Actions suisses: attention à une volatilité accrue

Emmanuel Garessus

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Dans l’attente de marchés plus nerveux, le gérant Marc Possa privilégie les sociétés suisses peu endettées.

Marc Possa, qui gère le fonds SaraSelect, investit essentiellement dans les valeurs industrielles suisses de taille moyenne, généralement des sociétés présentes dans le B2B. Il gère ce fonds d’environ 1,4 milliard d’actifs depuis 14 ans. Le haut-valaisan établi à Zoug surperforme l’indice sur 5 ans (+6,4% par an contre 4% pour l’indice). Il répond aux questions d’Allnews:

Vous venez de rencontrer la direction de Lem Holding, l’une de vos principales positions dans votre fonds. Que pensez-vous de ses résultats?

J’en ressors convaincu de la poursuite des tendances structurelles qui nourrissent l’expansion du groupe. Je pense à l’électrification et à la digitalisation de l’économie, deux tendances qui nécessitent l’emploi de systèmes performants. L’électrification nécessite par exemple des systèmes de mesures de l’électricité intelligents et très précis. Lem me fait penser à la fiabilité d’une montre suisse.

Quel élément nouveau peut-on signaler cette année?

La bonne nouvelle tient précisément à l’absence de nouveauté. Les attentes du marché sont respectées et se vérifient année après année. Il faut savoir que les délais sont très longs dans cette industrie. Les contrats avec les industriels automobiles se négocient aujourd’hui tandis que les consommateurs pourront acheter les nouveautés dans plusieurs années.

«Je crains une volatilité accrue des bourses en raison de la persistance d’une inflation et de taux d’intérêt plus élevés plus longtemps.»
En bourse, les grands groupes technologiques ne tirent-ils pas davantage leur épingle du jeu que les small caps?

Le dernier ralentissement boursier majeur du secteur tech s’est produit en 2019. Aujourd’hui, il est plus modeste, même si, pour des groupes suisses tels que VAT, Inficon, Comet, les reculs des ordres d’achat depuis les plus hauts oscillent entre 10 et 25%. Les investisseurs portent leur regard sur les 3 à 5 prochaines années et non pas sur l’année en cours. La raison de cette perspective positive est liée aux progrès enregistrés chaque jour. Regardez le développement de l’intelligence artificielle et de ChatGPT!

Est-ce que vous gérez votre portefeuille dans la perspective d’une correction possible à court terme ou plutôt des potentiels haussiers d’ici 5 ans?

Je garde plus de 9% du portefeuille en cash, ce qui dépasse la moyenne. Je crains une volatilité accrue des bourses en raison de la persistance d’une inflation et de taux d’intérêt plus élevés plus longtemps. Or plus l’inflation s’incruste dans le système économique, par exemple à travers les hausses de salaires, et plus il sera difficile d’en venir à bout.

Est-ce que la hausse des taux réduit l’attrait des actions de sociétés endettées?

Oui, elle incite à privilégier les sociétés gérées par des entrepreneurs réticents à faire appel au système bancaire, en partie à la suite de leurs mauvaises expériences datant de la crise financière. Certains établissements financiers, en vertu de leur code de gouvernance court-termiste, avaient par exemple pénalisé les sociétés qui durant un seul trimestre présentaient un endettement trop bas.

A quoi attribuer la surperformance de votre fonds cette année? Au poids de la tech?

Non, plutôt à ma fidélité à l’égard de sociétés dont la croissance est structurelle. Certains titres ont corrigé après une phase d’exagérations haussières, comme Logitech, Also, Bachem. L’industrie financière, par sa volatilité, exprime souvent des cycles d’exagération que l’on retrouve dans la psychologie humaine. Notre tâche consiste à rester anti-cyclique.

«La première erreur serait de ne pas tirer les conséquences du fait que l’économie a trop longtemps vécu avec des taux trop bas et de l’argent trop bon marché.»
Les professionnels de la bourse parlent d’une hausse de la «misère» à travers des gains menés par un petit nombre de titres. Quel est votre scénario à court terme?

Le consensus envisage une récession américaine au second semestre 2023 à la suite de la hausse des taux d’intérêt, de la persistance de l’inflation et de ses effets sur le marché de l’emploi. Je m’attends donc à une bourse nerveuse et volatile ces prochains mois. En Suisse, la hausse des taux modifie aussi la prime de risque et déprime le multiple des bénéfices. Si elle se poursuit, le multiple pourrait se réduire davantage. L’an dernier en Suisse, l’inflation a accru artificiellement le chiffre d’affaires et les coûts ainsi que le bénéfice. Si elle se contracte ces prochains trimestres, elle aura aussi un effet régressif sur les profits. Ce scénario peut engendrer des surprises négatives et il n’est pas encore intégré dans les cours.

Est-ce que l’investisseur est mieux protégé avec les valeurs de la tech, comme VAT, ou avec des industriels qui, comme Bucher ou Ems-Chemie, ont bien corrigé?

La réponse n’est pas aisée. L’essentiel consiste à sélectionner des sociétés peu endettées car les taux sont historiquement bas et les taux réels négatifs. La première erreur serait de ne pas tirer les conséquences du fait que l’économie a trop longtemps vécu avec des taux trop bas et de l’argent trop bon marché. Les mentalités en ont souffert. On a trop longtemps cru que tout était disponible immédiatement. Le retour à la normale ne se fera pas sans souffrance.

Que pensez-vous de la hausse des titres liés à l’intelligence artificielle?

Quand tout le monde parle de ce thème dans le journal, il est souvent trop tard pour en profiter en bourse. Je préfère investir dans des sociétés qui échappent au radar des investisseurs et dont les produits devraient être étiquetés «swiss Inside», par référence à «Intel inside». Les sous-traitants industriels suisses sont souvent des sociétés de grande qualité qui créent réellement et durablement de la valeur pour les industriels qui, eux, s’adressent directement aux consommateurs. Cette «Swissness» dispose d’un fort potentiel.

Est-ce que cette Swissness a souffert de la crise de Credit Suisse?

L’entrepreneur suisse qui est entré dans un partenariat à long terme il y a plusieurs années agit de façon responsable et loyale. Il échappe à l’esprit à court terme de certains milieux financiers. Il est attentif à la préservation de ce tissu industriel et garantit la qualité du produit, de l’innovation et du service. Nous avons la chance d’avoir ces sociétés industrielles à nos portes. A l’inverse de certains groupes financiers, leur modèle ne consiste pas à profiter de la volatilité à court terme.