Donner du crédit à la crise du COVID-19

Anne Barrat

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La hausse du taux de défaut est le risque majeur pouvant découler de la crise actuelle. Décryptage avec Michel Donegani de Prisminvest.

Sans des interventions massives (monétaires et fiscales), permettant de faire le «pont» entre le début et la fin de cet arrêt des activités, nous ferons face à une crise majeure. Les inconnues sont nombreuses, notamment la durée de cet arrêt et la vitesse du redémarrage. 

Comment analysez-vous la situation créée par le COVID-19?

Depuis la crise de 2008 et l’accès à l’argent facile (taux d’intérêts proches de 0), les acteurs économiques (états, entreprises, ménages) ont augmenté leurs dettes, sans que l’économie ne soit véritablement en croissance. Le levier de ce système est donc très élevé. Nous vivons dans un monde où tout est optimisé à l’extrême, appliquant le «just-in-time» sans véritable réflexion sur les risques. En mathématiques, on apprend que la solution d’un modèle optimisé est fragile et instable. Un grain de sable peut être fatal. Avec le confinement de près de deux milliards de personnes, ce n’est pas un grain de sable… d’autant plus qu’il semble que de nombreux pays jouent des partitions différentes. 

«D’aucuns pensent qu’après la crise on retrouvera
le monde d’avant. Cela semble improbable.»

Nous vivons sur un iceberg depuis la crise de 2008. La question est aujourd’hui d’éviter de couler. Ce qui pourrait arriver si l’on ne met pas toutes les choses à plat, afin de se mettre d’accord sur le point de départ, peu importe, à la limite, où l’on décide d’aller. L’exemple de 2008 est parlant : la seule préoccupation d’alors a été de sauver les banques, «too big to fail», à n’importe quel prix, sans vision de l’avenir. Partir d’un point A pour aller vers un point B, ce n’est que du bon sens, qui suppose que l’on sache et soit d’accord sur ce qu’est le point A. Sans quoi on fait fausse route, quelle que soit la destination finale.

D’aucuns pensent qu’après la crise on retrouvera le monde d’avant. Cela semble improbable. Sauf à dire que l’on veuille renouer avec un monde sans croissance où les problèmes seront amplifiés, les taux d’intérêt ayant été faussés en Europe comme aux États-Unis depuis 2008.

Une fois la pandémie sous contrôle, nous risquons de prendre conscience de la profondeur de la crise des disparités sociales à résoudre, dans la plupart des pays. Elle était présente depuis des années mais ce virus a joué l’effet d’un révélateur.

Quels sont les défis les plus importants?

Le principal, c’est le crédit. Et son corollaire, le temps. Les marchés actions ne sont qu’une variable d’ajustement. Si les taux de défaut augmentent, dans un monde où tous les bilans sont croisés, où la croissance est faible, où l’endettement est le levier majeur de l’économie, la crise à venir pourrait être violente. Elle touchera aussi bien l’économie que le domaine social. Sans compter que trois éléments contribuent à creuser l’abime: l’absence de repères qui domine les décideurs; le pétrole à 20 dollars; la réponse sans imagination des banques centrales qui continuent à faire du 2008 et post-2008, concrètement à accroître la dette – une recette qui a largement montré son inefficacité en termes de création de valeur et de croissance. Alors que nous sommes apparemment revenus en janvier 2019, gommant un an de performance, notre environnement est en fait très différent de celui du début 2019. Ce qui a changé? Les marchés actions et le crédit ne sont plus d’accord : les premiers n’ont pas encore intégré le vrai prix du second, qui devrait anticiper des taux de faillite de l’ordre de 15% sur les trois prochaines années. C’est bien normal: personne, ni les Etats-Unis, dont les entreprises doivent largement leur réussite et parcours boursier au leverage financier, ni les banques centrales, qui ont répété à l’envie leur stratégie de QE pour mieux reporter les faillites de sociétés zombies depuis plus de dix ans, ne souhaitent qu’ils plongent.  Dès lors, les marchés évoluent dans le brouillard, ce qui explique que leur volatilité oscille entre 60 et 80 depuis des jours. Comme la lumière entre dans un trou noir pour ne plus en ressortir les actifs financiers sont rachetés par les banques centrales. Est-un modèle pérenne qui va résoudre le vrai problème de fond?

