Intégrer sans désintégrer

Anne Barrat

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Pour Vincent Mortier d’Amundi: «la croissance externe est un puissant accélérateur de croissance organique à condition que l’intégration respecte les cultures.»

L’italien Pioneer en 2017, l’espagnol Sabadell Asset Management en 2020, le français Lyxor en 2021: le groupe Amundi a continué après son introduction en bourse en 2015 le parcours qu’il avait entamé sur les fonts baptismaux de la fusion inaugurale entre les filiales de deux géants bancaires hexagonaux, le Crédit Agricole et la Société Générale. Un parcours d’intégrateur émaillé des rachats du spécialiste américain de la gestion obligataire Smith Breeden Associates en 2013, et de l’autrichien Bawag PSK Invest en 2014. Plus forts ensemble? Réponses avec Vincent Mortier, directeur des gestions du groupe Amundi.

Le groupe Amundi a connu une forte croissance marquée par une série d'acquisitions depuis sa création sans ce que cela ne semble le freiner ni l’empêcher d’envisager la prochaine. Comment l’expliquez-vous?

En dépit des apparences, depuis la création d’Amundi en 2010, notre développement s’est fait principalement via de la croissance organique: elle en représente les ¾ et fait intégralement partie de notre ADN. Il est vrai que nous avons choisi de nous renforcer au fil du temps à travers des acquisitions ciblées avec des critères économiques et financiers précis. Pour répondre à votre question, il faut s’intéresser à l’histoire: Amundi est née d’un rapprochement, le premier d’entre eux et fondateur, celui de Crédit agricole Asset Management (CAAM) et de Société Générale Asset Management (SGAM) en 2010. Autrement dit, la fusion des succursales de gestion d’actifs de l’un des plus grands réseaux de banques coopératives au monde avec l’une des plus anciennes banques généralistes françaises. Deux cultures très différentes. D’abord dédiée aux réseaux bancaires de ces deux banques, Amundi s’est progressivement intéressé à d’autres clients et en dehors de France. Son développement s’est ensuite accéléré avec l’acquisition de Pioneer Investments en 2017 ou encore celle de Lyxor en fin d’année dernière. Laquelle se déroule comme anticipé grâce à notre expérience en matière d’intégration.

«Chaque plateforme de gestion jouit de ses propres équipes qui ont un périmètre de compétence mondial.»

Dans ce processus, l’organisation est un élément clé. La nôtre repose sur un savant équilibre entre autonomie et pouvoir central. Chaque plateforme de gestion jouit de ses propres équipes qui ont un périmètre de compétence mondial, que ce soit le pôle Marchés émergents basé principalement à Londres, Actions européennes à Dublin, pôle d’investissement US à Boston, Gestion diversifiée à Milan, ou encore la Gestion Obligataire à Paris. Chacun a ses propres analystes, ses gérants, son Chief Investment Officer, ce qui leur permet de se positionner parmi les meilleurs acteurs localement tout en contribuant activement à la marque Amundi globalement. Nombre de ces pôles sont adossés à une entité acquise par le groupe, notamment Pioneer pour la gestion US, tous ont bénéficié de l’apport de l’une des acquisitions. Cela paraît simple, mais la réalité montre que de nombreuses opérations d’acquisitions dans le contexte de consolidation que connaît l’industrie financière depuis la crise de 2008 achoppent, sinon échouent à créer de la valeur, à cause d’intégration ratée.

Comment gérez-vous l’arrivée régulière de nouvelles équipes en tant que CIO du groupe?

La clé est là encore dans le dosage entre autonomie, donc forces centripètes et approche bottom up, et cohérence, donc force centrifuge, voire approche top down que nous utilisons assez rarement – un exemple récent est la fermeture de nos positions en Russie.

