«Il est grand temps d’agir maintenant»

Robeco

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Sommes-nous en train de foncer dans le mur? Interview du CEO de Robeco, Gilbert Van Hassel.

En 2018, Robeco a modifié sa mission afin d’inclure dans ses objectifs la «création de richesse et de bien-être». Cela fait-il sens pour les clients? Ou existe-t-il toujours un sentiment que les objectifs de durabilité et de performance sont contradictoires?

Il n’existe pas de réponse unique à cette question. Aux Pays-Bas et en Europe du Nord, nous avons une longueur d’avance. Dans ces régions, l’intégration de la durabilité fait déjà partie des obligations fiduciaires des fonds de pension. Les deux sont donc parfaitement compatibles. Mais même en Scandinavie, qui est un leader en la matière, le degré d’intégration de la durabilité est très variable. La Norvège et la Suède mènent la marche, tandis qu’au Danemark, on se demande encore si l’on peut concilier les deux et comment la recherche du bien-être impactera la création de richesse.

De plus en plus de travaux académiques prouvent qu’il existe un lien entre la durabilité et la création de valeur à long terme. Cela commence à être particulièrement probant dans le volet Gouvernance des critères ESG. Toutefois, de nouvelles études sont nécessaires pour établir le lien véritable entre les deux.

Tant que les responsabilités fiduciaires ne seront pas reformulées,
leur participation sera au mieux marginale.

Aux États-Unis, en revanche, la plupart des fonds de pension sont soumis à la loi ERISA du département du Travail, qui stipule que leurs obligations fiduciaires incluent la maximisation des performances pour le compte des participants. Tant qu’il n’existera aucune relation causale totalement avérée entre la durabilité et la création de richesse, ces fonds ne seront pas capables de mettre en œuvre la durabilité sur une échelle appréciable. Pour le moment, il n’existe pas assez de preuves scientifiques, les séries de données sont trop limitées et l’historique de performances des fonds est trop court pour leur conférer une importance scientifique. Tant que les responsabilités fiduciaires ne seront pas reformulées, leur participation sera au mieux marginale. Ils ont donc les mains liées.

Les investisseurs parlent souvent de «performances corrigées du risque» Pensez-vous que l’intégration des critères ESG a plutôt tendance à réduire le risque ou à stimuler les performances?

Je dirais moitié-moitié. Si le risque s’accroît dans le temps, il va sans dire que les performances suivront. Si l’on observe de manière très simpliste ce qui se produira à long terme (sans modifier notre manière de traiter le climat et nos émissions de CO2) il est évident que nous allons finir dans le mur. L’économie mondiale cessera de croître et commencera à se replier, et de grandes quantités de valeur seront anéanties. Le risque et le rendement sont donc les deux faces de la même médaille, selon moi.

Diriez-vous que l’industrie des services financiers traverse actuellement une période de remise en question?

Absolument. Et il ne s’agit pas d’une simple phase passagère. Évidemment, de nombreuses personnes considèrent qu’il s’agit d’une fenêtre d’opportunité et surfent donc sur la vague ESG. Mais je suis convaincu que la durabilité deviendra la norme avant même qu’on ne s’en aperçoive. Actuellement c’est une mode, mais d’ici trois ou quatre ans, l’investissement durable sera devenu une pratique standard. Et cela est nécessaire. Quand on lit les rapports scientifiques sur le changement climatique et les émissions de CO2, on se rend compte qu’il est grand temps d’agir maintenant.

Les ODD offrent un cadre vraiment satisfaisant qui permet
de mieux définir la durabilité. Mais ce n’est pas suffisant.

Au train où vont les choses, nous allons droit dans le mur. Les gens deviennent de plus en plus anxieux. Je pense que les gouvernements et les entreprises (mais aussi chacun de nous en tant qu’individus) doivent prendre leurs responsabilités, car la survie de la société en dépend. Et cela exigera un effort gigantesque de l’ensemble de l’humanité. La question est de savoir si nous pouvons nous le permettre d’un point de vue économique. Là encore, peut-on se permettre de ne pas le faire? À quoi ressemblerait alors le monde?

L’une des principales difficultés est de décider comment on définit la durabilité. Il semble que le nombre de choses qui sont considérées comme durables augmente d’année en année. Si l’on étend la définition pour y inclure non seulement le changement climatique mais aussi la diversité, le revenu, l’égalité et la pauvreté, il devient malheureusement évident que les choses doivent changer.

Les ODD offrent un cadre clair et ne s’arrêtent pas au seul climat. Est-ce un grand pas en avant?

Je pense que les ODD offrent un cadre vraiment satisfaisant qui permet de mieux définir la durabilité. Mais ce n’est pas suffisant. L’étape suivante consiste à pouvoir mesurer la durabilité et d’en rendre compte. Et nous devrons accomplir beaucoup de travail avant d’être en position de le faire. Il est extrêmement important que nous définissions un cadre pour cela, avec l’aide des régulateurs européens.

Nous avons adopté les ODD dès leur création et avons été parmi les premiers à lancer un produit Actions ODD. Ensuite, nous avons été les premiers à développer un modèle qui nous permette de l’appliquer aux crédits aussi. C’est très bien, mais in fine, les ODD n’auront une incidence vraiment significative que lorsque l’UE aura mis au point un cadre robuste et que nous disposerons de définitions communément admises. C’est à ce moment-là seulement que nous serons capables de vraiment mesurer la durabilité et d’en voir les répercussions sur les ODD. Donc oui, nous pouvons jouer un rôle, chaque gérant peut apporter sa contribution. Mais au bout du compte, un effort coordonné et soutenu par les réglementations de l’UE sera nécessaire pour permettre au gouvernement de s’appuyer sur l’expertise d’industries comme la nôtre.

La durabilité est devenue une partie
intégrante de l’analyse financière.
Robeco est un pionnier de l’investissement durable. Mais en tant que leader, conserver ce cap est aussi une forme de handicap, puisque vos concurrents n’ont pas besoin de réinventer la roue. Comment Robeco peut-il conserver son avantage compétitif?

C’est vraiment une question qui me préoccupe, même si l’innovation fait partie de l’ADN de notre société. Nous y investissons beaucoup de temps et d’énergie. En matière de durabilité, tout a commencé à Zurich, lorsqu’une équipe enthousiaste et passionnée par les solutions vertes s’est mise à rechercher des entreprises adoptant le concept de durabilité. Depuis, nous avons parcouru beaucoup de chemin. La durabilité est devenue une partie intégrante de l’analyse financière. C’est ce que j’appelle la «recherche appliquée» car elle sert à analyser la valeur des actifs et joue un rôle dans la création de portefeuille, ce qui, in fine, génère de l’alpha. Nous continuons d’avancer à grands pas, mais la route est encore longue, et sans fin.

Le processus avance-t-il assez rapidement?

Seul le temps le dira. Mais quand je vois ce que font les autres entreprises, notre position de leader innovant est effectivement un handicap. Pour autant, le processus d’acquisition d’expérience et d’expertise ne peut être précipité. Par définition, cela prend du temps. Or, nous avons vraiment une longueur d’avance sur nos concurrents, nous disent nos clients. Cela aide quand on le fait depuis longtemps et qu’on a donc eu la possibilité de gagner en expérience et de s’améliorer sans cesse. Acquérir de l’expertise nécessite du temps et des heures de pratique. Je pense que la concurrence peut rattraper son retard, mais nous serons toujours devant.