Electrification: à l’orée d’une forte croissance

Emmanuel Garessus

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L’électrification est la partie la plus avancée dans le changement de modèle économique, selon Didier Rabattu, de Lombard Odier.

Lombard Odier vient de lancer un fonds sur l’électrification. Cette initiative répond aux opportunités issues de la transition climatique qui porte sur la transformation énergétique, les systèmes liés aux matériaux et ceux liés à la terre et aux océans. Didier Rabattu, responsable de la gestion actions de Lombard Odier Investment Managers, répond aux questions d’Allnews:

Que regroupe exactement le thème de l’électrification de l’économie?

Nous sommes au début d’une révolution majeure, d’une ampleur proche de celle de la révolution industrielle (fin du XIXe /début du XXe siècle) ou de l’arrivée des nouvelles technologies (à partir de 2000). L’électrification participe au changement de modèle économique que nous appelons CLIC (pour Circular, Lean, Inclusive, Clean) et que nous traverserons ces 20 prochaines années. Les conséquences de cette révolution auront un impact considérable sur les marchés boursiers, et plus particulièrement celui des actions. Des investissements massifs sont en train d’être développés. Nous pensons qu’ils atteindront entre 30 et 40 trillions de dollars sur les 20 prochaines années. A titre de comparaison, le PIB mondial se monte à 100 milliards de dollars. Les montants en jeu se traduiront par des changements tellement énormes au niveau des revenus et des bénéfices, et touchant de nombreuses industries, que les opportunités d’investissements en actions seront très significatives.

Quel est le rôle de l’électrification dans cette transformation?

L’électrification est probablement la partie la plus avancée dans le changement de modèle économique en cours. En 2022, pour la première fois dans l’histoire, les investissements dans les énergies fossiles ont été inférieurs à ceux qui ont été alloués aux énergies renouvelables.

«Nous entrons dans un monde où la ressource énergétique est un pur produit de la combinaison de produits industriels avec un très fort composant technologique.»

Le secteur énergétique joue un rôle est fondamental dans ce changement. Jusqu’ici, l’énergie, essentiellement fossile, accordait un le rôle principal à la nature, puisqu’elle a assuré la transformation des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) durant des millions d’années. Nous entrons dans un monde où la ressource énergétique est un pur produit de la combinaison de produits industriels avec un très fort composant technologique. La mutation est phénoménale. Le marché de l’énergie représente 5 trilliards de dollars et 5% du marché boursier qui vont se déplacer du secteur énergétique à proprement parler (les compagnies pétrolières ou gazières) vers les secteurs de l’industrie et de la technologie. La chaine de production sera par ailleurs géographiquement différente avec un rééquilibrage vers les pays consommateurs, comme la plupart des pays européens, pauvres en énergie fossile, mais riches en énergie renouvelable (solaire et éolienne)

Pourquoi acheter un fonds sur l’électrification plutôt qu’un fonds sur la transition énergétique?

A travers l’électrification, nous voulons profiter d’une mutation tant au niveau de la demande que de l’offre. Par exemple en Chine, les centrales à charbon servent à produire de l’électricité. Le pays dispose déjà d’un réseau électrique performant, mais il est en train de le moderniser pour recevoir de l’électricité issues des fermes solaires ou éoliennes. Nous assistons en même temps à une mutation complète de la distribution et du secteur en aval, comprenant aussi bien le bâtiment (chauffage et air conditionné) que le transport (automobile principalement) ou tout le secteur industriel.

N’est-il pas trop tard pour les investisseurs sachant que les actions qui composent un nouveau fonds thématique viennent souvent de surperformer?

Ces quatre derniers mois, le secteur a fortement corrigé parce qu’il comprend des valeurs industrielles liées au cycle. Or, les investisseurs, qui pensent qu’une récession est de plus en plus probable, ont récemment fait baisser les titres des différents sous-secteurs industriels.

Il y a deux ans, les sociétés présentant des solutions attractives en termes de transition climatique (équipements solaires, par exemple) ont bien performé en profitant des taux très bas ou négatifs. A la suite de la hausse des taux d’intérêt, cette partie-là du portefeuille présente maintenant des valorisations beaucoup plus raisonnables.

Par ailleurs, de nombreuses sociétés traditionnelles sont, elles, en train de se transformer pour s’adapter au monde moderne, à l’image des groupes Schneider Electric ou Legrand. Cette catégorie de titres (sociétés en transition) n’est pas particulièrement chère lorsqu’on prend en compte la croissance très forte à venir dans les secteurs de la basse et moyenne tension.

Quelle est la valorisation de votre portefeuille?