Chaque ligne de métier bénéficie de son propre comité d’investissement qui se réunit tous les mois puis partage avec le comité d’investissement du groupe ses vues et positions. In fine, un consensus groupe émerge, qui permet d’assurer qu’il y ait cohérence d’ensemble sur les vues de marchés, les risques, les opportunités. Il est communiqué aux équipes sous forme de vue précises, mais pas d’instructions. II s’agit d’un modèle subtil où chaque gérant est responsable de son fonds, de sa gestion, de sa performance, sans pour autant ignorer les vues du groupe. Ce qui n’arrive quasiment jamais: les cas où nous interférons sur les choix d’un gérant restent exceptionnels. Une organisation originale, qui n’est ni celle des gérants stars du stock ou bond picking, au sein d’une entité où coexistent de grandes différences de performances d’un fonds à l’autre, ni celle des structures top down où toute erreur du CIO provoque de lourdes pertes.

A chaque nouvelle intégration, nous recherchons un équilibre qui retienne la meilleure combinaison, celle qui respecte les personnalités de chacun sans s’arrêter à la surface des choses. Cette approche vaut également pour les partenariats que nous nouons dans la gestion.

«Quant aux risques d’intégration, indéniables, nous travaillons tous les jours à les piloter de manière à en faire une arme de performance de nos investissements, de diversité et d’inclusion de nos ressources, de richesse partagée avec nos parties prenantes.»
Quels types de partenariats?

Dans les pays où nous n’étions pas présents, nous avons souvent choisi de nous appuyer sur des acteurs locaux avec lesquels nous avons créé des joint-ventures. C’est notamment le cas dans des pays tels que la Chine, la Corée du Sud, l’Inde qui sont demandeurs de nos compétences en gestion d’actifs tandis que nous avons été, depuis le début de leur ouverture à l’économie de marchés, très intéressés à collaborer avec eux. Cette volonté réciproque s’est par exemple traduite par la création d’une joint-venture avec la Bank of China, Amundi BOC Wealth Management, dont nous sommes l’actionnaire majoritaire. Cette JV s’inscrit dans le cadre de la politique initiée par l’Etat chinois pour développer le secteur bancaire en créant des entités privées dédiées à la gestion de fortune et professionnaliser l’investissement tout en soulageant le bilan des banques chinoises. Chaque grande banque a été contrainte à créer une filiale pour y loger ses activités d’épargne. Nous avons été les premiers à saisir le momentum. Là encore, l’approche que nous avons développée dans le cadre des fusions & acquisitions que ces partenariats complètent, est respectueuse d’un équilibre entre les ressources locales et celles du groupe. La gestion d’actifs est ainsi confiée à des experts locaux sur la base de données locales auxquelles ils ont un accès beaucoup plus facile et moins coûteux que nous. Le groupe utilise leur recherche. En contrepartie, ils utilisent le système informatique et les infrastructures d’Amundi. Nous avons reproduit ce modèle en Corée du Sud et en Inde, et pourrions l’utiliser avec de nouveaux partenaires des pays émergents. Car, in fine, toutes ces opérations nous permettent de maintenir notre croissance organique à un niveau élevé: Amundi a collecté 60.2 milliards d’euros en 2021.

Le groupe n’est donc pas sanctionné par les risques d’intégration et de dispersion dont s’emparent souvent les analystes financiers et qui plombent les cours de bourse?

Diversification ne signifie pas dispersion, au contraire elle renforce le profil de risque du groupe. Fin 2021, nos actifs sous gestion, globalement de 2'064 milliards d’euros, se répartissaient en 1'146 milliards pour la gestion active et 310 milliards pour la gestion passive et les ETF, le reste étant composé de produits de trésorerie, produits structurés, actifs réels et alternatifs ainsi que des JV. La diversification se retrouve dans la répartition de nos encours : 30% de clients retail, 33% d’investisseurs institutionnels, 14% d’assureurs et 14% des joint-ventures.

Quant aux risques d’intégration, indéniables, nous travaillons tous les jours à les piloter de manière à en faire une arme de performance de nos investissements, de diversité et d’inclusion de nos ressources, de richesse partagée avec nos parties prenantes. Ce ne sont pas que des mots.

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