«Nous allons continuer d’acheter des AT1 d’établissements bancaires solides»

Yves Hulmann

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Pour Alexandre Deneuville, gérant chez Carmignac, le risque fondamental est réapprécié pour ce qu’il est réellement.

Alors que l’inflation recueillait l’essentiel de l’attention des investisseurs au début de cette année, ce sont surtout les turbulences survenues dans le secteur bancaire qui ont été placées sous les feux des projecteurs en mars. Que faut-il penser de l’effondrement de certains emprunts tels que les Additionnal Tier 1, à l’exemple de ce qui s’est produit avec ceux de Credit Suisse qui ont perdu l’entier de leur valeur? Et quelle est l’attitude à adopter en matière de risque sur les marchés obligataires? Le point avec Alexandre Deneuville, gérant au sein de l’équipe Crédit chez Carmignac.

Avec la faillite de la Silicon Valley Bank et le rachat précipité de Credit Suisse par UBS, l’actualité du mois de mars a été marquée par les fortes turbulences survenues dans le secteur bancaire. Vaut-il mieux éviter tous les emprunts qui ont un rapport avec le secteur bancaire - ou y a-t-il aussi des opportunités à saisir dans ce domaine?

La réponse à cette question dépend avant tout de savoir si l’on pense que l’on a affaire à un problème de nature systémique dans le secteur bancaire ou non. Chez Carmignac, nous ne pensons pas que ce soit le cas actuellement. Cela étant dit, les problèmes liés au secteur bancaire auront tout de même des conséquences non négligeables sur le reste de l’économie car les entreprises seront confrontées à un resserrement des conditions financières. C’est souvent durant de telles phases que des cadavres sortent du placard et que des accidents se produisent.

«Il y a peu de pans de l’économie où les entreprises s’en sortent mieux lorsque les taux sont plus élevés – et les banques en font partie.»
Les risques liés au resserrement des conditions de financement ne sont-ils pas susceptibles d’affecter toutes sortes de secteurs de l’économie?

S’agissant du secteur bancaire, la confiance placée dans un institut est un aspect central car les banques prêtent à long terme mais elles doivent emprunter à court terme. C’est pourquoi toute détérioration de la confiance placée dans un établissement affecte immédiatement sa capacité à emprunter sur les marchés des capitaux et à conserver ses dépôts. S’agissant de ce qui s’est passé durant le mois de mars, on peut constater que ce sont surtout des établissements actifs dans un marché de niche qui ont été les plus affectés par la récente correction. La Silicon Valley Bank gérait l’argent d’une clientèle particulière dans le sens où ses clients étaient très liés au secteur de la «tech», et concentrée dans une région spécifique. Cet établissement a pratiqué une mauvaise gestion de ses actifs et de ses engagements (asset liability management) ce qui fait qu’elle a dû revendre rapidement des titres sans risque pour répondre aux demandes de retraits d’une partie de sa clientèle. Il en allait de même pour la Signature Bank ou pour Silvergate qui avaient des profils encore plus spécifiques.

Qu’en est-il de Credit Suisse qui, à la différence de ces banques régionales américaines, était pourtant largement diversifiée, à la fois sur le plan sectoriel et géographique?

Credit Suisse était depuis longtemps l’enfant malade du secteur bancaire européen. L’établissement avait une mauvaise culture du risque. Certes, Credit Suisse était une banque solidement capitalisée et liquide. Toutefois, la banque n’était plus en mesure de résister à une crise de confiance – et c’est ce qui s’est passé au moment de la chute de la Silicon Valley Bank. Du côté des instances de régulation, cet épisode a aussi pu montrer que les autorités suisses ont su réagir de manière très déterminée. Elles ont même agi de façon très dure si l’on observe leur décision de «tuer» les emprunts AT1 (Additional Tier 1). Les instances de régulation et les autorités ont pris rapidement les décisions qui s’imposaient. Certes, pour la Suisse, le rachat de Credit Suisse par UBS a été un choc presque culturel. Pour le système financier dans son ensemble, l’intervention a permis de stabiliser la situation. Le calme est revenu. Credit Suisse continue de travailler. Le scénario du pire a été évité – le système bancaire est solide dans son ensemble.

Si l’inflation devait se maintenir longtemps à des niveaux élevés et que les banques centrales continuent d’augmenter leur taux durant l’année, n’y a-t-il pas un risque que de nouvelles turbulences affectent le secteur bancaire?

Je ne pense pas que le secteur soit plus fragilisé par une hausse des taux et le resserrement des conditions financières. Au contraire, il y a peu de pans de l’économie où les entreprises s’en sortent mieux lorsque les taux sont plus élevés – et les banques en font partie. On est passé d’une situation de vent de face – lorsque les taux étaient négatifs – à une situation de vent de dos. Pour les établissements solidement capitalisés, des taux d’intérêt plus élevés ne constituent pas un obstacle, au contraire.

«Lorsque l’argent était ‘gratuit’ et la volatilité très basse, les investisseurs n’étaient pas correctement dédommagés pour les risques encourus.»
En termes de placements, les emprunts AT1 n’ont-ils pas été distribués trop facilement à certains clients lorsque les marchés étaient stables et les taux très bas voire négatifs?

