Au cœur du métier de banquier

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

De l’importance du financement d’un tissu économique régional, selon Michael Willimann de Credit Suisse.

Responsable pour la Suisse romande (hors Genève), Michael Willimann joue un double rôle car il est à la fois en charge de l’une des huit régions suisses de Credit Suisse mais également du corporate banking. Bien plus étendue géographiquement – et donc fragmentée -, que les sept autres, la région romande  offre un tissu économique très différent d’un canton à l’autre. «Le sentiment d’appartenance est très prononcé, en Valais par exemple. C’est une réalité dont il faut tenir compte».

Credit Suisse se positionne comme «banque des entrepreneurs». Quel sens donnez-vous à cette expression?

Être la «banque des entrepreneurs» correspond à un état d’esprit insufflé par le fondateur de la banque, Alfred Escher1. Cela signifie que nous ne vendons pas des «produits» mais un accompagnement des projets entrepreneuriaux sous toutes leurs formes. Nous avons investi non seulement dans nos activités traditionnelles de services aux entreprises, mais aussi, et surtout, dans celles dédiées au soutien des entrepreneurs et des cadres. Cette orientation offre un potentiel de croissance considérable, d'autant plus s'il est combiné avec d'autres services bancaires. En d’autres termes, nous couvrons l’ensemble des besoins des entreprises et ceux des entrepreneurs à titre privé.  

«L'activité avec les entreprises représente à elle seule
plus de la moitié du bénéfice au premier trimestre 2019.»
C’est-à-dire?

Du côté des entreprises, nous offrons une gamme complète - de l'aide à l'établissement et à la recherche de capital de croissance aux opérations de paiement et aux solutions de financement, en passant par des sujets spécifiques tels que la couverture de change, la planification successorale et les opérations sur les marchés financiers. Du côté privé, nous nous occupons des besoins financiers personnels des entrepreneurs, du choix d'une stratégie de dividende optimale à la planification de la retraite, en passant par tous les aspects de la gestion du patrimoine. Nous estimons que cette offre est unique en Suisse. 

Pouvez-vous donner une estimation de la taille de l’activité corporate?

L'activité avec les entreprises représente à elle seule plus de la moitié du bénéfice au premier trimestre 2019 (y compris celui réalisé avec les clients institutionnels). Nous comptons plus de 100'000 entreprises et institutions suisses parmi nos clients et réalisons plus de 32 milliards de francs de volume de crédits alloués aux seules PME (plus de 55 milliards à l’ensemble des entreprises). Nos équipes réunissent 100 conseillers, dédiés aux entrepreneurs et aux cadres répartis sur 20 sites en Suisse. Ils sont en permanence à l'affût des changements réglementaires et juridiques à venir et maitrisent une grande expertise dans tous les domaines pertinents. Notre intention est de continuer à grandir pour développer constamment nos services à cette clientèle.

«Le grand défi n’est pas le coût mais de trouver la main d’œuvre qualifiée.»
Le succès de cette activité tient aussi à celui des entreprises elles-mêmes. A quoi tient-il dans les cantons romands?

Le Jura se caractérise par une tradition d’ingénieurs qui trouve sa source dans le savoir-faire horloger. C’est la terre des mécaniciens, des artisans, et s’y trouvent les sous-traitants des marques horlogères (par ailleurs implantées souvent à Genève) et les fabricants de machines-outils, très proches au demeurant de leurs homologues allemands. Le Valais – dont la fortune est largement venue du tourisme – opère une grande transformation vers la technologie mais reste encore davantage tourné vers les services. Fribourg vit de la construction en ayant su attirer de nombreux habitants venus du bassin lémanique et du canton de Berne, mais ce secteur arrive à saturation. Si le canton souffre de l’absence d’un réseau d’industries attractives créatrices de nouveaux emplois, il a en revanche mis en chantier une politique industrielle d’envergure. C’est le seul canton de la région qui peut aujourd’hui répondre à une demande de grands sites industriels. Neuchâtel est scindé en deux, le haut, très industrialisé, et le bas, soutenu par des multinationales comme Celgene ou Philip Morris, venues s’installer suite aux efforts déployés par la promotion économique de ce canton dans les années passées Quant au canton de Vaud, sa croissance des dix dernières années est quasiment unique au monde et offre une très grande densité de personnel qualifié grâce aux quatre instituts de classe mondiale que sont l’EPFL, HEC, l’IMD et l’Ecole Hôtelière de Lausanne.  

Grands sites industriels en Suisse, n’est-ce pas un peu paradoxal compte tenu du coût de la main d’œuvre? 

Détrompez-vous. Malgré un coût de la main d’œuvre élevé, l’industrie suisse a tant investi dans l’efficience que, dans l’arc jurassien, elle réussit à produire des pièces à un prix compétitif avec celles fabriquées en Chine. Le grand défi n’est pas le coût mais de trouver la main d’œuvre qualifiée. 

«En tant que «banque des entrepreneurs»,
nous soutenons l'entrepreneuriat naissant.»
Si le capital est disponible en Suisse pour les entreprises arrivées à maturité, peut-on en dire autant du capital-risque?

Ces dernières années, l'appétit pour le risque s'est quelque peu accru pour répondre aux besoins croissants de l'économie suisse. En tant que «banque des entrepreneurs», nous soutenons l'entrepreneuriat naissant, notamment par le biais de notre propre véhicule de capital-risque, le Credit Suisse Entrepreneur Capital, créé en 2010, qui dispose de 200 millions de francs pour financer la dette junior. A ce jour environ 130 millions d'euros ont été investis dans plus de 50 entreprises. Nous offrons également des plateformes qui mettent en contact les entreprises naissantes avec nos clients fortunés à la recherche d'opportunités d'investissement.  En outre, les fonds de Private Equity offrent un potentiel important de levée de fonds pour garantir et faciliter le démarrage et l’expansion des jeunes entreprises.

1 Outre Credit Suisse, Alfred Escher a fondé les Chemins de fer du Nord-Est, l’École polytechnique fédérale, la Société suisse d’assurances générales sur la vie humaine et la Société des chemins de fer du Gothard. Il fut le pionnier du chemin de fer et du développement économique de la Suisse.