Banque Syz: la nouvelle vague

Nicolette de Joncaire

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«Il est très rassurant d’avoir comme interlocuteur quelqu’un qui porte le nom de la banque». Rencontre à Genève avec Eric et Suzanne Syz.

Suzanne et Eric Syz. © Sébastien Agnetti

Cet article a été publié en collaboration avec la plateforme financière Finews, en anglais et en allemand

En février, Eric Syz annonçait se retirer de ses fonctions opérationnelles pour se concentrer sur la stratégie du groupe et sur les clients, définissant ainsi une succession où ses deux fils, Marc et Nicolas1, tiennent désormais des rôles de premier plan. Plus discrètement, sa femme Suzanne a rejoint le conseil d’administration de la banque en début d’année. Créée par trois associés, la Banque Syz s’est muée progressivement en affaire de famille. La question des successions peut sembler épineuse. Les héritiers ont-ils envie de reprendre l’affaire? En ont-ils les capacités? Rencontre à Genève avec Eric et Suzanne Syz dans le salon Wolfgang Tillmans, du nom du célèbre photographe allemand dont deux œuvres majeures «habitent» la pièce.

Votre expérience professionnelle est complètement hors de la finance. Comment concevez-vous votre rôle au conseil d’administration de la banque? Cherchez-vous à en challenger le modèle?

Suzanne Syz: La banque est pour moi un nouvel univers mais la joaillerie est un monde tout aussi fermé aux femmes où il leur est difficile de se faire un nom. Ayant créé et géré ma propre société de création de bijoux, je ne suis pas étrangère aux défis que pose la direction d’une entreprise. Je suis certes encore en «apprentissage» du monde financier mais en bonne Suisse allemande, je m’y suis mise à fond. Je lis les dossiers de la première à la dernière ligne et pose toutes les questions… que personne ne pose. Ma position me permet d’exprimer les choses comme je les ressens. C’est une force.

Difficile d’avoir votre propre femme au conseil d’administration?

Eric Syz: Nous aurions dû le faire depuis des années… Mais je n’aurais jamais pensé faire venir quelqu’un dont l’expérience est si lointaine de la nôtre, si ce n’avait été ma femme. D’habitude, on fait appel aux gens de l’industrie parce qu’ils ont les «bons réflexes». En vérité, ils sont souvent préformattés par leur activité. Ma femme pose des questions pertinentes: celles que poserait un ou une cliente. Elle nous ramène à la raison d’être de notre métier.

Encore faut-il que les enfants soient aptes à reprendre le flambeau.
Vos deux fils n’ont eu accès à des postes de direction que récemment, à l’âge de 37 ans pour Marc et 34 pour Nicolas. Pourquoi ne pas les avoir initiés plus tôt?

SS: Nous ne voulions en aucun cas tomber dans le panneau, traditionnel, qui consiste à forcer les enfants à suivre les traces de leur père. Pour réussir il faut de la passion. Si Marc est, pour sa part, entré tôt dans la finance, ce n’était pas le cas de Nicolas qui était, du temps où il travaillait chez Firmenich, amoureux des parfums.

ES: Contraindre passe mal. Et, dans un contexte fondé sur la méritocratie, encore faut-il que les enfants soient aptes à reprendre le flambeau. Mieux vaut un bon médecin qu’un banquier médiocre. Marc est effectivement entré tôt dans la finance mais Nicolas n’y est venu que plus tard. C’est en travaillant pour Mark Haefele chez UBS qu’il a compris que la finance aussi peut être créative…

C’est pour l’instant Yvan Gaillard qui vous a succédé comme CEO de la banque. Est-ce le rôle que jouera Nicolas plus tard?

ES: Ce qui enthousiasme Nicolas, et ce que lui a appris son expérience à l’UBS, c’est de s’occuper des clients et de structurer les services avec les équipes. Le rôle de CEO implique beaucoup d’aspects administratifs qui ne lui laisseraient pas aujourd’hui suffisamment de temps pour faire ce qu’il fait le mieux. Et puis pour les clients de la banque privée, il est très rassurant d’avoir comme interlocuteur quelqu’un qui porte le nom de la banque. C’est une marque de continuité, de tradition, très bien accueillie par des clients qui sont souvent eux-mêmes des entrepreneurs.  La présence de Nicolas et de Marc est aussi un signal pour nos clients et nos employés que notre entreprise est bâtie sur le long-terme. Comme moi, mes fils passeront par de bons moments et par des phases difficiles, car tout entrepreneur en fait l’expérience. Notre jeune génération a certes du pain sur la planche, mais nous constatons tous deux, ma femme et moi, que, au-delà de l’expérience qu’il faut pour assumer leurs responsabilités, ils sont débordants d’énergie, ont des idées sensées et prennent les bonnes décisions.

Notre jeune génération a certes du pain sur la planche.
Avec SYZ Capital, vous vous êtes lancé dans une nouvelle aventure. L’auriez-vous tentée sans votre fils Marc?

ES: Nous nous serions orientés vers le private equity en tout état de cause car c’est une demande de la clientèle mais le projet qu’a présenté Marc a séduit le conseil d’administration. L’investissement direct est vraiment son domaine d’expertise. Il en fait depuis de longues années et le principe de son approche est assez différent de ce qui se fait ailleurs dans la mesure où SYZ Capital entre comme «lead investor» dans les entreprises choisies. Ce qu’il construit est sur le long terme, grâce à une ou deux transactions par an sur des entreprises non cotées auxquelles les clients sont invités à participer. Loin de la pression des marchés financiers.

Vos enfants sont-ils aussi passionnés d’art que vous l’êtes? Continueront-ils la collection que vous avez construite ensemble?

SS: Ils baignent dans un monde tourné vers l’art depuis toujours et sont très intéressés. Mais nous ne les avons pas encore impliqués dans les décisions que nous prenons à trois avec Nicolas Trembley, le curateur de la collection. C’est à considérer.

Marc Syz
Nicolas Syz
1 En décembre dernier était créé SYZ Capital, dirigée par Marc Syz. En février, Yvan Gaillard succédait à Eric Syz dans son rôle de CEO de la Banque SYZ et Nicolas Syz devenait Head of Private Banking.

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