«Le système de santé atteint ses limites»

Philippe Rey

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Le système de santé suisse favorise des incitations erronées. Les soins intégrés sont une solution pour l’améliorer, considère Angelo Eggli, CEO du groupe Visana.

Visana, qui est l’un des chefs de file de l’assurance maladie et accidents en Suisse, connait une croissance continue sans mettre en danger sa rentabilité et sa solvabilité, une des plus élevées du secteur. Son taux combiné (rapport entre les dépenses et les recettes) a atteint 101% en 2022. La politique de Visana vise à maîtriser les coûts de la santé et à éviter une tarification trop agressive, synonymes de relèvements abrupts des primes selon Angelo Eggli, CEO de la société basée à Berne et, dès 2024, du futur nouveau groupe, formé d’Atupri et Visana, au sein d’une fondation commune, Atusana. Atupri affichait une marge de solvabilité de 160% au début de 2022; celle de Visana s’élevait à 207%.

Vous avez annoncé la semaine dernière le regroupement de Visana avec Atupri sous une fondation commune, Atusana, tout en en gardant les deux marques. Quels avantages allez-vous tirer de cette fusion?

Grâce à la fusion entre Visana et Atupri, nous devenons le premier groupe d’assurance maladie avec plus d’un million d’assurés et nous obtenons une nette position de leader sur le marché dans l’espace Mittelland. Nous profitons ensemble de nos forces complémentaires respectives et sommes convaincus qu’une consolidation aura lieu dans le secteur de l’assurance maladie; nous souhaitons l’entreprendre en position de force. En exploitant de manière ciblée les synergies potentielles, nous créons de véritables plus-values dans la vente et la numérisation, le développement de produits ainsi que les projets d’acquisition et d’investissement. Nous voulons faire profiter notre clientèle d’une efficacité en termes de coûts, d’une amélioration des services et d’une multiplication des canaux d’accès grâce à une extension du réseau de vente.

«Des incitations erronées dans les soins médicaux ont déréglé la qualité et les coûts.»
Quels sont aujourd’hui les dangers auxquels fait face le système de santé suisse et les changements nécessaires?

Notre système de santé, dont on vante l’extrême efficacité, atteint ses limites. Il s’est transformé en un véritable système d’incitations erronées. Des incitations erronées dans les soins médicaux ont déréglé la qualité et les coûts. Les familles atteignent la limite de leur budget avec les primes, les cantons sont confrontés à un nombre croissant de demandes de réduction des primes et les fournisseurs de prestations tels que les hôpitaux et les cabinets médicaux sont à bout de souffle en termes de personnel et de finances. Nous avons besoin d’un changement de paradigme.

Quelles solutions Visana propose-t-elle?

Visana voit dans les soins intégrés une solution optimale pour améliorer la qualité et freiner durablement et efficacement les coûts de la santé. Avec le Réseau de l’Arc, Visana sera la première caisse-maladie suisse à lancer au 1er janvier 2024 dans le Jura bernois, en collaboration avec Swiss Medical Network et le canton de Berne, la première organisation de santé intégrée en Suisse. Celle-ci met l’accent sur la préservation de la santé plutôt que sur la surmédicalisation des patients. La coopération entre les trois parties crée un système d’incitation permettant de garantir l’économicité de toutes les prestations médicales et la qualité des soins médicaux. Pour Visana, il s’agit d’une étape décisive pour renforcer continûment le système de santé suisse ainsi qu’une politique de primes visant à maîtriser les coûts.

La première organisation de soins intégrés de Suisse pour l’Arc jurassien est-elle la solution pour réduire les coûts sans compromettre la qualité des soins de santé? Y a-t-il un risque de conflit d’intérêts à cet égard?

Dans le cadre des soins intégrés, une organisation de santé gère de manière centralisée l’interaction entre tous les acteurs. A commencer par le personnel médical, qui doit être coordonné et travailler avec des processus et des systèmes et plateformes informatiques uniformes. Sans oublier le flux d’informations, qui doit être garanti à tout moment afin d’assurer le bien-être des patients et de permettre le traitement immédiat, ciblé et le plus efficace possible. Ainsi peut-on optimiser les processus et les interfaces, qui sont aujourd’hui souvent inefficaces, dans le secteur de la santé. Aussi bien les aspects liés à la qualité que ceux liés aux coûts dans la fourniture de prestations médicales deviennent plus centraux.

«En renforçant la concurrence et la transparence des coûts, nous pouvons dynamiser le système de santé, plutôt hostile à l’innovation et axé sur la préservation des droits acquis.»

La recherche d’une extension des prestations et des quantités est remplacée par une conscience de la qualité axée sur les objectifs, une orientation conséquente vers les résultats et un contrôle strict. Avec les soins intégrés, un modèle attrayant pour les patients entre ainsi en concurrence avec le concept d’assurance et de traitement usuel. En renforçant la concurrence et la transparence des coûts, nous pouvons dynamiser le système de santé, plutôt hostile à l’innovation et axé sur la préservation des droits acquis. Il est important que le marché fonctionne et qu’il y ait de la concurrence. Les soins intégrés prennent en compte cette concurrence.

Le taux SST de Visana se situe parmi les meilleurs des groupes d’assurance maladie. C’est un grand avantage, mais cela ne peut-il pas conduire à une tarification agressive?

La solvabilité de Visana est excellente. Nous disposons d’une stabilité financière et solvabilité élevées. C’est un avantage certain pour nos clients. Et les primes s’en ressentent également. Nous nous engageons pour une évolution des primes stable et durablement maîtrisée. Grâce à une réduction réfléchie et dosée des réserves, nous avons pu maintenir la stabilité des primes au cours des dernières années. Une tarification trop agressive à court terme aurait pour conséquence des majorations de primes d’autant plus élevées à moyen terme. Ce n’est pas non plus ce que nous voulons!

La «quasi-reprise» d’Atupri n’affaiblit-elle pas la solvabilité du groupe Visana?

Notre fusion n’est pas une reprise, mais une fusion par combinaison entre partenaires égaux. Les deux sociétés resteront donc autonomes sur le marché et indépendantes sur le plan opérationnel, aussi après le 1er janvier 2024; elles demeureront également soumises individuellement aux autorités de surveillance respectives. En particulier pour ce qui concerne le taux de solvabilité de Visana et celui d’Atupri à qui la question doit être posée directement sur ce point-ci.

Les projets de modernisation de Visana ne sont-ils pas trop ambitieux?

Avec la mise en place de l’organisation de santé Réseau de l’Arc, nous faisons œuvre de pionnier et analyserons et optimiserons en permanence nos connaissances, de sorte que le nouveau modèle de soins intégrés puisse être établi et développé durablement. Nous sommes conscients de nous aventurer sur un nouveau terrain. Mais nous agissons toujours de manière réfléchie. Nous sommes convaincus qu’avec les soins intégrés, nous pouvons répondre à un besoin substantiel.

Dans quelle mesure le rendement des placements de capital peut-il être amélioré? La part d’actions n’est-elle pas trop faible?

Visana vise un rendement durable; les gains de capitaux à court terme ne sont pas prioritaires. Les placements sont diversifiés au mieux dans les catégories des obligations, de l’immobilier et des actions, en tenant compte de la capacité de risque. Les pertes de valeur exceptionnellement élevées de l’année dernière confirment notre approche fondamentalement prudente et consciente des risques en matière de placements.

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