«La Fed est désormais prise au sérieux»

Yves Hulmann

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Franck Dixmier, directeur mondial des gestions obligataires chez Allianz Global Investors, pense que l’on a assisté à une correction excessive qui n’ira pas beaucoup plus loin.

Franck Dixmier, membre du comité exécutif mondial chez Allianz Global Investors, compte parmi les experts des marchés obligataires les plus en vue. De passage en Suisse, il analyse les turbulences observées en début de semaine sur les marchés. Pour le Français, il est sain que les anticipations des investisseurs s’alignent enfin sur celles de la Réserve fédérale. Entretien.

Comment interprétez-vous la plongée des marchés des actions survenue lundi, suivie d’un mini-rally obligataire?

J’avoue avoir été surpris par la chute de 10% de l’indice Dow Jones en cours de séance lundi. Ce qui m’intéresse davantage étant donné ma spécialité, ce sont surtout les taux américains qui ont fortement reflué lundi soir. Comme première réaction, je n’ai pu m’empêcher de sourire, car on est dans une situation totalement paradoxale: au départ, c’est la publication d’un chiffre sur l’emploi américain, meilleur qu’attendu, qui a ravivé les craintes d’une hausse rapide de l’inflation ainsi que d’un relèvement plus important que prévu des taux par la Fed. Cela s’est traduit par une nouvelle hausse des rendements des emprunts d’Etat américains à dix ans qui ont dépassé 2,8% début février. Cette crainte de taux plus hauts a alors provoqué une correction massive sur les actions et qui, à la fin, s’est traduite par un rally sur les marchés obligataires! Les taux des emprunts d’Etat à dix ans ont rechuté lundi d’environ 15 points de base, à près de 2,7%, interrompant ainsi le mouvement de hausse des taux de long terme des taux qui était observé depuis l’été 2016.

«Depuis la fin de l’été, on n’a eu qu’un ‘repricing’
très graduel des hausses de taux à venir.»
Le sell-off quasi simultané des obligations et des actions vous-a-t-il surpris?

Ces réactions sont à replacer dans le contexte d’un changement de perception des investisseurs face à l’inflation. Ce qui se passe, c’est que depuis la fin de l’été, pour la première fois les investisseurs intègrent réellement les anticipations officielles de la Fed en termes de hausses de taux futures dans leurs propres anticipations de marché. Depuis la fin de l’été, on n’a eu qu’un «repricing» très graduel des hausses de taux à venir. Alors que durant l’été, on n’avait intégré qu’une hausse de taux dans les prix pour 2018, maintenant on en a trois pour l’année en cours! Plus une et demi pour 2019. Pour la première fois, la Fed est comprise et, visiblement désormais prise au sérieux, par les investisseurs sur ses intentions futures en matière de hausses des taux. Avant, les marchés étaient totalement agnostiques. Ils ne voulaient pas vraiment croire aux hausses de taux. Ils avaient toujours de gros doutes sur l’inflation américaine. Et cela alors que la Fed avait clairement indiqué au sujet de la croissance que l’inflation allait finir par suivre. De notre côté, nous n’avons pas été surpris de voir qu’enfin on a des chiffres de l’inflation qui valident un scénario de reprise logique du renchérissement dans le contexte d’un cycle économique qui est déjà extrêmement mature. Et dans un contexte où l’emploi aussi se porte bien: alors que la création d’environ 100'000 nouveaux emplois par mois est jugée nécessaire pour stabiliser le taux de chômage, ce sont entre 180 et 200'000 nouveaux emplois par mois qui ont été créés au cours des derniers mois. Des premières tensions sur les salaires ne sont pas surprenantes dans ce contexte. Au final, nous trouvons très sain que les anticipations des marchés rejoignent les indications communiquées à l’avance par la Fed. Cela prouve qu’elle est comprise par les investisseurs et cela évite des surprises.

L’évolution des rendements obligataires allait dans une direction claire depuis quelque temps déjà.

Globalement, la tendance à la remontée des taux était déjà très visible sur la partie courte des échéances obligataires. Les taux obligataires à deux ans dépassent désormais le rendement moyen des dividendes des entreprises de l’indice S&P 500. En l’espace de six mois, la hausse de taux avait déjà été significative aux Etats-Unis: elle a atteint environ 100 points de base sur les taux à deux ans et 70 points de base pour les taux à long terme. Mais ce mouvement a été d’abord ignoré par les marchés des actions – qui restaient un peu comme en lévitation devant cette hausse de taux – et restaient plutôt très concentrés sur les statistiques américaines de croissance ou sur les mesures d’allègements fiscaux annoncés par Donald Trump.

