Après la tempête

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Quelques questions à Bruno Crastes, directeur général d’H2O Asset Management.

L’affaire H2O alimente tous les fantasmes depuis la parution d’un article sur le blog Alphaville du Financial Times le 18 juin et la suspension de la notation «bronze» du fonds Allegro par Morningstar le 19. Dans un même élan, un certain nombre d’investisseurs ont retiré leurs capitaux des fonds gérés par Bruno Crastes et Vincent Chailley – CIO d’H2O - et le marché s’est mis à bouder Natixis, provoquant une chute inédite de l’action. De «réputation sulfureuse» à «crise de liquidité» en passant par «conflit d’intérêt», il semblerait que tout ait été bon pour faire l’amalgame entre H2O et d’autres dossiers sensibles qui, pourtant, en y regardant de plus près, n’ont pas grand-chose en commun. La réaction des investisseurs laisse pantois en raison de la disproportion entre le montant des titres en cause dans le cas H2O (1,4 milliards de dollars) et les montants sous gestion de la division gestion d’actifs de Natixis (Natixis Investment Managers compte près de 1000 milliards de dollars d’encours). Mais, alors que l’hémorragie des fonds H2O se termine et que l’action Natixis se reprend, laissons de côté les interprétations pour poser quelques questions à Bruno Crastes lui-même, venu à Genève pour répondre aux questions de ses investisseurs. 

La décision d'investir sur la dette «illiquide» a été prise
en 2015 pour stabiliser la performance des fonds.
Votre stratégie de gestion a toujours été de type global macro. Quand et pourquoi avez-vous décidé de faire entrer de la dette «illiquide» dans vos portefeuilles?

C’est une décision que nous avons prise en 2015 pour stabiliser la performance de nos fonds. Comme vous le savez, la macro performe bien sur le moyen terme mais peut présenter, du jour au lendemain, des périodes de retournement assez intenses. Les rendements des obligations en question sont excellents et, à nos yeux, ouvrir une poche peu liquide mais entièrement étanche à l’environnement de marché était une manière de protéger la performance de nos investisseurs et d’en réduire la volatilité. A condition de respecter les exigences de notre autorité de tutelle, l’AMF, et la limite fixée dans notre stratégie de gestion, soit 10% en termes d’obligations non cotées. Or, au moment où cette polémique a démarré les obligations non cotées en question représentaient moins de 5% de nos actifs gérés. Pour mémoire, 60% de ces obligations sont cotées à Francfort ce qui nous permettait d’établir des prix assez réalistes, sur la base d’une valorisation conservative. Pour la portion purement non-cotée, nous utilisions des valorisations tout à fait classiques d’actualisation des cashflows et de vecteur de remboursement du capital. 

Sous la contrainte des récentes sorties de fonds, vous avez liquidé une partie de ces titres. Dans quelles conditions?

Comme nous nous y étions engagés, la proportion de titres illiquides des différents portefeuilles ne devait pas augmenter malgré les sorties car nous ne voulions en aucun cas porter tort aux investisseurs fidèles. Nous en avons donc liquidé pour plus de 300 millions d’euros ce qui nous a permis de confirmer que ces titres avaient bien des acheteurs, même s’il a fallu accepter une légère décote du fait des contraintes de temps. C’était un peu l’épreuve du feu mais elle fut concluante. Aujourd’hui, sur la base d’une valorisation liée à l’environnement de marché autour de ces titres, leur proportion dans nos portefeuilles ne dépasse pas 2%. 

«Les faits parlent d’eux-mêmes. Tous les investisseurs qui
ont voulu sortir l’ont fait sans aucune difficulté.»
L’un des reproches émis par vos détracteurs était une insuffisance de liquidité. Que pouvez-vous en dire aujourd’hui?

Je crois que les faits parlent d’eux-mêmes. Tous les investisseurs qui ont voulu sortir l’ont fait sans aucune difficulté. Nous l’avons dit et répété: nous n’imposerons jamais de mécanisme de plafonnement des remboursements de parts (gates). Nos actifs étaient liquides à 95% (et le sont aujourd’hui à 98%). La liquidité est l’un de nos chevaux de bataille et nous l’avons prouvé, ce en quoi nous sommes diamétralement opposés à certains des cas auxquels nous avons été comparés. L’accusation de «liquidity mismatch» est volontiers brandie par les critiques mais, en l’occurrence, ils s’étaient trompés de cible. 

Alors comment expliquez-vous la panique qui a saisi certains investisseurs?

Difficile de vous répondre. Le profil de Lars Windhorst a sans doute suscité la méfiance. C’est une question de risque réputationnel qui a fait tache d’huile. Beaucoup sont sortis sur la base du principe de précaution … et reviendront sûrement d’après les discussions que nous avons avec nos investisseurs. Peut-être qu’aujourd’hui il ne suffit plus d’estimer la seule valeur des actifs – qui a nos yeux reste excellente –; le jugement porté sur les personnalités en toile de fond semble avoir son importance.  Notre métier restera toujours d’investir dans des actifs aux meilleurs prix dans l’intérêt de nos investisseurs.

«Contrairement à la rumeur, je n’ai pas été contraint
de démissionner du comité consultatif de Tennor Holding.»
A ceci s’ajoute l’allusion à un conflit d’intérêt associé à votre présence au comité consultatif de Tennor Holding, l’un des fonds de Windhorst.

Peut-être me jugerez-vous trop véhément mais cette accusation – qui n’est d’ailleurs plus au cœur de la presse – n’a aucun sens. Dans tout investissement de type privé, l’investisseur (en l’occurrence H2O) doit avoir un droit de regard et de surveillance sur les investissements. C’est précisément le rôle de ce comité consultatif dont j’ai demandé la création pour mieux protéger mes investisseurs et sur lequel, je le rappelle, siègent également d’éminents investisseurs. Dans ce cadre, je ne touchais aucune rémunération et n’avais aucun pouvoir décisionnel. Ce comité n’existe que depuis le début d’année et ne s’est réuni que deux fois, en février et en mai. Je m’y suis personnellement rendu une seule fois, en mai. Vincent Chailley assure désormais la représentation d’H2O à ce comité car il s’agit d’une fonction d’investissement et il est donc normal que cela soit le CIO qui y siège. Contrairement à la rumeur, je n’ai pas été contraint d’en démissionner. 

Quel est le bilan en termes de montants à ce jour?

Nos encours se situent actuellement à environ 27 milliards d’euros (ndlr: contre 34 milliards d’euros au début du trimestre dernier), en revanche les flux de capitaux entrant continuent à augmenter de manière significative, alors que les sorties diminuent chaque jour. J’ai toujours estimé qu’une société de gestion devait rester vigilante par rapport à la taille des encours gérés pour rester performante et nous avons décidé d’augmenter la commission d’entrée l’an dernier, à cet effet. Les récents épisodes n’étaient certes pas la meilleure manière de diminuer les actifs sous gestion d’H2O mais une fois la confiance revenue, il faut prendre acte. 

Quelles leçons tirez-vous de cette crise?

Il est bon de se remettre en cause mais, en l’espèce, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. L’un des éléments que je trouve difficile à expliquer est la disproportion entre la réaction du marché et les faits réels. Cela repose sans doute sur beaucoup de confusions et d’irrationalités, c’est pour cette raison que nous nous efforçons d’apporter des clarifications, et ce en toute transparence, comme nous l’avons toujours fait. D’où ma présence à Genève aujourd’hui où je considérais important de m’adresser aux investisseurs suisses en personne. 

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