Il ne restera plus que 60 banques privées suisses en 2025

Yves Hulmann

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Christian Hintermann, expert chez KPMG, anticipe la disparition d’une quarantaine d’instituts supplémentaires dans la gestion de fortune.

Diminution du nombre d’établissements, érosion des marges, profitabilité en baisse. Le tableau brossé année après année par KPMG dans son étude sur les banques privées suisses n’apparaît pas très encourageant à prime abord. Durant les 18 derniers mois, on a assisté au retrait de huit banques privées en Suisse, comparé à l’arrivée d’un seul nouvel institut ayant reçu une licence bancaire – la banque zurichoise MBaer  –, ce qui porte à 101 le nombre de banques privées en Suisse. En 2018, la hausse des afflux nets de capitaux s’est limitée à 0,2%, contre 0,3% un an plus tôt (valeur médiane). Si le ratio coûts/revenus s’est amélioré pour les plus grandes banques privées à 79,1% en 2018 (81,9% en 2017), il s’est détérioré pour les plus petites banques à 86,3% (82,4%). Pourtant, tout n’est pas négatif dans la branche, soulignent les auteurs de l’étude. Ainsi, un groupe d’une vingtaine d’établissements, décrits comme les «strong performers» sont parvenus à tirer leur épingle du jeu. Quelle évolution attendre durant ces prochaines années? Le point avec Christian Hintermann, spécialiste des questions liées à la transformation des services financiers («Head of Financial Services Transformation responsable Advisory Financial Services») chez KPMG Suisse et auteur de l’étude annuelle sur la performance des banques privées suisses réalisée par la société de conseil en collaboration avec l’Université de Saint-Gall (HSG).

«La gestion de fortune reste une activité
avec laquelle il est possible de gagner de l’argent.»
A la fin du premier semestre 2019, on dénombrait encore 101 banques privées en Suisse, comparé à 163 en 2010. Et il faut s’attendre à une «nouvelle vague de consolidation», selon l’étude. Pourtant, les fortunes générées à travers le monde continuent d’augmenter année après année, tout comme le nombre de millionnaires. N’est-on pas devenu trop pessimiste quant aux perspectives pour le secteur de la gestion de fortune en Suisse? 

Notre étude présente à la fois des aspects positifs et négatifs. Nous sommes positifs à propos des perspectives concernant la branche dans son ensemble. La taille du marché continue de croître à travers le monde. La gestion de fortune reste une activité avec laquelle il est possible de gagner de l’argent. En revanche, nous sommes plus négatifs quant aux perspectives pour certains acteurs du marché – décrits comme les «weak performers» dans l’étude – qui n’ont pas réussi à adapter leur modèle d’affaires jusqu’ici. Parmi les 30 établissements (ndlr: comparé à 20 en 2017) que nous attribuons à cette catégorie actuellement, on trouve typiquement des banques privées «old style» comptant beaucoup de clients offshores et en plus issus de nombreux pays différents, ce qui leur complique la tâche sur le plan réglementaire. Ces instituts sont souvent encore présents sur de nombreux marchés mais ils n’ont ni les capacités, ni les ressources nécessaires pour y être actifs. Parmi les 30 établissements qui font partie des «weak performers», 16 d’entre eux ont subi des pertes opérationnelles en 2018.

Est-il si simple de classer chaque établissement dans telle ou telle catégorie? 

Il y a évidemment toujours des situations qui sont à la limite entre deux catégories. Toutefois, cette répartition des 101 banques privées suisses en quatre groupes d’instituts (ndlr: soit 19 banques «strong performers», 19 «upper mid performers», 19 «lower mid performers» et 30 «weak performers») correspond à des profils réels d’établissements. Dans le premier groupe, on trouve souvent soit des grands établissements disposant d’actifs sous gestion de 100 milliards de francs ou davantage, des filiales suisses de banques issues des marchés émergents mais aussi des établissements, parfois de plus petite taille, qui se concentrent sur le seul marché helvétique onshore et qui réussissent sur ce segment.