Nous n’avons certainement pas profité d’un marché euphorique pour lancer notre secteur. Notre fonds, dont le lancement a connu un vif succès avec plus de 300 millions de francs d’actifs, offre un multiple des résultats de 15 fois. Ce niveau correspond à celui de l’indice mondial des actions. Le rendement des fonds propres et le retour sur les capitaux investis des 45 titres qui le composent est toutefois 60% supérieur à l’indice MSCI Monde. La croissance moyenne du revenu de ses sociétés atteint 9%, contre 4% pour l’indice MSCI Monde, et la hausse des bénéfices s’élève à 10% contre 5% pour l’indice.

Le fonds sur l’électrification reflète-t-il d’assez près la diversité de l’économie mondiale?

Oui. Cependant, au sein des 11 grands secteurs de l’indice MSCI, seuls cinq s’inscrivent dans la transformation de l’électrification: les services informatiques, la consommation discrétionnaire (automobile), les services publics (Utilities), les industriels et les matériaux (aluminium, cuivre ou lithium par exemple). Nous n’investissons donc ni dans les financières, ni dans la santé, ni dans le secteur des services à la communication par exemple.

«Le montant des investissements concernés par cette mutation va atteindre 24 trilliards de dollars entre 2020 et 2030.»

En termes de capitalisation, par rapport à l’indice, nous sommes sous-pondérés dans les capitalisations de plus de 100 milliards de dollars. Par contre, nous sommes surpondérés dans celles de 10 à 50 milliards, le marché où se situe l’essentiel des entreprises cibles.

Sur le plan géographique, les marchés émergents et le Japon représentent 20% du portefeuille, l’Europe y compris le Royaume-Uni 33%, l’Amérique du Nord 47%.

Quels thèmes s’inscrivent dans la mutation de la demande et de l’offre d’électrification?

Les thèmes concernant la demande portent sur les bâtiments (chauffage, air conditionné, distribution électrique), la mobilité et l’électrification de l’industrie.

Au sein de l’offre, nous retrouvons la production, la distribution, le stockage et la transition. Nous investissons aussi dans les catalyseurs du changement, des logiciels aux métaux en passant par les infrastructures. Ces 9 thèmes se retrouvent dans les 4 secteurs de notre portefeuille, lesquels représentent la moitié de l’indice MSCI Monde.

Quels titres se retrouvent dans le portefeuille? Avez-vous des sociétés suisses?

Nous ne détenons pas de titres suisses en portefeuille. Les principales positions sont SSE, un producteur d’électricité, Carrier Global, un leader du chauffage, AES, un groupe de services publics, Schneider Electric, le leader mondial du courant moyenne tension, et Ansys, une société de logiciels.

Dans quelle mesure, le thème dépend-il de la politique, des subventions et des changements de normes?

Le soutien des différents Etats est en train de se déplacer de la consommation (qui a atteint un point haut en termes de part dans les PNB occidentaux) vers l’investissement. Les entreprises chercheront forcément à en profiter en adaptant leur modèle en conséquence.

Le montant des investissements concernés par cette mutation va atteindre 24 trilliards de dollars entre 2020 et 2030. Le montant profite autant au solaire qu’à la distribution, aux véhicules électriques, à l’éolien ou à la transmission. Cet investissement colossal correspond à de multiples plans Marshall. Les plans gouvernementaux prévus pour le Green Deal européen, l’US Inflation Reduction Act ou encore les projets chinois portent sur des sommes extrêmement importantes.

A quel moment de la mutation nous trouvons-nous?

Nous sommes à un point de bascule et à l’orée d’une forte croissance. Trois facteurs justifient ce scénario. Tout d’abord, l’accessibilité des biens et services de ces secteurs traduit une forte baisse des coûts. Le solaire est par exemple devenue l’énergie la meilleure marché au monde. Ensuite, la fonctionnalité, c’est-à-dire l’efficacité relative, est plus forte parce que les nouveaux produits produisent moins de chaleur, à l’image des véhicules électriques par rapport aux moteurs thermiques. Enfin, les tendances d’adoption sont très encourageantes, par exemple en faveur des pompes à chaleur. Ces trois éléments sont soutenus par des incitations gouvernementales.

Tandis qu’une récession menace, est-ce que le portefeuille est cyclique?

Le portefeuille est cyclique parce qu’il comporte des titres industriels et des producteurs de matériaux. Mais il est bon marché (pe de 15x). En cas de forte récession, la partie structurelle de la croissance sera évidemment influencée par l’impact conjoncturel. Avec nos analystes, nous cherchons à bien prendre en compte l’aspect conjoncturel dans nos prévisions afin de ne pas être trop impactés par une récession si cela devait arriver. Cependant, les taux de croissance devraient rester forts.

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