L’économie actuelle de l’UE ne justifie pas des taux réels si bas

Yves Hulmann

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Pour Guillaume Rigeade (EdRAM), la valorisation des emprunts allemands s’explique surtout par la politique monétaire. L’Italie ne fera pas défaut.

Jusqu’en 2017, beaucoup de fonds obligataires ont aligné année après année une performance positive, si l’on se base sur un indice de comparaison calculé par Morningstar. Cela a aussi été le cas pour le fonds EdRF Bond Allocation (I) qui a battu la moyenne des concurrents de la catégorie « EUR Flexible Bonds ») année après année entre 2013 et 2017 (sauf en 2014). En 2018, les choses se sont compliquées, même si, depuis janvier, le fonds EdRF Bond Allocation (I) a moins reculé que l moyenne des concurrents. Guillaume Rigeade, co-gérant du fonds EdRF Bond Allocation (I) chez Edmond de Rothschild Asset Management (EdRAM), explique l’approche de gestion du fonds dans l’environnement de marché actuel.  

Le début de l’année a été marqué par de forts mouvements de hausse des taux des emprunts d’Etat, notamment celui à dix ans aux Etats-Unis, ainsi que des phases de volatilité accrues sur les marchés. Comment navigue-t-on dans cet environnement?  

Effectivement, l’année 2018 a été caractérisée par une succession d’événements qui ont eu un fort impact sur le marché obligataire. Il y a eu le pic de volatilité début février, les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine ainsi que la crise sur plusieurs marchés émergents durant l’été. Alors, à la question de savoir comment on peut appréhender au mieux de telles phases, il faut être attentif surtout à deux aspects : les variations de taux et les spreads. S’agissant, premièrement, du risque de taux, on peut le gérer en ajustant la sensibilité du portefeuille aux variations des taux. A cet égard, il faut souligner que grâce à notre gestion dynamique de la duration – qui peut aller de -2 à +8 -, une hausse des taux peut même parfois être une source de performance, à condition que l’on soit bien préparé à un tel scénario.

Et qu’en est-il des écarts de crédit? 

Une phase de hausse des taux ne concerne pas que les emprunts gouvernementaux mais elle est souvent aussi accompagnée par un creusement des écarts de taux («spreads»). Cela concerne aussi bien les emprunts souverains «non core» que les obligations issues des pays émergents. Cela se traduit souvent par de forts mouvements de hausse des taux sur les actifs jugés plus risqués. Il faut être souple et prêt à réagir durant de telles phases. Une gestion active des durations est souvent la meilleure manière de réagir. Notre fonds, bien qu’en recul de -0,9% depuis début janvier, affiche une performance relative favorable par rapport à la moyenne des concurrents. Il a du reste bénéficié d’une excellente collecte d’argent ces dernières années. Il atteint maintenant plus de 3 milliards de francs d’actifs sous gestion contre environ 100 millions il y a cinq ans.

«En Europe, nous nous préparons à une remontée des taux.
Nous n’avons en revanche pas adopté de position négative sur les taux américains.»
Quelles sont vos anticipations pour les marchés obligataires en Europe et aux Etats-Unis? 

Concernant l’UE, on peut constater que l’environnement économique reste, dans l’ensemble, très favorable. La bonne tenue de l’économie américaine a, jusqu’ici, eu un effet de «contagion» très positif sur d’autres zones. Dans ce contexte, la politique monétaire va devenir moins accommodante en Europe. La BCE va ralentir son soutien. Il est intéressant d’observer l’évolution des taux réels des emprunts allemands à 10 ans – qui sont pratiquement au plus bas depuis cinq ans – en évoluant autour de -0,9%. Or, l’environnement économique actuel ne justifie pas des taux réels aussi bas. Autrement dit, les valorisations actuelles des emprunts allemands ne reflètent pas l’environnement économique – mais elles s’expliquent en grande partie par la politique monétaire menée par la banque centrale. Or, cette politique est en train d’évoluer. Et si la BCE relâche la pression, il y aura une normalisation des taux.

Qu’attendez-vous pour les taux des emprunts d’Etat allemand à dix ans? 

Une remontée des taux, de l’ordre de 40 points de base actuellement, à 80 points de base (0,8%) dans un délai d’un à deux trimestres. Ce ne sera pas un «sell off» massif mais cela va se traduire par une performance négative pour les obligations allemandes. Il faut savoir s’y préparer.

Concernant les Etats-Unis, vous estimez que le marché a déjà largement intégré le resserrement des taux par la Fed. Qu’attendez-vous pour ces prochains mois?

Aux Etats-Unis, contrairement à l’Europe, on se trouve déjà en pleine phase de resserrement de la politique monétaire. Il faut encore compter avec trois ou quatre hausses de taux d’un quart de point de la part de la Fed. Les taux courts reflètent déjà ce resserrement. En résumé, en Europe, nous nous préparons à une remontée des taux. Pour les Etats-Unis, nous n’avons en revanche pas adopté de position négative sur les taux américains.

«Nous ne croyons pas à un scénario de défaut de paiement de l’Italie.
Il s’agit plutôt d’une opportunité d’investissement.»
Beaucoup d’experts s’inquiètent de l’aplatissement de la courbe des taux aux Etats-Unis, un phénomène sensé être annonciateur de récessions. Que nous signale-t-il? 

Dans le cas présent, l’aplatissement de la courbe des taux est en partie imputable au QE massif mis en place par les banques centrales. Dans ce contexte, l’aplatissement de la courbe des taux ne reflète pas seulement l’évolution des fondamentaux mais aussi l’impact de la politique monétaire pratiquée jusqu’ici. Sur un plan fondamental, on continue en effet d’observer une croissance économique robuste aux Etats-Unis mais avec très peu d’inflation. La remontée des salaires n’est pas non plus en ligne avec la bonne tenue de l’emploi. Il n’y a pas de signes de ralentissement tangibles de l’économie.

Au cours des derniers mois, il y a eu une recrudescence de crises spécifiques à certains pays, comme la Turquie mais aussi l’Italie. Comment un investisseur obligataire peut-il s’y préparer?

La crise italienne était en partie prévisible. Cela pouvait se lire dès ce printemps en observant l’évolution des écarts de taux entre les obligations italiennes et allemandes. Est venue s’y ajouter une crise gouvernementale – avec un gouvernement tiraillé entre une aile qui veut dépenser plus et une autre qui veut au contraire réduire les dépenses! – qui a amplifié ce mouvement. A partir de mai, il y a ainsi eu un écart très brutal des spreads entre les emprunts italiens et allemands. Pour autant, comme nous ne croyons pas à un scénario de défaut de paiement de l’Italie, nous avons plutôt estimé qu’il s’agissait d’une opportunité d’investissement. En revanche, en ce qui concerne la Turquie, on a subi cette crise. Il aurait été très difficile de s’y préparer.

Faut-il s’inquiéter d’un possible manque de liquidités sur certaines classes d’actifs obligataires spécifiques?

Il y a quelques mois, j’aurais dit que la liquidité était un risque parmi d’autres. Maintenant, je pense que c’est toujours un risque parmi d’autres - mais qu’il s’agit d’un risque grandissant. Il faut parfois savoir réduire la voilure pour ne pas subir la volatilité de plein fouet lorsqu’elle survient sur certaines classes d’actifs.

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