Démultiplication des risques

Nicolette de Joncaire

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«La hausse des taux US? Bon pour le dollar, mauvais pour les rendements obligataires, neutre pour les actions» estime Léon Cornelissen de Robeco.

Depuis début février, les marchés sont entrés en zone de turbulences. C’est presque invariablement le cas: les Etats-Unis et sa banque centrale guident l’humeur. Mercredi dernier les commentaires de la Fed plombaient Wall Street. Tokyo, Hong Kong et Shanghai se repliaient et en Europe la majorité des marchés actions accusaient un recul. Le risque de crise est-il d’actualité? L’analyse de Léon Cornelissen, chef économiste de Robeco.

Quelles conclusions tirez-vous des récents incidents?

Les chances ont augmenté que la Fed se montre plus agressive qu’attendu. En raison de la juxtaposition de la politique de stimulation fiscale du gouvernement US et d’une nouvelle gouvernance de la banque centrale, les taux d’intérêt seront plus élevés qu’anticipé. C’est bon pour le dollar, mauvais pour les rendements obligataires et neutre pour les marchés actions. Du côté de ces dernières, la réforme fiscale jouera en faveur des entreprises et de leurs bénéfices. Les gains sur actions vont continuer à s’élever même s’il ne faut pas s’attendre à une performance aussi éblouissante qu’en 2017. Les marchés financiers américains devraient se comporter raisonnablement en dépit des survalorisations du cours des actions et d’un segment obligataire affaibli.

Nous sommes loin d’une stagnation séculaire.
Quelle croissance aux Etats-Unis et quid du prix du pétrole?

Nous sommes loin d’une «stagnation séculaire». La croissance US devrait atteindre 3% et l’inflation tourner autour de 2,75%, soit très au-dessus de l’objectif de 2%.  L’augmentation du cours du pétrole sera limitée par l’accroissement de la production américaine.

L’orientation prospective de la Fed sera-t-elle claire?

Probablement pas. Jerome Powell n’est pas un spécialiste des politiques monétaires et déclarera volontiers être «tributaire des données économiques» de son pays. Nous abordons une période «en dents de scie».

L’orientation sera-t-elle plus explicite en Europe?

Sans aucun doute. Mario Draghi devrait annoncer la fin de l’assouplissement monétaire pour septembre. Il n’est pas exclu qu’il en parle déjà à la prochaine réunion de la Banque Centrale Européenne.  L’économie européenne est en bien meilleur état que celles des Etats-Unis et les valorisations de titres y sont bien plus attrayantes. Les risques n’y sont cependant pas nuls. Ceux nés des élections italiennes par exemple.

Le taux d’emprunt de l’Allemagne s’est détendu
alors que celui de l’Italie s’est accru.
Quels risques font courir les élections italiennes?

A mon sens, l’affaire se conclura avec un gouvernement de centre sans danger pour les marchés financiers. Si l’alliance de droite obtient une majorité de Forza Italia, le résultat sera assez positif car ce parti ne pratique pas un discours anti-euro. Si, par contre au sein de cette alliance, les voix jouent en faveur de Lega Nord, les marchés seraient menacés car Lega Nord soutient la sortie de l’euro. On ne peut totalement exclure cette dernière éventualité, compte tenu de la puissante base régionale du parti et de son positionnement sur la problématique des réfugiés, mais son arrivée au pouvoir me parait peu crédible. Du côté du Mouvement 5 Etoiles, l’obtention d’un référendum de sortie l’euro me parait difficile à réaliser pour des raisons constitutionnelles. Le contexte reste ambigu mais ne devrait pas affecter négativement les marchés financiers. En tout état de cause, ces marchés reflètent  déjà une partie des risques puisque le taux d’emprunt des pays-refuge comme l’Allemagne s’est détendu alors que celui de l’Italie s’est accru.

La menace n’est pourtant pas inexistante en Allemagne?

Si le SPD votait contre la coalition la crise serait grave. Angela Merkel devrait quitter le pouvoir et le dossier européen n’avancerait plus, mais les sondages ne vont pas dans ce sens.  

La Grande-Bretagne pourrait se retrouver
dans une position «à la Norvégienne».
Où vont le Royaume-Uni et le Brexit?

Un Brexit réel serait très dommageable à l’économie britannique. L’accord de transition pourrait signifier qu’en fin de compte la Grande-Bretagne resterait de fait «membre économique» de l’Union. Une position «à la Norvégienne» où les directives de l’UE seraient appliquées sans que le pays ait son mot à dire. Une telle conclusion, difficile à digérer politiquement, ne serait pas du goût des eurosceptiques et Teresa May n’y survivrait pas.

Que dire des tensions en Chine et en particulier avec les Etats-Unis?

Elles sont affaire de sécurité nationale autant que de taxes tarifaires. Sur ces dernières, la Chine joue dans le contexte de l’Organisation Mondiale du Commerce et n’est pas d’humeur à escalader les tensions. Par ailleurs, avec l’alternance entre contrôle de l’endettement et stimulus économique, le gouvernement chinois joue une stratégie interne trop attentiste qui ne pourra pas toujours durer. Je ne perçois toutefois aucun risque important à court terme.