De la santé féminine aux autres défis medtech

Emmanuel Garessus

3 minutes de lecture

Dans le capital-risque, la tendance est à la spécialisation, indique Esther Reynal de St-Michel de Thena Capital.

Esther Reynal de St-Michel, d’origine française, est un investisseur en technologies médicales qui vit à Londres depuis 17 ans. Rencontrée à Genève à l’occasion du Global Investment Forum, elle est l’une des trois associées de Thena Capital, un fonds de capital-risque qui a procédé à 10 investissements à ce jour, un 11e est en cours. Les capitaux levés en ce moment permettront d’investir dans 25 jeunes entreprises. Le fonds spécialisé, géré par trois conseillers, investit dans la medtech au Royaume-Uni. Esther Reynal de Saint-Michel répond aux questions d’Allnews sur le private equity dans la medtech:

Quelles grandes innovations devraient provenir de la medtech à l’avenir?

Un des grands soucis actuels des services de santé consiste à maintenir les patients le plus longtemps possible en dehors des hôpitaux ou de les garder le moins longtemps possible dans ces établissements.

Si l’on prend l’exemple d’une entreprise dans laquelle nous avons investi.  Le dispositif médical qu’ils ont développé participe au conditionnement de la peau avant une intervention chirurgicale. Le but étant d’améliorer la cicatrisation. Sachant qu’une intervention chirurgicale comporte des problèmes de cicatrisation, qu’une sur cinq conduit à une ré-opération, les montants en jeu sont énormes. L’impact est d’autant plus significatif si l’outil est utilisé par le patient à son domicile. Il limite le temps de l’hospitalisation, réduit les complications éventuelles et permet au patient d’améliorer son autonomie.

«La santé féminine est en train de se développer très rapidement. Ce domaine concerne bien davantage que la santé reproductive.»

Le monde médical et le patient ont longtemps vécu dans des mondes complètement différents. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de solutions qui placent le patient au coeur du processus («patient-centric»). L’autonomie du patient peut être améliorée par exemple par des solutions digitales. On crée une jonction entre les deux mondes.

Tout ce qui touche à la prévention est également fascinant. C’est ici que peut entrer en jeu l’intelligence artificielle par exemple. L’émergence de ces innovations est toutefois ralentie par le manque de temps et de formation des professionnels de la santé à la numérisation. L’adoption de ces outils est pourtant un critère de réussite majeur.

Quel autre domaine se développe-t-il très vite?

La santé féminine est en train de se développer très rapidement. Ce domaine concerne bien davantage que la santé reproductive. Dans tous les domaines thérapeutiques, y compris cardio-vasculaire, les essais cliniques ont insuffisamment pris en compte les femmes. Je pense aux questions de dosages par exemple. Au Royaume-Uni, une stratégie a été développée pour combler l’écart de santé entre hommes et femmes (Gender Healthcare Gap). Elle implique aussi bien le législateur que les grands laboratoires, les cliniciens ou de plus petits acteurs. Cette prise de conscience ainsi que de nouvelles solutions ne sont cependant qu’à un stade émergent. J’espère que les choses vont changer.

Quelles tendances majeures prévalent aujourd’hui dans le capital-risque?

Nous observons depuis 4 à 5 ans une tendance à la spécialisation de plus en plus marquée, sur les plans géographique ou sectoriel. La tendance devrait se poursuivre parce que la spécialisation sur un savoir-faire accroît les chances de créer une véritable valeur ajoutée. Les gérants sont mieux à même de comprendre les besoins de l’industrie, d’apporter le savoir manquant et d’ainsi aider les jeunes entreprises à maximiser leurs chances de succès sur le long terme.

Comment obtenir un niveau de diversification suffisant?

Au sein d’une même industrie, les opportunités sont nombreuses. Dans notre cas, nous avons identifié trois domaines clés: l’aide aux patients, les produits médicaux et l’optimisation des prestations de soins. Tous les trois peuvent s’exprimer dans deux types de produits différents: les solutions numériques et les équipements médicaux. Ces deux derniers ont des besoins de fonds propres et des profils de risques différents. La diversification peut ainsi tout à fait s’exprimer au sein d’un fonds spécialisé.

Est-ce que l’innovation medtech est florissante au Royaume-Uni?

L’innovation est florissante au Royaume-Uni, grâce à de nombreux pôles universitaires aidant au passage de l’innovation scientifique ou technique à la création d’entreprise ainsi que par l’accès à des infrastructures et au financement public. L’innovation medtech est également forte dans le reste de l’Europe et en Suisse. Le Royaume-Uni a cependant le deuxième plus haut budget de R&D dans la santé, loin derrière les Etats-Unis mais il est près de 2 fois supérieur à celui de l’Allemagne, en troisième position. C’est un pays qui ne manque pas de soutenir ses jeunes entreprises. Le coût de développement d’un produit et de sa mise en marché est de plus nettement inférieur à celui du marché américain, autre grand acteur de l’innovation médicale, ce qui veut dire un niveau de valorisation généralement inférieur à celui qui prévaut aux Etats-Unis. Si une entreprise britannique parvient à entrer aux Etats-Unis, l’opportunité de croître la valorisation est alors multipliée. L’expertise des gérants consiste en partie à identifier les projets qui pourraient percer sur le marché américain.

«Pour les grands groupes medtech, ce sont surtout les acquisitions qui permettent de poursuivre leur croissance.»
Les résultats des grands groupes medtech sont très convaincants. Quel est votre regard à ce sujet?

Je ne suis pas spécialisé dans les grandes entreprises cotées de cette industrie, mais des tendances de fond peuvent être signalées. L’investissement dans la santé est par exemple structurel et bénéficie d’une croissance à la fois constante et résiliente. Le nombre d’introductions en bourse a certes diminué ces derniers temps. Mais, pour les grands groupes medtech, ce sont surtout les acquisitions qui permettent de poursuivre leur croissance. Ce sont ainsi des partenaires importants du capital-risque.

Est-ce que les capitaux affluent dans le capital-risque medtech?

Un rapport de Deloitte d’il y a cinq ans avait déjà constaté une baisse des investissements dans les jeunes entreprises au stade «Seed/serie A». Des lacunes apparaissaient clairement en matière de financement institutionnel. C’est pourquoi nous nous plaçons sur ce premier stade du financement. Depuis 2016, nous avons assisté à une diminution de 21% des investissements aux stades initiaux du financement de l’innovation medtech. La croissance s’est concentrée sur les stades ultérieurs. Les capitaux ne manquent pas, mais ils ne s’investissent pas équitablement entre les stades de développement, limitant l’accès aux patients de nombreuses innovations. Il existe des fonds spécialisés dans les sciences de la vie ou biotech, mais peu sont spécialisés sur la jeune medtech. Nous sommes les premiers sur ce créneau au Royaume-Uni.

N’est-ce pas risqué de vous concentrer sur un marché, le Royaume-Uni, connu pour ses retards énormes dans le traitement des patients?

Comme mentionné, le Royaume-Uni est au cœur de l’innovation, grâce à l’action des universités et aux capitaux des acteurs financiers. Dans un récent sondage, 95% des employés du système de santé publique (NHS) sont conscients que les lacunes du système seront comblées par l’innovation. Le NHS est de plus un acteur clé de l’innovation, un grand nombre d’entre elles sont développées ou testées au sein de cette institution. Il est cependant évident que les jeunes entreprises de la medtech ne doivent pas construire leur stratégie de commercialisation uniquement autour du NHS, cela représente un trop grand risque et peut ralentir leur croissance.

A lire aussi...