«Tant que le consommateur américain ne se relève,
une grande partie de la production chinoise sera stockée.»
Faut-il se positionner aujourd’hui?

Ceux qu’ils disent qu’il faut acheter, ce sont probablement ceux qui ont besoin de liquidité. Il est périlleux d’investir dans des marchés aussi volatils. Pour être honnête, répondre à cette question en appelle d’autres. Primo: combien de temps durera cette crise? Tous les analystes se sont basés sur l’exemple chinois pour prédire un scénario en courbe de Gauss: deux mois jusqu’au pic, deux mois après le pic. Aujourd’hui, on sait que c’est plutôt 4 mois avant le pic (selon la politique de confinement), et que la décrue n’est pas uniforme ni homogène, qui dépend des mesures prises, donc du modèle politique et de la structure de décision, et des ressources sanitaires des pays. Secundo, quand prendra-t-on le risque de sortir et de reprendre l’activité? La Bourse n’attend que ça, qui s’emballe au moindre signal positif, en témoigne le rebond technique de la fin de la semaine dernière.

La Chine nous dit qu’elle reprend ses activités, tant mieux. Tant mieux pour qui et pourquoi? Pour faire plaisir aux occidentaux, notamment aux analystes financiers qui se réjouiront des résultats du deuxième trimestre prochain? Pour rassurer les investisseurs étrangers sur les marchés chinois, étant rappelé qu’ils sont peu nombreux en raison des quotas posés par le gouvernement sur les sociétés A, et que la liquidité sur ces titres est plus que réduite puisque le même gouvernement avait interdit la vente des titres de sociétés A… Dans ces conditions, oui, les marchés boursiers chinois sont au vert. Maintenant, quid des principaux clients des entreprises chinoises? Tant que le consommateur américain ne se relève, une grande partie de la production chinoise sera stockée. L’image est celle d’une guirlande : tant que tous les lampions ne sont pas allumés, elle ne scintille pas. 

Comment se positionner?

Si l’on raisonne en relatif, il vaut mieux se positionner dans des pays où les banques centrales ont montré clairement leur présence active au soutien de l’économie, bénéficiant d’un système de santé efficace, avec peu de risque d’instaurer un contrôle des changes, etc… Puis, appliquer un même type d’analyse aux secteurs, puis aux sociétés. 

«Comme après la crise de 2008, il y aura également
des opportunités pour les investisseurs plus agressifs.»

Comme le COVID s’attaque de manière sévère principalement aux personnes ayant une faiblesse, il en ira de même pour les marchés. Je crains que les plus forts ne ressortent renforcés. Finalement, les thèmes positifs du monde d’avant (technologie, e-consommation…) devraient ressortir encore renforcés, au détriment d’autres (énergie carbone, chimie polluante, …) qui vont probablement passer par un lent déclin et des phases de restructurations douloureuses. Pour les initiés je dirai: Long Blue chips de Croissance et investissement dans des «stratégies Distress».

Mais comme après la crise de 2008, il y aura également des opportunités pour les investisseurs plus agressifs. Je pense notamment au marché russe. Ce pays est non seulement à l’inverse des caractéristiques décrites précédemment mais est également pénalisé de manière presque existentielle par un pétrole à 20 dollars. Il faudra donc un peu de courage pour être «contrarian» au bon moment. 

Comment voyez-vous l’après COVID-19?

Certains aspects ne changeront pas. Les taux d’intérêts risquent de rester à de très faibles niveaux pour bien longtemps et de nombreux investisseurs seront toujours à la recherche de rendements. On aura donc un retour à des investissements utilisant la volatilité pour générer des rendements, ainsi que l’attrait des sociétés solides offrant des dividendes stables.

Les plus grands changements sont sans doute à prévoir au niveau géopolitique. Les forts seront encore plus forts et la Chine va peut-être finalement sortir renforcée. Il faudra lutter contre les réflexes protectionnistes.

Des souhaits pour l’après COVID-19?

Oui… que cette crise éveille les consciences sur les choix que nous faisons et des conséquences qu’ils impliquent. Une grande partie du monde vit à crédit, en prétéritant les générations futures. Est-bien raisonnable d’hypothéquer l’avenir pour satisfaire le présent? Epuiser les ressources naturelles de la terre chaque année au mois de septembre, puis dans 10 ans, au mois d’août, n’est-ce pas aussi vivre à crédit?