Dix ans après Lehman Brothers

Nicolette de Joncaire

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«Quand TwentyFour Asset Management a été lancé, les risques étaient immenses… et l’appétit au risque s’était évanoui», explique Mark Holman.

TwentyFour Asset Management ouvrait ses portes il y a dix ans, trois jours avant la faillite de Lehman Brothers. Avec près de 20 milliards de francs suisses sous gestion – exclusivement en produits de taux – et l’appui de la banque Vontobel, devenue actionnaire majoritaire en 2015, la société britannique est aujourd’hui considérée comme l’un des succès de la décennie comme en témoignent les nombreux prix qui lui ont été décernés. Entretien avec son CEO, Mark Holman.

Difficile de lancer une société de gestion en septembre 2008?

Très difficile. Les risques étaient gigantesques… et l’appétit au risque s’était évanoui. Nous n’avions ni montants sous gestion, ni chiffre d’affaires. Mais nous avions une équipe de premier ordre. C’est ce qui a fait la différence. Au départ, notre intention n’était pas de jouer le rôle de conseil. Nous l’avons toutefois accepté avec un premier mandat en décembre 2008. Avec succès, puisque ce client est toujours avec nous. D’ailleurs, nos clients nous sont toujours restés fidèles.

Il est indispensable de comprendre quels sont
les risques à éviter ou, tout au moins à atténuer.
Votre société est exclusivement spécialisée dans les produits de taux, une classe d’actifs qui a dû relever des défis exceptionnels sur les dix dernières années. Existe-t-il une «bonne façon» de gérer les obligations?  

Les produits de taux sont le fondement des portefeuilles. C’est une classe sur laquelle il ne faut jamais se montrer trop optimiste. La priorité absolue est de récupérer la mise de fonds, c’est donc la préservation du capital. Avec l’assouplissement monétaire (QE) lancé par les banques centrales – et plus particulièrement la Fed – au lendemain de la crise, les règles de base de la gestion ont changé. Il est devenu impossible de se fier à la «sagesse conventionnelle» et il a fallu distinguer ce qui était resté identique de ce qui avait changé. En restant continuellement à l’écoute de ce qui disaient et faisaient les banques centrales.

Vous avez, en particulier, dû faire face à des bouleversements dans le régime des corrélations.

Effectivement. Il y a des moments où le risque de taux devient le danger principal. Ce fut le cas en 2013 au moment du taper tantrum. C’est de nouveau le cas cette année. Les perturbations de régime des corrélations sont une caractéristique du resserrement de la politique monétaire (QT). Dans ces moments, il est indispensable de comprendre quels sont les risques à éviter ou, tout au moins à atténuer. En réduisant le terme des obligations ou en utilisant les swaps de taux. C’est dans ces circonstances que l’on mesure l’importance d’avoir des mandats flexibles qui autorisent à utiliser les bons instruments.

Depuis 2015, la banque Vontobel est actionnaire majoritaire de TwentyFour. Comment s’est passé la transition, que vous apporte Vontobel et que lui apportez-vous?

Nous avons passé une année entière à travailler ensemble avant de concrétiser. Pour bien nous comprendre à l'avance. Vontobel nous offre une présence globale, une marque forte, une force de ventes internationale et le poids d’une société cotée. Ils nous ont aussi permis un accès au marché américain grâce à leur présence à New York. Dans l’autre sens, nous avons apporté à Vontobel une plus grande présence en Grande-Bretagne, une force de frappe sur les produits de taux et l’énergie d’une jeune société en pleine expansion.

Le plus important est la philosophie du risque
et l'indépendance du risk management.
Vous avez récemment remporté le prix du Fund Manager of the Year Award for Corporate Bonds et vous avez également été nommé Specialist Group of the Year. D'où vient votre succès?

TwentyFour ne peut prétendre à être le plus grand des gestionnaires, ni peut-être le plus rentable. Gagner un prix, être distingué pour notre excellence est la meilleure reconnaissance que nous puissions obtenir. Nous gagnons des prix dans notre catégorie depuis des années maintenant.

Au cours de l'été, American Beacon a abandonné Pimco, Brandywine et Payden & Rygel en faveur de TwentyFour Asset Management. Pourquoi?

Il n’y pas vraiment matière à en dire grand ’chose. Le fonds sous-performait et TwentyFour et American Beacon travaillaient déjà bien ensemble. American Beacon cherche à toujours s’associer avec l’excellence méconnue en matière d’investissement. C’est sa profession de foi.  

Quelle est l’importance d'une gestion rigoureuse des risques? Quels facteurs doivent être surveillés de très près?

La gestion des risques est la clef de la survie d'une société de gestion spécialisée comme la nôtre. Comme on a pu l’observer récemment. Pour chaque stratégie, il faut établir un cadre de gestion des risques et s'y tenir. Notre équipe de gestion du risque se compose de 5 personnes, sur un total de 24, et relève directement du comité de gestion. Pour bien gérer le risque, il faut les bonnes personnes, les bons outils, les bons systèmes informatiques et les bons contrôles mais, le plus important, est la philosophie du risque et l'indépendance du risk management. L’un des éléments de cette philosophie est de ne pas encourager les gestionnaires à être trop optimistes et bannir le modèle de rétribution sous forme de commissions établies en fonction de la performance.

Le risque est sévère mais je ne pense pas que nous
nous retrouverons dans une situation aussi dramatique qu’en 2011.
Pour en venir au contexte de marché actuel, quel impact aura la hausse des taux aux Etats-Unis?

J’estime que la Fed est déterminée à amener la politique des taux à la neutralité, c’est-à-dire à des taux aux environs de 3%. Toutefois, la Banque centrale ne décide que des taux directeurs. Ce qu’il faut vraiment surveiller est la politique de crédit des banques commerciales aux Etats-Unis. Si elles la resserrent, si les volumes diminuent, si elles s’orientent davantage vers la qualité du crédit, elles peuvent initier la fin du cycle. Cela peut venir de n’importe quel aspect du crédit: les prêts automobiles, les prêts hypothécaires, les prêts aux entreprises ou aux consommateurs.

Et quelles perspectives en Europe?

Les taux d’intérêt y son plus faibles ce qui est vrai également des taux de défaut. On y observe plus de surclassement des notations que de déclassement. Toutefois, le retard avec lequel l’Europe a mis en œuvre l’assouplissement monétaire a créé des déséquilibres et le resserrement peut y être inquiétant. L’incertitude règne: qu’adviendra-t-il de la relation entre la Grande-Bretagne et l’Europe? Jusqu’où ira le bras de fer entre l’Italie et la Commission européenne? Difficile d’estimer encore si la crise va s’aggraver ou si un compromis sera possible. Le pire des cas? Une crise de l’énorme marché des obligations italiennes si les marchés perdent confiance. Le risque est sévère mais je ne pense pas que nous nous retrouverons dans une situation aussi dramatique qu’en 2011.

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