Anatomie d’une crise

Salima Barragan

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Selon Valérie Lemaigre de la BCGE, la Suisse s’en sortira mieux que ses voisins.

81 milliards de pertes sur la valeur ajoutée*. C’est le coût estimé de la crise sanitaire en Suisse. Dans un scénario de reprise économique soutenue, le BAK s’attend à une contraction annuelle du PIB de -3,8%. Dans le cas d’une évolution défavorable de la pandémie, l’Institut de recherche économique bâlois table sur un repli du PIB de -11,9%. A la BCGE, Valérie Lemaigre, économiste en chef, ne retient pas le scénario le plus catastrophique. Elle se base sur la nature défensive du tissu économique helvétique: «La spécialisation sectorielle internationale de la Suisse amortira partiellement le choc», explique-t-elle. Genève devrait souffrir davantage en raison de son exposition au négoce de matières premières et au tourisme citadin. Entretien.

Dans le meilleur des scénarios, le BAK s’attend à une contraction annuelle du PIB de -3,8%, sinon à un repli de -11,9% dans le pire des cas. Quelle prévision vous semble-t-elle la plus probable?

Tout comme le BAK, nous avons adopté une approche sectorielle car la reprise de l’ensemble de l’économie ne sera pas homogène. Chaque secteur aura son propre comportement. Certains réouvriront et récupéreront vite alors que d’autres entreront dans une longue phase de restructuration. J’adhère au scénario le plus optimiste car l’économie suisse, qui domine dans la pharma et l’alimentaire, est plus défensive que les économies française ou américaine exposées au tourisme et transport, ou encore l’allemande dépendante de son industrie automobile. L’automobile et l’aéronautique devaient de toute façon absorber leurs capacités excédentaires et la crise est un catalyseur, plutôt que la cause de leurs difficultés.

Genève dépend du secteur du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration,
de l’évènementiel, ainsi que du commerce de détail lié au tourisme de ville.
A quand remontent de tels replis de l’activité?

Avec les prévisions les plus optimistes, on revient sur la contraction de -2,2% de 2009. Mais à cette époque, nous partions d’un niveau de croissance bien plus élevé qu’en ce début d’année. Cette fois-ci, la contraction sera donc plus marquée. L’arrêt de l’économie durant deux mois est inédit et les prévisions les plus dramatiques de -11% n’ont encore jamais été enregistrées en Suisse.

Quels sont les secteurs les plus touchés et d’ici combien de mois - voire d’années - récupèreront-ils?

Compte tenu de la nature de la crise, nous avons analysé sur base de l’approche valeur ajoutée et non dépense. En Suisse, l’activité manufacturière représente 19% de l’économie dont la pharma et la chimie qui n’ont probablement pas vraiment corrigé; et l’horlogerie temporairement. Ces secteurs reviendront rapidement aux niveaux d’avant la crise tout comme la construction qui se normalisera sur la base des précédents carnets de commande. C’est ce qu’on appelle une reprise en V. Les services de la personne et de la santé qui comptent pour près de 30% des emplois suisses, récupéreront également très vite. Les banques, assurances et les services aux entreprises ont subi un choc plus limité. En revanche, l’hôtellerie, la restauration, le commerce du détail ainsi que le transport aérien et automobile ont subi un arrêt quasi complet de leurs activités durant près de deux mois et ne retrouveront leur ancien niveau que tardivement, d’où une reprise décrite en U avec une récupération progressive d’ici 2021.

Genève sera-t-elle plus atteinte par la crise que le reste de la Suisse?

Oui, à cause de sa répartition sectorielle. Genève dépend du secteur du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, de l’évènementiel, ainsi que du commerce de détail lié au tourisme de ville, qui est proportionnellement plus important que dans le reste de la Suisse. Le négoce des matières premières, qui subit en outre la chute des cours du pétrole, est aussi une spécificité bien genevoise. Mais ces conclusions doivent être corroborées par les chiffres de l’emploi par secteur alors que le canton totalise un chômage partiel de quatre personnes sur dix. Néanmoins, les indicateurs avancés pointent sur une correction importante et les enquêtes ne sont guère optimistes.

Partout ailleurs, la proportion des mesures effectives correspond environ
à 10% du PIB et Genève pourrait s’inscrire dans ces ordres de grandeur.
A combien peut-on estimer les pertes sur la valeur ajoutée pour Genève?

Genève produit une valeur ajoutée annuelle d’environ 57 milliards de francs (53 milliards si l’on soustrait les organisations internationales). Un choc de l’ordre de 10% sur la valeur ajoutée est possible, et moitié moins sur le PIB.

Et combien la crise coutera-t-elle à l’Etat de Genève, qui a vu ses dépenses monter en flèche?

Cela dépendra de l’impact des mesures effectives sur ses finances, car le volet de garantie de prêts pour les PME, sauf défauts des entreprises concernées, sera récupéré. En revanche, les allocations temporaires de chômage coûteront cher et le canton devra en plus mettre en place des mesures de stimulation de l’économie. Partout ailleurs, la proportion des mesures effectives correspond environ à 10% du PIB et Genève pourrait s’inscrire dans ces ordres de grandeur.

 

* Estimation par le BAK des pertes sur la valeur ajoutée d’ici 2022.

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