«Il faut s’interroger sur le sens d’une fusion
entre petits établissements.»
Quelles solutions sont envisageables pour les établissements considérés comme étant des «weak performers»?

L’option la plus radicale serait de fermer l’établissement, en négociant néanmoins un prix pour la reprise de la clientèle. Ensuite, on peut opter pour une fusion ou une acquisition d’un établissement qui ne peut plus continuer d’être actif en solo. Mais, ici aussi, il faut s’interroger sur le sens d’une fusion entre petits établissements: si l’on fusionne une banque qui a 1 milliard de francs d’actifs sous gestion avec une autre qui en a 2 milliards, cela ne fait pas une grande différence par rapport à la situation initiale.

Que pensez-vous de l’option de renoncer à la licence bancaire, pour réduire les coûts, et de continuer comme gérant de fortune indépendant? 

Ici aussi, c’est un pas à envisager avec prudence. Car, si une telle mesure permet effectivement d’abaisser les coûts, cela entraîne aussi une transformation importante de la nature de l’établissement. Mentalement, c’est une évolution importante à la fois pour le management et les collaborateurs.

On a assisté, jusqu’ici, surtout à des rachats de petits établissements par des plus grands ou à des rapprochements entre petits instituts. Anticipez-vous à l’avenir aussi des rapprochements entre des banques privées de moyenne ou grande taille en Suisse? 

Cette question va certainement se poser davantage à l’avenir. Car si fusionner deux banques ayant chacune 1 milliard de francs d’actifs sous gestion ne change pas grand-chose à la situation de ces instituts sur le marché, il en va autrement si un établissement doté de 30 milliards d’actifs sous gestion en rachète un autre avec 20 milliards. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu beaucoup de rachats ou de fusions entre instituts de taille moyenne – mais si ça devait être le cas, je considérerais de tels rapprochements comme tout à fait sensés.

«Je suis étonné qu’il n’y ait pas eu davantage
de changements à la tête des banques privées suisses.»
Avoir une taille plus grande, est-ce une garantie de succès?

C’est une condition préalable, et qui constitue une bonne base de départ. Mais ce n’est évidemment pas en soi une garantie de succès.

L’étude évoque aussi l’âge en hausse des cadres des banques privées et le nombre très faible de changements à la tête de ces établissements, même lorsque les affaires vont mal. Seuls 13% des banques privées ont changé de CEO entre 2012 et 2018 en dépit de performances souvent mauvaises. Comment l’expliquer? 

Nous avons été nous-mêmes surpris par ces chiffres. En fonction de l’évolution de la situation au sein de certains établissements, je suis étonné qu’il n’y ait pas eu davantage de changements à la tête des banques privées suisses. Cela d’autant plus qu’il y a de nombreux défis à relever actuellement – comme l’amélioration de l’efficience des processus, la numérisation, etc. – qui nécessiteraient justement de pouvoir compter sur de nouvelles forces.

Il y a cinq ans, certains acteurs comme les conseillers robots ou les néo-banques promettaient de révolutionner la gestion de fortune. N’a-t-on pas parfois exagéré l’impact de la numérisation sur les activités de gestion de fortune?

Bien sûr, les attentes évoquées il y a quelques années concernant l’arrivée de solutions de gestion entièrement automatisées ont certainement été exagérées. Néanmoins, la technologie déployée et les idées développées par ces nouveaux acteurs auront un impact important sur le secteur et continueront de le transformer ces prochaines années. On ne peut plus simplement se dire: la gestion de fortune est une activité basée avant tout sur l’attention portée à la relation avec la clientèle et ignorer l’évolution technologique.

Combien y aura-t-il encore de banques privées en Suisse en 2025?

En 2025, il ne restera à mon avis pas plus de 60 banques privées en Suisse, ce qui correspondrait à la disparition d’environ 40 établissements. Ce dernier nombre peut paraître élevé mais cela n’est pas exagéré si l’on tient compte des 30 établissements considérés comme des «weak performers» sur le total de 101 banques privées.

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