Exploiter les situations d’asymétrie intéressantes

Yves Hulmann

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Lucio Soso, gérant chez Bellevue AM, travaille en fonction de scénarios plutôt que d’après des prévisions.

Certains gérants travaillent en fonction de leur conviction sur l’évolution de telle ou telle classe d’actifs, d’autres préfèrent prendre en compte différents scénarios. C’est le cas de Lucio Soso, gérant chez Bellevue Asset Management. Entretien.

Vous gérez un fonds de type «Global Macro». Comment analysez-vous le premier trimestre écoulé et quelles sont vos attentes pour la suite de l’année?

Notre approche ne consiste pas à effectuer des pronostics à tel ou tel horizon, comme le font certains stratèges ou économistes. Notre but n’est pas d’essayer de prédire ce qui va se passer dans six ou neuf mois mais d’identifier 3 à 4 scénarios principaux. Notre approche d’investissement se répartit en trois étapes: l’analyse des scénarios, la définition des univers et des idées d’investissement, puis la construction de portefeuille. La construction de portefeuille tient compte en particulier de l’analyse du risque et de la corrélation entre les différentes classes d’actifs contenues dans le portefeuille.

Et quels sont vos trois scénarios principaux actuellement?

Le premier scénario, celui auquel nous attribuons la plus grande pondération (45%), est celui de la poursuite d’un environnement de marché de type «Boucle d’or», ou «Goldilocks» en anglais. A savoir, une économie qui, certes, ralentit mais qui continue de croître. Ce ralentissement réduit la pression sur les banques centrales, en particulier la Fed qui a déjà signalé qu’elle allait faire une pause dans son mouvement de hausse des taux au moins jusqu’à la fin de cette année. De plus, compte tenu de la correction survenue l’an dernier, la valorisation des marchés des actions s’est nettement améliorée, ce qui rend certaines catégories de titres plus attrayantes.

Nous accordons de l’importance au fait de protéger notre portefeuille
contre de trop fortes variations des marchés à la baisse.
Quels sont les deux autres scénarios?

Le deuxième scénario, auquel nous attribuons une pondération de 35%, s’inscrit dans la continuité de 2018. Il se caractériserait par une liquidité très serrée dans la zone dollar, susceptible de causer des tensions dans les marchés émergents et en Europe dite périphérique. Cet environnement serait positif pour les obligations gouvernementales, mais modérément négatif pour les actions et les emprunts non gouvernementaux. Il est possible que l’on revienne vers un tel scénario.

Le troisième scénario, doté d’une pondération de 20%, serait caractérisé par une récession modérée dans les pays développés, accompagnée d’une crise financière dans les marchés émergents. Il s’inscrit dans une logique de fin d’expansion du cycle économique. Ce scénario serait positif pour les obligations gouvernementales et pour le dollar.

Et comment gérez-vous un portefeuille à partir de ces scénarios?

On s’intéresse à trois catégories d’actifs en particulier. Premièrement, les actions, qui sont redevenues plus intéressantes. Les obligations gouvernementales qui, à nos yeux, sont, elles, à nouveau surévaluées. S’agissant des obligations non gouvernementales, les obligations d’entreprises («corporate») sont à notre avis trop chères, alors que les obligations émergentes sont, elles, plus intéressantes. En termes de construction de portefeuille, nous accordons de l’importance au fait de protéger notre portefeuille contre de trop fortes variations des marchés à la baisse.

Comment obtenez-vous cette protection?

Premièrement, en gardant des obligations gouvernementales américaines, principalement des bons du Trésor. Deuxièmement, en restant investi en dollar – d’autant plus qu’on est rémunéré lorsqu’on détient des placements en dollars, au contraire du franc suisse par exemple. Troisièmement, en ayant des positions à la baisse «short» sur le renminbi. Compte tenu du ralentissement de l’économie en Chine, il y a de bonnes chances que le gouvernement chinois, comme cela se passe dans beaucoup d’autres pays, soit tenté de dévaluer sa monnaie pour rendre ses exportations plus attrayantes.

Tant que les taux d’intérêt montent graduellement, on a intérêt à garder
des obligations gouvernementales dans le portefeuille.
Ici, il ne s’agit plus vraiment de protection mais plutôt de pari à la baisse.

On peut bien sûr voir la situation de différentes manières. Dans le cas du renminbi, on se trouve face à une situation d’asymétrie intéressante. En effet, même si le gouvernement chinois sera soumis à une forte pression de la part des Etats-Unis à ne pas dévaluer, parier sur une baisse du renminbi ne coûte pas grand-chose – le différentiel de taux entre dollar et le renminbi étant peu marqué. Dans ce cas, même si ce sont les autres scénarios qui se réalisent, vous ne perdez pas beaucoup d’argent.

Vous conservez une part importante en obligations gouvernementales. Pourquoi?

Nous considérons un portefeuille comportant 75% d’obligations gouvernementales et 25% d’actions comme étant une position «neutre». Cette répartition diffère bien sûr de l’allocation d’actifs de nos principaux concurrents ayant des fonds multi-asset qui, au contraire, gardent environ seulement un dixième d’obligations gouvernementales et près d’un tiers d’actions. Tant que les taux d’intérêt montent graduellement, on a intérêt à garder des obligations gouvernementales dans le portefeuille car cela contribue à stabiliser les risques.

Pour la partie actions, quelle importance accordez-vous aux dividendes dans votre processus de sélection?

Une autre asymétrie intéressante à exploiter est celle des futures sur dividendes. Avec ces instruments, vous pouvez par exemple acheter les dividendes pour la période 2022-2023. Or, actuellement, on voit que le niveau de ces futures pour l’indice DJ Eurostoxx 50 se situe à 125 pour l’année 2018 mais à seulement 114 pour 2022. Or, on attend plutôt une croissance de 3 à 4% des dividendes par année. Cela représente une possibilité d’arbitrage intéressante.