L’attrait de l’impact investing va croissant et BlueOrchard lancera son premier fonds UCITS cette année. Entretien avec Patrick Scheurle.
Si la Suisse est l’un des leaders incontestables de la finance durable (plus du tiers des investissements durables européens sont en Suisse), c’est en partie à la coopération historique entre les Nations-Unies et un petit groupe de banquiers suisses à l’origine de BlueOrchard qu’elle le doit. Pionnier du rapprochement entre investisseurs privés et impact investing, BlueOrchard est champion d’une innovation multi-dimensionnelle: combinaison de financement public et privé, méthodes de quantification de l’impact sur le terrain, création de nouveaux produits adaptés à des contextes très particuliers comme la micro-assurance des récoltes dans les régions défavorisées ou le financement de l’éducation privée en Afrique subsaharienne. Presque toujours hors des sentiers battus, BlueOrchard a aussi su prouver que la véritable finance durable n’est pas ennemie de la performance, loin s’en faut et lancera cette année son premier fonds UCITS. Rencontre avec son CEO, Patrick Scheurle.
très viable pour les foyers démunis en Afrique.
La microfinance à elle seule représente plus de la moitié de l’ensemble de nos investissements qui se chiffrent à ce jour aux environs de 4,7 milliards de dollars. Notre fonds de microfinance originel, premier véhicule de financement privé de son genre, a été lancé en 1998, avant même la naissance de la société. Il totalise 1,6 milliard sous gestion, investis dans 50 pays. Plus globalement, BlueOrchard a réalisé 2000 investissements dans plus de 80 pays touchant 35 millions personnes.
Cela n’a rien de paradoxal. Dans des régions où l’Etat ne fonctionne pas comme il le devrait et où l’éducation publique est problématique – il arrive souvent par exemple que les professeurs ne soient pas payés -, l’éducation privée est une alternative très viable tant sur le plan social que sur le plan financier. Elle ne s’adresse pas aux milieux fortunés mais, au contraire, aux foyers les plus défavorisés. Le financement privé permet d’engager des enseignants, d’acquérir des équipements mais aussi de proposer des crédits aux familles à faible revenu, très conscientes de l’importance de l’enseignement pour le futur de leurs enfants.
L’objectif de ces assurances est de protéger les fermiers des pertes de récoltes dues aux perturbations météorologiques. Il n’est bien évidemment pas question de procéder de la même manière que dans les pays développés. Aucun courtier en assurance ne peut faire des heures de voyage pour aller estimer une terre d’un hectare au fin fond de la brousse, ni y retourner pour évaluer les dommages en cas d’inondation ou de sécheresse. Un modèle que nous finançons est paramétrique, fondé sur les variations pluviométriques mesurées, par exemple, par les satellites de la NASA sur des zones de 5 km carrés. Si les pluies dépassent certains seuils, par le haut comme par le bas, l’assurance dédommage automatiquement les fermiers. Le bienfait de ces assurances est que les fermiers – largement des femmes – peuvent ainsi se permettre d’investir en équipements qui améliorent leur production et leur existence sans vivre dans l’appréhension perpétuelle d’une perte de récolte. A terme, le projet se propose de protéger ainsi plus de 100 millions de personnes.
La part du lion revient donc à l’investissement privé.
Sur le modèle californien, les projets d’infrastructure, d’efficience énergétique et de recyclage sont lancés au niveau des régions, à une échelle locale mieux adaptée aux ressources du terrain et sans souffrir des lourdeurs d’un Etat central. Il s’agit d’ailleurs en général de projets de taille modeste de l’ordre de 5 à 50 millions de dollars.
L’investissement public – essentiellement les banques de développement – représente un tiers des fonds investis. La part du lion revient donc à l’investissement privé au sein duquel les investisseurs institutionnels – fonds de pension, compagnies d’assurance, banques et family office – comptent pour 70 à 80%. Les banques distribuent une partie de ces investissements à leurs clients mais, pour des raisons de liquidité, il est plus difficile d’approcher les particuliers directement.
Effectivement, un premier fonds UCITS de microfinance avec une mise de fonds initiale soutenue par plusieurs investisseurs.
Au cours des deux dernières années, l’intérêt des investisseurs institutionnels et privés pour l’impact investing s’est beaucoup conforté. L’une des raisons de cette attention est que l’impact de ces financements est de plus en plus mesurable… et a fait ses preuves.
Je dirais de manière un peu générale que la microfinance est affaire de crédit car elle passe par les réseaux bancaires alors que l’assurance est plutôt orientée vers le private equity.
Exception faite des banques de développement locales, les investissements restent très orientés Nord-Sud. Les investisseurs des pays émergents cherchent plutôt à se diversifier sur les marchés internationaux développés car ils sont déjà, par la nature même de leurs activités, exposés aux régions en développement.
Ce conflit n’a jamais vraiment existé. Sur vingt ans d’expérience de la microfinance, notre performance annuelle a été de 4,3% avec un ratio de Sharpe de 1,66. Plus convaincante peut-être est la très faible corrélation de nos portefeuilles aux marchés: elle est de -0,06 au MSCI World. La ménagère africaine étant au fond assez peu sensible aux tweets de Donald Trump.
C’est un danger pour toute l’industrie mais les méthodes de quantification des résultats sur le terrain se sont améliorées et l’expérience des investisseurs s’est étoffée. L’impact investing s’est donc bien établi comme moyen de générer des rendements financiers tout en valorisant l’impact social.