Quand il y a une longue période sans accident, et qu’en plus les taux d’intérêt sont très bas, certains investisseurs sont prêts à encourir beaucoup de risque en contrepartie d’une rémunération inadéquate. Historiquement, l’âge d’or des AT1 était autour de 2012 et 2013. Ces instruments offraient alors des rendements élevés dans un environnement de taux d’intérêt très bas et de régulation vigilante et déterminée à éviter une nouvelle crise financière globale.

Ne vaut-il pas mieux rester complètement à l’écart des AT1 dans le contexte actuel?

Qu’il s’agisse d’AT1 ou d’autres instruments, il faut toujours évaluer la qualité du sous-jacent. Pour obtenir des rendements plus élevés, certains investisseurs étaient prêts à acheter des AT1 de Credit Suisse ou d’établissements bancaires qui connaissaient déjà des difficultés l’an dernier ou même avant. Nous ne l’avons pas fait. En revanche, nous allons continuer d’acheter des AT1 d’établissements bancaires solides car nous estimons que le rendement obtenu par rapport au risque encouru est raisonnable. Il ne faut pas écarter les AT1 de manière générale. Si vous obtenez, par exemple, une marge de crédit de l’ordre de 500 ou 600 points de base par rapport à un coût du risque annualisé que l’on peut prudemment estimer à 200 points de base, le rendement additionnel obtenu reste intéressant. C’est pourquoi, nous investissons et allons continuer à investir dans les AT1 – mais de manière très largement diversifiée et en évitant les établissements bancaires les plus fragiles. Enfin, il faut aussi garder à l’esprit que le marché des AT1 représente environ 250 milliards de dollars et va devoir croître fortement dans les années qui viennent, en parallèle du bilan des banques. Les besoins d’émission sont importants et, dans ce contexte, on peut compter sur les émetteurs et régulateurs pour rassurer les investisseurs.

Si l’on revient sur le marché du crédit en général, quelles sont vos attentes concernant l’évolution des taux et de la politique monétaire menée par les banques centrales et quelles en seront les conséquences pour les marchés obligataires en général?

De notre point de vue, il ne faut pas se concentrer uniquement sur l’évolution des taux d’intérêt au cours des prochains mois mais se pencher davantage sur les marges de crédit. C’est le second aspect qui sera le moteur de la performance.

«Le marché des AT1 représente environ 250 milliards de dollars et il va devoir croître fortement dans les années qui viennent, en parallèle du bilan des banques.»

Maintenant, en ce qui concerne l’évolution des taux d’intérêt, il y a un certain nombre de facteurs qui pourraient continuer à pousser les taux d’intérêt vers le haut. Il y a un sous-investissement chronique dans le domaine des matières premières. L’évolution démographique maintient le taux de chômage à un faible niveau, ce qui exerce une pression à la hausse sur les salaires. Il y a aussi tout le mouvement de relocalisation de certaines activités par des entreprises, qui tend à accroître les coûts de certains biens. Tous ces éléments se traduisent par des pressions inflationnistes.

Cet environnement est-il positif ou négatif pour le marché du crédit?

L’environnement actuel est très positif pour le marché du crédit. D’une part, la phase de réajustement des taux est déjà en grande partie passée. D’autre part, la rémunération du risque est plus élevée actuellement qu’il y a quelques années, ce qui est positif pour les investisseurs. Lorsque l’argent était «gratuit» et la volatilité très basse, les investisseurs n’étaient pas correctement dédommagés pour les risques encourus. Ce n’est plus le cas actuellement : le risque fondamental est réapprécié pour ce qu’il est réellement. On est du bon côté. Les années qui viennent seront plus riches en possibilités de rémunération.

Pouvez-vous citer des exemples d’emprunts dans lesquels vous avez investi récemment?

Nous avons par exemple investi dans des emprunts de la société norvégienne Petroleum Geo-Services, spécialisée dans les études sismiques pour l’exploration et la gestion des réservoirs. Il s’agit d’un emprunt avec une notation de niveau «B» d’une durée de quatre ans offrant un taux de 13,5% par an, réparti en deux tranches semestrielles de 6,75%. Son prix à l’émission était de 98%, soit en dessous de la parité. En d’autres termes, dans l’hypothèse d’un refinancement au bout de deux ans, vous obtenez déjà un rendement annualisé proche des 20%. C’est une rémunération attrayante compte tenu du fait que la société est largement exposée à l’exploration de gisements qui se situent à proximité de champs pétroliers déjà exploités. Le risque encouru est ainsi plus limité que s’il s’agissait d’exploration effectuée dans des endroits complètement nouveaux.

Toujours dans l’énergie, nous avons investi dans des obligations hybrides de ENI en Italie. Ces emprunts dotés d’une notation «BBB-» offrent des rendements de l’ordre de 6 à 7% selon les souches, ce qui est nettement plus que les coupons d’environ 4% offerts pour les obligations émises par cette entreprise qui dispose en tant que telle d’une notation de degré investissement (IG) de la part des agences.

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