérant de fonds doit parvenir à entretenir une forte relation avec sa base de clients – même en périodes difficiles, par exemple quand la performance n’est pas à la hauteur des attentes, en cas de départ du gérant d’un fonds, etc.

Alors que la numérisation et la désintermédiation sont aujourd’hui sur toutes les lèvres, certains gérants internationaux, qui n’avaient plus de représentation locale après la crise financière, tendent aujourd’hui à revenir en Suisse et recrutent des équipes de distribution sur place. Comment expliquez-vous ce paradoxe?

Cela répond aussi à cette exigence de qualité de services. Pour un gérant, ne pas avoir de présence physique locale constitue toujours un défi quant au sérieux de votre engagement sur un marché donné. En outre, même si un fonds est géré de manière très centralisée, que soit à Londres, aux Etats-Unis ou ailleurs, il y a toujours la nécessité d’adapter certains aspects de distribution en fonction des spécificités locales. Il peut s’agir aussi bien d’aspects fiscaux – par exemple, si vous distribuez des fonds en Allemagne, il faut que la documentation soit adaptée aux exigences de la fiscalité allemande – ou liés à la réglementation, par exemple la nécessité d’utiliser des indices de référence (benchmark) adéquats. Donc, oui, il est aujourd’hui nécessaire d’avoir un réseau de distribution organisé au moins sur le plan régional, en regroupant les pays qui ont des similarités sur le plan réglementaire ou culturel.

«Parfois, Google dispose de davantage d’informations
sur les clients des fonds que les gérants.»
Côté numérisation, que peuvent apprendre les gérants de fonds des géants du commerce en ligne dans la manière d’exploiter les données de leurs clients?

A mon avis, il y a eu il y a quelques années beaucoup de «bruit» à propos de qui sera le prochain «Uber» de la gestion d’actifs. La réalité est toutefois que les gérants d’actifs ne disposent pas toujours d’autant de données à propos de leurs clients que ce que certains imaginent. Il est, certes, facile pour un gérant de connaître l’adresse IP des personnes qui visitent son site ou de savoir dans quels établissements ils travaillent. Mais cela ne vous fournit pas encore une adresse exacte d’un contact potentiel. En outre, certains gérants ont mis en place des sites Internet très sophistiqués pour faciliter la prise de contact avec les clients – mais les clients ne vont pas forcément s’enregistrer sur le site. Beaucoup de clients, lorsqu’ils veulent connaître la performance d’un fonds, cherchent l’information directement sur un moteur de recherche. Parfois, Google dispose de davantage d’informations sur les clients des fonds que les gérants.

Il y a donc bien un potentiel supplémentaire de désintermédiation…

Evidemment, si Google se met à exploiter les requêtes faites par les utilisateurs pour proposer lui-même une sélection de fonds, cela changerait la donne pour les gérants. Dans ce cas, Google endosserait en quelque sorte le rôle de sélectionneur de fonds. Google, ou d’autres géants de l’Internet, pourraient sélectionner certains de fonds en fonction de la performance réalisée, du niveau des frais de gestion, etc. Nous n’en sommes pas encore là mais il est certain que les émetteurs de produits doivent être très attentifs à ces développements.

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