Agir là où le levier est le plus important

Yves Hulmann

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Pour Michael Sieg de ThomasLloyd, il est crucial de financer des projets dans les pays émergents si l'on veut contrer le changement climatique.

Fondée en 2003, la société ThomasLloyd s’est profilée au fil des années comme une entreprise d'investissement et de conseil global, spécialisée dans les projets d'infrastructures, avec un accent placé sur l’Asie du Sud-Est. Pour son fondateur, Michael Sieg, il est indispensable de moderniser les infrastructures, en particulier celles de production d’électricité, dans cette région du monde et dans d’autres pays émergents si l’on veut réellement contribuer à réduire les émissions de CO2 sur le plan global. Dans les locaux flambants neufs du groupe au centre de Zurich, l’Allemand décrit les priorités de sa société en matière d’investissements.

Pourquoi ThomasLloyd, une société d'investissement et de conseil global spécialisée dans les projets d'infrastructures focalisée sur l'Asie, a-t-elle choisi d’être basée en Suisse plutôt qu’à Londres par exemple?

La holding qui regroupe les activités globales de ThomasLloyd est certes basée à Londres mais c’est le seul lien que nous avons avec le Royaume-Uni. Fondée en 2003, notre société a d’abord été axée sur les marchés d’Amérique du Nord et d’Asie, avant de s’étendre aux pays européens germanophones correspondant à la région dite DACH (Allemagne, Autriche, Suisse) et aux Etats-Unis. Au demeurant, ThomasLloyd n’est pas le nom d’une personne qui a réellement existé mais une création de mot constitué des prénoms des deux fondateurs de l’entreprise.

Comment votre société en est-elle venue à se spécialiser dans le financement de projets dans les infrastructures?

Nous sommes actifs depuis 17 ans dans le domaine des investissements alternatifs, avec un accent placé depuis 2006 sur les projets d’infrastructures et les technologies propres ou «cleantech». Nous avons commencé à nous y intéresser alors que le terme de «finance d’impact» ne jouait encore qu’un rôle marginal dans le monde de la finance. A ses débuts, notre société a commencé en tant que boutique de banque d’investissement, en étant active dans les fusions et acquisitions (M&A) ainsi que la finance d’entreprise et la finance de projets. Au milieu des années 2000, nous avons accompagné par exemple la société Q-Cells, active dans l’énergie solaire, dans un projet d’expansion dans l’Ontario au Canada. A partir de 2010, nous avons toutefois entièrement repositionné notre activité de gestion d’actifs.

Nous nous concentrons sur les parties du monde où les besoins
en projets d’infrastructure sont les plus importants.
Dans quelle direction?

A partir de 2010, nous nous sommes recentrés de manière conséquente sur le domaine des infrastructures et des technologies propres. En 2011, nous avons lancé notre premier fonds public, appelé le ThomasLloyd Cleantech Infrastructure Fund, doté d’actifs de l’ordre de 50 millions d’euros. Quelques années plus tard, ce volume a été multiplié par dix. A partir des années 2017, 2018 et 2019, la dynamique d’expansion s’est encore accélérée.

Pourquoi se concentrer avant tout sur l’Asie?

Nous nous concentrons sur les parties du monde où les besoins en projets d’infrastructure sont les plus importants, entre autres en Inde et plus généralement dans les pays de l’ASEAN. En comparaison, en Europe, nous parlons au mieux de renouvellement des infrastructures existantes et nous oublions souvent qu’ailleurs il n’y a souvent purement et simplement pas d’infrastructures qui existent.

Et parce que la problématique du changement climatique est globale, il faut intervenir et orienter les investissements là où nous obtenons le plus grand impact. En outre, il y a l’aspect de l’accès à l’énergie. En Europe, on dispose de plus d’électricité que nécessaire. En comparaison, en Asie, il y a encore 600 millions de personnes qui n’ont pas accès à des sources d’énergie fiables – et encore moins qui préservent le climat. Je souligne cela parce qu’on me demande parfois pourquoi nous ne finançons pas de centrales fonctionnant à l’énergie solaire aussi en France.

Et pourquoi ne pas le faire aussi en France?

La réponse est simple: en France, de tels projets n’apporteraient qu’une amélioration marginale par rapport aux sources d’énergie, largement disponibles et en partie propres aussi, qui existent déjà. En Indonésie ou aux Philippines, de tels projets changent complètement la donne pour des villes ou des régions entières. Dans ces pays, il y a des villes où la seule source de courant fiable disponible est toujours le générateur fonctionnant au diesel ! En matière de changement climatique, il faut toujours se poser la question suivante: où est-ce que je vais obtenir le plus grand impact pour l’argent que j’ai à disposition à investir. Aussi longtemps que l’on continue de construire et d’exploiter des centrales à charbon conventionnelles, nous n’allons pas réussir à arrêter le changement climatique en passant aux véhicules électriques en Europe – et cela même si chaque contribution compte. Nous devons agir là où le levier est le plus important – et c’est justement dans les pays en développement et émergents.

Souvent, nos projets servent de point
de départ pour d’autres projets.
Lorsque vous investissez quelques dizaines ou centaines de millions dans un projet, anticipez-vous un effet d’entraînement chez d’autres investisseurs?

Oui, naturellement. Souvent, nos projets servent de point de départ pour d’autres projets. Lorsque nous construisons une centrale solaire, cela apporte non seulement de nouvelles places de travail et des perspectives économiques pour la population locale. Mais nous fournissons également l'impulsion pour une extension de l'infrastructure locale. C’est pourquoi nous travaillons en collaboration avec des institutions comme l’International Finance Corporation, liée à la Banque mondiale, encore avec la Banque européenne de développement qui finance toujours davantage de projets «verts». Par ailleurs, nous entretenons aussi des contacts avec des chambres de commerce ou des organisations spécifiquement liées au développement durable. Et en gardant à l'esprit qu'en arrière-plan les besoins d’investissements en matière d’infrastructures au cours des deux prochaines décennies sont estimés aux environs de 90'000 milliards d’euros.

Et du côté privé?

Là aussi nous voyons un effet de dominos. Par exemple, à l’Île de Negros située aux Philippines, nous avons financé plusieurs centrales électriques solaires à forte capacité qui ont permis à l’île de même devenir un exportateur de courant propre dans les régions voisines. A la suite de cela, un site industriel a pu se développer et ses capacités ont été augmentées. Cela montre clairement que l’impact global qui résulte de la mise en place d’infrastructures va souvent bien au-delà des attentes initiales.

La Suisse compte une forte densité de sociétés spécialisées dans la finance d’impact ou dans la microfinance. Travaillez-vous aussi avec ces organisations?

Actuellement, beaucoup de ces structures ont une approche d’investissement qui reste, soit relativement proche de la philanthropie, ou soit qui s’oriente vers des projets d’investissement de petite taille comme des puits, des toits solaires, etc. C’est très bien mais, de notre côté, nous mettons l’accent sur des projets d’infrastructure qui ont un impact significativement plus important sur le climat mais qui, en raison de cela, sont également beaucoup plus intensifs en capital.