Alerte sur les indicateurs US

Nicolette de Joncaire

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Selon Patrick Zweifel, chef économiste chez Pictet Asset Management, au fil des jours, le scenario «fin de cycle» gagne du terrain.

Avec une croissance mondiale de 3,7%, c’est au troisième trimestre 2017 qu’a été atteint le pic du cycle économique actuel. Au deuxième trimestre 2018, la croissance fléchissait à 3,5%. Selon l’indicateur avancé  de Pictet, elle pourrait n’être qu’à 2,8%, avec un ralentissement plus marqué dans les pays développés que dans les pays émergents. 2018, année de re-normalisation ou début de la fin? Qu’attendre en 2019? Tour d’horizon avec Patrick Zweifel, chef économiste chez Pictet Asset Management.

Au lendemain de la dernière grande crise, les Etats-Unis furent les premiers à se redresser. Après une crainte de surchauffe en début d’année, l’avenir semble-t-il moins engageant?

Deux indicateurs nous paraissent particulièrement pertinents. Le premier est celui des taux US inversés (rendements 10 ans minorés des rendements à 1 an) qui est l’un des meilleurs prédicateurs de récession. Le second est l’indice de la construction résidentielle car, rappelez-vous, huit des dernières dix récessions ont été causées par un affaissement de la construction de logements.  Pour l’heure, ces deux indicateurs évoluent dans le même sens: à la baisse. Au troisième trimestre 2018, les chiffres dénotent une chute de la construction immobilière qui, selon nous, devrait s’accuser dans les mois à venir. Ces signaux sont certes négatifs mais j’aimerais toutefois attirer votre attention sur la dette des ménages américains qui restent très prudents et continuent à se désendetter. Les indicateurs classiques sont donc mauvais mais la transmission historiquement observée de la chute de l’investissement immobilier à la baisse de consommation ne parait pas inéluctable. La fin du cycle pourrait s’en trouver retardée. D’autant que le discours de la Fed est devenu très prudent dans les dernières semaines. On parle de «risque récessif» alors qu’on parlait de surchauffe il y a encore peu. En associant l’ensemble des signaux, nous estimons que la probabilité d’une récession en 2020 devrait rester au-dessous de 20%. Mais le scenario «fin de cycle» gagne néanmoins du terrain.

«Nous prévoyons deux hausses de taux de la Fed en 2019,
au deuxième et troisième trimestres.»
Quelles seraient, dans ces conditions, les hausses de taux US à prévoir en 2019?

Quand les conditions de marché sont mauvaises, la Fed fait une pause comme ce fut le cas en 2016. Même en l’absence de signaux négatifs sur le marché du travail. Nous prévoyons donc deux hausses en 2019, au deuxième et troisième trimestres, la croissance étant traditionnellement faible au premier. A la suite de ces deux relèvements, le taux directeur devrait avoir atteint la neutralité. 

Qu’attendre en Europe?

L’Europe est un peu à la peine. L’activité a ralenti en Allemagne, en particulier au troisième trimestre. Nous estimons toutefois que ces difficultés sont dues à des facteurs temporaires, en particulier liés au secteur automobile. Il y a une belle histoire en Europe dont on parle peu: celle des crédits octroyés par la Banque centrale bien relayés à l’économie par le secteur bancaire et de la convergence entre offre et demande de crédit privé. Tirée par l’Allemagne, la croissance européenne reste au-dessus de sa tendance de long terme. Les surprises sont bonnes tant au niveau des taux de chômage qu’à celui des salaires. Autre élément positif, les comptes courants de tous les pays de la zone euro, exception faite de la France, sont positifs. Notre tableau de bord européen dénote l’excellent potentiel de pays comme l’Irlande, l’Autriche, l’Espagne ou les Pays-Bas sans, bien évidemment, oublier l’Allemagne. 

Reste le problème de l’Italie.

Il y a peu de doute que l’interruption par le gouvernement actuel du mouvement de réformes économiques entamé par les gouvernements précédents n’est guère porteur. Favoriser le court terme au détriment du long terme ne présage en général rien de bon. La zone euro a tout de même fait des progrès considérables. Grâce aux outils mis en place, alors que l’Italie est le deuxième émetteur de dette souveraine au monde, ses difficultés n’ont que peu d’impact sur la crédibilité des autres pays membres.

«Nous estimons que le dollar est surévalué
par rapport aux fondamentaux de long terme d’environ 18%.»
Dans quelle mesure la hausse du dollar et la guerre commerciale ont-elles handicapé les marchés émergents?

Lorsque le dollar est faible, l’économie mondiale va bien. Sa forte hausse handicape la croissance de manière globale et rejaillit sur la santé des marchés émergents. L’affaiblissement du yuan joue dans le même sens. Nous estimons que le dollar est surévalué par rapport aux fondamentaux de long terme d’environ 18%. Nous nous attendons donc à une correction en 2019, mais le retour à l’équilibre peut prendre du temps. Par ailleurs, les marchés émergents marchent bien quand le commerce international est en expansion, une expansion menacée par la guerre commerciale. Leur croissance est deux fois plus sensible aux échanges internationaux que celle des pays développés. Il leur faut donc un commerce international florissant et une économie américaine forte … mais pas trop. Sur le plan de l’investissement, les marchés émergents sont une classe à privilégier en fin de cycle. Ils sont devenus aujourd’hui bon marché mais pas suffisamment pour générer encore une forte conviction d’achat. 

La Chine va-t-elle perdre son rôle de moteur de l’économie mondiale?

Nous sommes relativement optimistes sur le potentiel de la Chine. Avec la maturation de son économie, son taux de croissance a faibli et va continuer à faiblir. Il en sera de même du rendement du capital. L’excès de dette va aussi contribuer à ralentir sa croissance. Mais la Chine est un cas tout à fait particulier: un pays dont la taille et les avancées technologiques sont spectaculaires mais qui reste un pays pauvre, avec un taux d’urbanisation de 55% seulement et 250 millions de migrants urbains potentiels. Un pays dont le niveau d’éducation s’est envolé. A la fin des années 1990, 5% de la population atteignait un niveau d’études supérieures. Il est aujourd’hui de 45%.