«La correction sur le marché obligataire
était excessive et n’ira pas beaucoup plus loin.»
Cette correction était donc nécessaire. Risque-t-elle se poursuivre?

Sur les marchés obligataires, je pense que l’on a assisté à une correction excessive, qui n’ira pas beaucoup plus loin. Quant aux marchés des actions, il y a toujours plusieurs facteurs qui vont continuer à le soutenir. Premièrement, on s’attend à une hausse des rendements des bons du Trésor à dix ans, lesquels dépasseront certainement le seuil des 3% mais ils n’iront pas beaucoup plus loin. On ne les voit pas du tout monter aux alentours de 4 à 5%, comme c’était le cas à la fin des années 1990. Deuxièmement, les actions continueront d’être soutenues par une dynamique bénéficiaire forte. Même si l’on parle souvent de niveaux de valorisation élevés, l’évolution des bénéfices des entreprises devrait permettre aux marchés des actions de continuer de profiter d’une dynamique positive.

Qu’en est-il de la sortie de la politique monétaire ultra-accommodante de la BCE?

Globalement, on est encore loin d’un assèchement des liquidités fournies par les banques centrales. Au contraire, le pic de liquidités est encore à venir. On va ensuite atteindre un plateau, suivi d’une normalisation extrêmement graduelle de la politique monétaire menée par les banques centrales. Du côté de la BCE, cette normalisation - qui sera extrêmement graduelle - s’effectuera en deux étapes: dans une première phase, nous anticipons un arrêt du programme d’assouplissement quantitatif QE à partir de septembre. Le relèvement des taux par la BCE n’interviendra, lui, que dans une seconde phase, à partir du deuxième trimestre 2019 au plus tôt. Plusieurs fois, la BCE a laissé transparaître que le maintien de taux trop bas et trop longtemps était une menace pour la stabilité financière. Mais elle agira de manière très graduelle, pour ne pas la heurter.

Et si le retour de l’inflation n’était pas au-rendez-vous en Europe?

Je ne pense pas que la BCE déciderait de s’éloigner de sa trajectoire. Une inflation de base inférieure à l’objectif visé par la BCE ne l’a jamais empêché de relever ses taux par le passé.

«Le cours actuel euro contre dollar
ne nous a pas vraiment surpris.»
Côté devises, la remontée plus rapide des taux obligataires à dix ans aux Etats-Unis devrait logiquement contribuer à renforcer le dollar par rapport à l’euro. Pourquoi n’est-ce pas le cas?

Le dollar est faible, pas seulement vis-à-vis de l’euro, mais aussi par rapport à toutes sortes d’autres devises. En soi, le cours actuel euro contre dollar ne nous a pas vraiment surpris – nous anticipions une fourchette de 1,2 à 1,3 dollar par euro. Plusieurs facteurs soutiennent l’euro: le momentum de croissance est plus fort actuellement dans la zone euro qu’aux Etats-Unis, la zone euro présente un important excédent de l’ordre de 450 milliards d’euros, au contraire du double déficit budgétaire et de la balance courante aux Etats-Unis. Tous ces facteurs contrebalancent l’effet de la hausse des taux obligataires plus avancée aux Etats-Unis.

En dehors des emprunts souverains, toutes sortes d’autres actifs obligataires – dette à haut rendement, etc. – ont eu le vent en poupe ces dernières années. Sont-ils désormais entièrement hors jeu?

Il y a eu effectivement des flux massifs qui sont allés vers différents actifs comme le High Yield, les titres de dette émergente, non seulement celle libellée en dollars mais aussi en monnaie locale. Et cela alors qu’à mon avis, beaucoup d’investisseurs n’étaient suffisamment préparés pour investir sur de tels marchés. Maintenant, il y a des reflux massifs. On assiste à une purge du marché des «touristes» de ces classes d’actifs. Pour autant, il y a des raisons de continuer à s’y intéresser. D’une part, car, en Europe, les rendements de la dette obligataire souveraine resteront très bas – nous anticipons une fourchette de 0,6 à 1% pour le Bund allemand à dix ans. D’autre part, car, comme c’est souvent le cas lors de telles phases, les marchés tendent à surréagir. Qu’il s’agisse des emprunts à haut rendement en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie ou encore de la dette émergente émises en monnaies locales, il est possible d’extraire de la valeur dans nombre de ces classes d’actifs.